Vredestein veut gagner ses galons
De par sa raison d’être, celle de rendre service aux constructeurs et aux utilisateurs d’automobiles, l’industrie du pneumatique est une industrie éminemment ouverte sur le monde. Écouter des besoins, savoir les analyser et les retranscrire, être capable d’innover pour le bien commun, prendre de l’avance sur son temps ou se réinventer quand il le faut, tout cela relève finalement d’une grande ouverture d’esprit.
Paradoxalement, il reste un point sur lequel ce propos se désagrège comme la gomme sur la route. Concurrence, comparaisons et rapports de force n’ont pas lieu d’être dans cet univers. De façon très conservatrice, Michelin, Bridgestone, Continental, Goodyear et Pirelli cultivent leur pré carré. Ils représentent la caste la plus noble, celle des acteurs premium, et celle-ci semble fonctionner en cercle fermé. Ainsi va le pneumatique, marché où les leaders demeurent invariablement les mêmes.
Pour les "autres", le constat est amer. Loin de remettre en question la qualité de leurs produits, l’exhaustivité de leur offre, leur antériorité, leur savoir-faire, leur rayonnement ou leur force de frappe économique, nombre de concurrents que l’on qualifierait basiquement d’intermédiaires entendent chatouiller les leaders et inverser une tendance bien établie.
Vredestein/Apollo, des rôles bien définis
Qu’ils se nomment Hankook, Nokian ou Vredestein, tous ont des arguments à faire valoir. Le cas du néerlandais est assez significatif. Rattaché depuis 2009 au géant indien Apollo Tyres (19 000 employés, une présence dans plus de 100 pays, 2,3 milliards de dollars de CA), il a beaucoup œuvré et investi depuis quelques années pour changer de rang.
Si l’on s’en tient à la qualité de ses produits, plusieurs références de sa gamme ont été primées dans des essais comparatifs, et Vredestein a par ailleurs été élu fabricant de pneus toutes saisons de l’année 2019. Sur le plan de l’offre, plusieurs nouveautés ont permis d’enrichir un catalogue couvrant désormais tous les segments, toutes les dimensions et toutes les applications. Au niveau du rayonnement, la marque revendique une présence globale. Les Pays-Bas demeurent son plus gros marché avec un taux de pénétration évalué à 25 %, quand l’Allemagne s’avère un débouché intéressant avec une part de marché de 5 %.
Ailleurs, et notamment en France, tout est encore à construire. Raison pour laquelle, en 2019, une nouvelle feuille de route a été définie avec l’idée de boucler la "premiumisation" de la marque. Ainsi, la stratégie a été repensée et simplifiée. À Vredestein les marchés véhicules légers/SUV/camionnettes, classique, agricole et deux-roues ; à Apollo ceux du poids lourd et des bus.
Un site pensé pour faire du volume
Sur le plan industriel, le périmètre de l’usine néerlandaise d’Enschede (non loin du siège social d’Amsterdam) a été redéfini, celle-ci conservant les enveloppes de 20 pouces et plus, l’UHP (ultra haute performance) et l’agricole. Le reste, le mass market, revient dès lors au site hongrois de Gyöngyöshalász. Cette usine inaugurée en 2017, à la pointe de l’innovation et dotée de capacités sans commune mesure avec la première, se concentre sur les pneus VL de 15 pouces et plus, ainsi que PL et bus.
Fort de tous ces atouts, Benoit Rivallant, président français d’Apollo Tyres Europe, passe à l’offensive. Celui qui a assumé pendant vingt-cinq ans de nombreuses responsabilités chez Michelin à l’international (Jordanie, Syrie, Liban, Philippines, Hong Kong, Chine…) lance : "Nous avons des produits performants, des essais et des récompenses le soulignent, un portefeuille qui couvre tous les besoins, des outils industriels de pointe… Nous sommes un acteur premium. Vredestein est une marque premium!"
