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Marché

Transports en autocars : Les promesses de la loi Macron

Publié le 19 avril 2015

Par Jérôme Fondraz
9 min de lecture
Le projet de loi du Ministre de l’Economie a prévu une disposition qui doit relancer le transport en autocar sur le territoire français, et indirectement, les activités des négociants en pneumatiques. Que faut-il en attendre vraiment ?   Le transport en autocar a longtemps été réglementé pour préserver le train. En France, le transport de […]

Le projet de loi du Ministre de l’Economie a prévu une disposition qui doit relancer le transport en autocar sur le territoire français, et indirectement, les activités des négociants en pneumatiques. Que faut-il en attendre vraiment ?  

Le transport en autocar a longtemps été réglementé pour préserver le train. En France, le transport de personnes est encadré par la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) depuis le 30 décembre 1982. Elle oblige les opérateurs qui veulent ouvrir une ligne à passer un contrat avec les autorités organisatrices de transports (AOT) au niveau régional, qui appliquent des règles concernant les dessertes et la politique tarifaire. Les transports occasionnels sont par exemple soumis à autorisation préfectorales, comme pour les voyages ou les sorties scolaires, les voyages touristiques organisés dans le cadre d’un comité d’entreprise, les déplacements pour les personnes à mobilité réduite, etc. C’est le cas également du transport régulier de voyageurs pour les lignes périurbaines et interurbaines, ainsi que les prestations de ramassage scolaire. Certaines destinations sont subventionnées ou jugées « d’intérêt national » comme la ligne reliant Paris à l’aéroport de Beauvais.

En revanche, les nouvelles liaisons à l’intérieur d’une même région ne sont pas possibles. Cette politique favorise évidemment le train, et aussi les moyens de transport individuels. Selon l’URF, la voiture particulière et les 2 roues ont assuré 82,9% des déplacements (un peu moins de 9,3 milliards de voyageurs-kilomètres parcourus en 2014), contre 5,3% seulement pour les autobus et autocars (10,4% pour le ferroviaire et 1,5% pour l’aérien). Ces proportions varieraient peu depuis le début des années 2000 (8,6 milliards de voyageurs-kilomètres en 2007). Les autocaristes doivent donc demander des autorisations pour couvrir des destinations, qui leur sont refusées presque la moitié du temps. Cette politique a créé un quasi-monopole pour Transdev, qui compte la Caisse des Dépôts et Veolia à parts égales dans son capital, et contrôle la compagnie Eurolines. Cette association de 29 transporteurs privés fondée en 1985, accueille 3,5 millions de voyageurs chaque année vers plus de 600 destinations à travers toute l’Europe et même au Maroc. En France, elle totaliserait 96% du marché des lignes longues distances. Keolis,filiale de la SNCF, reste de son côté le leader sur les réseaux urbains et interurbains, avec une présence dans 75 départements.

Ouverture au cabotage

Le 21 octobre 2009, une directive européenne a imposé à la France d’autoriser le cabotage dans le cadre du règlement (CE) n° 1073/2009, à partir du 1er décembre 2011. Cette nouvelle règle a permis de développer le transport en autocars pour les voyages transnationaux. Dès lors, Eurolines a pu embarquer un passager en Belgique, le déposer à Paris, en reprendre un autre à Lyon pour le déposer en Italie. Les trajets inter régionaux sont autorisés uniquement s’ils ont un point d’arrivée à l’étranger. Cette ouverture partielle a vu naître IDBus en 2012, filiale de la SNCF, qui a voulu exploiter le potentiel de ses gares pour développer une offre de transport par autocars pour ses voyageurs. Eurolines a créé 190 liaisons interrégionales et permet aujourd’hui de relier Paris depuis 25 villes françaises. Cette pratique reste cependant très encadrée puisque des conditions sont associées : nécessité de demander une autorisation et de caboter dans le cadre d’une destination internationale, avoir 50% de passagers nationaux au maximum, etc.

Deux ans après l’ouverture du marché français au cabotage, 602 liaisons interrégionales pour 80 points d’arrêts ont fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès du ministère des transports, rapporte l’URF. Sur le total, 60 % ont été acceptées et le reste a été refusé. Selon l’autorité de la concurrence, en septembre 2013, 61 villes étaient desservies par une offre de transport par autocar pour un total de 175 liaisons. D’autres acteurs ont essayé de trouver leur chemin dans ce nouveau contexte, tels que Starshipper appartenant au groupement de PME françaises Réunir, ou encore Megabus, de l’opérateur britannique Stagecoach. Mais les conditions n’étaient pas réunies pour un essor de ce moyen de transport. Selon un avis de l’Autorité de la concurrence, les autocars n’ont accueilli que 110 000 voyageurs en France en 2013, une goutte d’eau comparée aux 30 millions du Royaume-Uni. Les deuxtiers de l’activité proviennent des services réguliers organisés par les régions via les Autorités organisatrices de transport (AOT), tandis que le tiers restant est assuré par la demande privée, pour des voyages touristiques par exemple. « La France est géographiquement le plus grand pays d’Europe, celui dans lequel la mobilité est la plus essentielle. C’est donc un problème qu’il soit impossible de se rendre où on le souhaite sans prendre le train ou un véhicule particulier, par exemple de rejoindre Nantes depuis Bordeaux », a déclaré Emmanuel Macron. L’article 2 de son projet de loi propose donc de déréglementer le transport franco-français en autocar longue distance.

Dans ce contexte, des opérateurs, nationaux ou étrangers, pourront se livrer concurrence sur les destinations de leur choix. Néanmoins, pour les liaisons inférieures à 100 km, les AOT, régions ou départements, pourront toujours demander au nouveau régulateur (Arafer) de ne pas autoriser l’ouverture de lignes d’autocar si cela porte une atteinte substantielle à l’équilibre économique du service public, notamment de la ou des lignes concernées. Le ministère de l’économie estime que l’ouverture du marché pourrait conduire 5 millions de personnes à choisir l’autocar 12 mois après sa mise en oeuvre. Une hausse de l’offre de 50 %, comme cela a été observé dans plusieurs pays européens qui ont également déréglementé le transport longue distance par autocar, aboutirait à la création nette de 22 000 emplois. Selon le Figaro, une quarantaine de villes en France, grandes ou petites, pourraient être desservies par Eurolines très rapidement. De nouvelles offres seraient en préparation du côté de IDBus, car la SNCF a déja chiffré à 200 millions d’euros l’impact probable de la loi Macron.

Le bus et l’autocar superstars au Royaume-Uni

Pour soutenir sa proposition de loi, Emmanuel Macron s’est appuyé sur un rapport commandé à Jean Pisani-Ferry, commissaire général du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, France Stratégie. Il s’est penché sur l’expérience de plusieurs pays, qui ont déréglementé par le passé le transport en autocar. Alors que s’est-il passé chez nos voisins européens ? Effectivement, l’offre de dessertes se développe rapidement dès l’ouverture du marché, augmentant de manière exponentielle le nombre de passagers transportés. Le Royaume-Uni a été un des pionniers, cassant le monopole de la compagnie National Express, avec la loi du Transport Act de 1985, et celui du Chemin de Fer à partir de 1993. C’est aujourd’hui le marché le plus ouvert d’Europe à la fois pour les lignes urbaines et interurbaines, selon une étude de Peter White (Competition in the public transport in Great Britain) qui remonte à 2006.

Les compagnies d’autocars font concurrence au train, à des compagnies publiques ou privées, et mêmes entre elles sur certains trajets. Ils sont environ 30 millions d’anglais chaque année à utiliser ce moyen de transport, contre 8 millions en Allemagne. Quelques 1000 liaisons sont couvertes par les opérateurs. Cette antériorité de la dérégulation du marché, ainsi que des tarifs très compétitifs depuis l’arrivée du Groupe Stagecoach et de son opérateur Megabus en 2003 avec ses billets « low cost », expliquent ce succès outre-Manche. Le prix en autocar, pour un trajet équivalent, est de 30 à 60 % inférieur à celui du train. Pour autant, les concurrents de National Express ne sont pas parvenus à le détrôner et il conserverait encore 70% de part de marché, assurant quelques 1000 liaisons.

Deux fois plus de passagers transportés en Norvège

Jusqu’en 1998, la Norvège protégeait son Chemin de Fer de la concurrence de l’autocar. Cette politique a évolué progressivement sur certains trajets, en fonction des bénéfices pour les utilisateurs, jusqu’en 2003, date à partir de laquelle l’activité à été dérégulée. L’Institute of Transport Economics d’Oslo indique que le nombre de passagers transportés 4 ans après ces ceux réformes a plus que doublé à chaque fois, mais que cet effet s’est tassé ensuite. L’autocar aurait séduit principalement de nouveaux usagers et des automobilistes, et pour 2 tiers sur des trajets inférieurs à 200 km. Autre constat, une trentaine d’opérateurs est née lors de l’ouverture du marché et une vingtaine a survécu, après plusieurs opérations de fusion-acquisition, comme au Royaume-Uni et en Suède.