Et le dirigeant d’enfoncer le clou : "C’est même celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix du marché", faisant état de tarifs 10 à 15 % en dessous des "price leaders" pour un niveau de performance considéré équivalent. Pour lui comme pour tout le staff d’Apollo Vredestein, l’affirmation de cette conviction profonde se heurte pourtant au constat initial. Dans le pneumatique, seul le "big five" peut revendiquer l’étiquette premium…
Un emplacement central en Europe
La meilleure preuve se faisant par l’exemple, en attendant de faire bouger les lignes, la marque a décidé de valoriser son savoir-faire. Raison pour laquelle elle a ouvert les portes de son usine hongroise, pour la première fois, à la presse. Cinq ans après une inauguration en grande pompe à laquelle avait participé Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, ainsi qu’Onkar et Neeraj Kanwar, père et fils respectivement président et vice-président d’Apollo Tyres, Gyöngyöshalász s’est découvert et, il faut bien l’avouer, il aurait été dommage de louper ça.
C’est ici, à 80 kilomètres au nord-est de la capitale, Budapest, dans une campagne à peine troublée par le bruit de l’autoroute, qu’a été construit, moyennant 470 millions d’euros, cet immense bâtiment de 700 000 m2 (en cours d’agrandissement avec un ajout qui sera bientôt dédié au stockage). Une superficie huit fois supérieure à celle d’Enschede, ce qui en dit déjà beaucoup des ambitions de Vredestein.
L’emplacement ne doit rien au hasard puisqu’il s’avère central à l’échelle du continent et qu’il place la marque à proximité des sites de production de constructeurs automobiles comme Mercedes, BMW, Ford et les marques du groupe Volkswagen (VW, Audi, Seat). Loin d’être une priorité, l’équipement d’origine est un objectif pour Vredestein, en quête d’une reconnaissance et d’une notoriété qui ne feront que croître avec l’appui de ces prestigieux partenaires. "L’OE n’a pas vocation à peser 40 ou 50 % de notre activité, mais c’est un marché qui est important pour positionner la marque et qui offre une certaine crédibilité", ajoute Benoit Rivallant.
La danse des robots
À l’intérieur du site, tout a été pensé pour optimiser la performance industrielle, et c’est la modernité qui prévaut. Au regard de la taille de la structure, les 1 126 employés paraissent bien peu nombreux, et cela dit tout de la philosophie appliquée à Gyöngyöshalász. Tout le développement des pneumatiques répond ainsi à une logique d’automatisation. Un parti-pris valable côté véhicules légers, mais aussi côté poids lourd, ce qui constitue un véritable défi eu égard à la taille et au poids très variables de ces produits.
Le long corridor qui relie les différentes unités est rythmé par d’énormes tuyaux qui acheminent les matières premières vers la zone de mixage. Celle-ci se trouve à proximité immédiate d’un laboratoire chargé de contrôler, sans perte de temps, la qualité de la production. Dès cet endroit, on s’étonne de voir déambuler au-dessus de nos têtes des chariots complètement autonomes qui gravitent dans un espace dédié puis, un peu loin dans le processus de fabrication, d’apercevoir au-dessus des chaînes de production des casiers et des pinces qui vont et viennent pour guider, déposer et récupérer les pneumatiques.
Au cœur du projet d’Apollo Tyres
La seule étape qui n’est pas automatisée est celle du contrôle qualité final. On se disait que des robots bien paramétrés auraient pu faire l’affaire, mais Vredestein a choisi de confier cette mission à des opérateurs entre les mains desquels passent toutes les enveloppes. L’autre caractéristique de cette usine tient dans sa grande flexibilité. La production répond ainsi à une logique d’étapes bien compartimentées, plutôt qu’à celle d’une chaîne sur laquelle le pneu avancerait.
Mixage, mise en place des différentes couches et des différents éléments, mise en forme, vulcanisation : toutes ces opérations sont bien dissociées les unes des autres, ce qui permet d’optimiser la productivité de toutes les unités et d’ajuster chacune d’elles en fonction des demandes et des besoins. On ressort de Gyöngyöshalász un peu désorienté, avec l’impression d’avoir vécu le temps de quelques heures dans un monde parallèle, organisé au millimètre, où l’aléatoire n’a plus sa place… C’est sans aucun doute le meilleur des arguments que peut donner Vredestein.
De ce point de vue, la marque a gagné ses galons. De façon officieuse plutôt qu’officielle, elle prouve ainsi qu’elle est au niveau des meilleurs. Cette usine, et la marque Vredestein dans son ensemble, joueront un rôle majeur dans le développement futur d’Apollo Tyres, qui ambitionne d’atteindre 5 milliards de chiffre d’affaires d’ici 2026 en grandissant sur le marché américain, mais aussi en faisant de sa marque européenne un acteur dominant.