L’expérience norvégienne a également démontré que les compagnies d’autocar ont été capables d’ouvrir des lignes rapidement et l’offre de destinations a doublé dans les deux ans qui ont suivi la dérégulation de 2003. La Suède a déréglementé progressivement les transports en autocar de 1993 à 2012, au terme d’un processus en trois étapes. Le Figaro cite une étude publiée l’an dernier et intitulée « Réguler le transport en Europe » qui précise que cette ouverture du marché a largement redessiné le paysage concurrentiel. Trente-deux opérateurs proposaient des services de trajets longue distance en 2011, alors que 4 ans plus tôt, trois grands acteurs seulement se partageaient 79% du trafic. Le plus gros opérateur s’appelle Swebus Express et il propose 150 destinations à travers le pays. Eurolines assure la majeure partie des liaisons internationales.

L’exemple Allemand

Comme en Angleterre, le transport en bus et autocars est très populaire en Espagne, sauf que des concessions exclusives sont accordées sur certaines liaisons. En nombre de passagers-kilomètres parcourus, le pays détiendrait 12,5% de part de marché en Europe. Des distances longues et des destinations que le train ne couvre que partiellement, sont à l’origine du succès de ce moyen de transport. L’Espagne compterait une centaine de lignes desservies, d’une longueur moyenne de 800 km, ainsi que 32 millions de voyageurs par an. En Italie, les lignes d’autocars couvrent principalement les régions du sud, moins bien desservies par le train. Le marché des lignes interrégionales a été libéralisé entre 2005 et 2007, sans provoquer un afflux de nouveaux opérateurs. L’Allemagne est le dernier pays à avoir déréglementé ses lignes interrégionales. Cette libéralisation a eu lieu en janvier 2013. Auparavant, les liaisons par autocars entre les différentes régions étaient autorisées si elles n’entraient pas en concurrence avec les trains de la Deutsche Bahn.

La première année, selon un rapport publié par l’Association fédérale des exploitants d’autobus et d’autocars allemands, fin 2013, les autocars longue distance ont opéré 5 100 trajets en Allemagne chaque semaine, contre 1540 au début de la même année, soit une augmentation de 230%. Près de 200 liaisons interurbaines ont été créées et le nombre de passagers transportés à l’intérieur de l’Allemagne et au départ du pays est passé de 3 millions en 2012 à 8,2 millions en 2013, selon France Stratégie. Il devrait avoir doublé en 2014. Les autocars auraient surtout pris des parts de marché à la voiture et favorisé la mobilité de personnes qui se déplaçaient pas ou peu. La Deutsche Bahn estime que cette nouvelle concurrence lui a porté un préjudice d’environ 20 millions d’euros et que 2% de sa clientèle seulement est impacté par un report modal vers l’autocar. Comme la SNCF, elle a créé sa propre société (IC Bus). La libéralisation a également eu un effet immédiat sur les prix, qui ont baissé pour marquer leur avantage. Ainsi, en 2013, le prix moyen d’un trajet en car était d’un peu moins de 15 euros pour 100 kilomètres tandis que, pour un trajet équivalent, celui d’un billet de train était de 30 euros pour 100 kilomètres.

Hausse des immatriculations en Allemagne

Ce tour d’Europe confirme de belles perspectives pour le transport de personnes dans l’Hexagone. L’autocar devrait séduire en priorité une clientèle de jeunes et de personnes âgées, moins soumise à des impératifs de temps. Les liaisons interrégionales vont se multiplier et concurrencer parfois le train, tirant les prix vers le bas. Le groupe de transport britannique Stagecoach a pris les devants. Sous la maque Megabus, il a lancé le 9 mars dernier une nouvelle ligne de bus entre Toulouse et Paris pour la modique somme de 15 euros en moyenne. Les négociants en pneumatiques et les manufacturiers peuvent se frotter les mains. Comme d’autres patrons de réseaux et responsables commerciaux chez les manufacturiers interrogés, Hervé Dabin confirme que le sujet d’une déréglementation du transport en autocars retient vivement son attention. « Nos équipes de la division industrielle sont mobilisées sur le sujet. Si la loi est votée, nous seront prêts pour en tirer le meilleur parti possible ». « Les ventes de pneus à la première monte en profiteront d’abord », souligne Yann Le Chevalier, responsable marketing poids lourd de Continental France. « Celles sur le marché du remplacement interviendront fin 2016, début 2017 ».

Ce sont surtout des autocars de plus de 16 tonnes à 2 ou 3 essieux qui devraient bénéficier de cette ouverture. La France est le premier marché d’Europe sur ce segment avec 4750 unités vendues en 2014. Mais l’Allemagne est désormais sur ses talons avec 120 unités de différences l’année dernière, une conséquence probable de la libéralisation de son marché début 2013. En effet, les immatriculations de bus et autocars neufs de plus de 16 tonnes ont augmenté de manière régulière depuis 2012 en Allemagne. En 2013, l’année de la déréglementation du marché, elles ont progressé de 8,6% par rapport à 2012 sur un marché de l’UE15 en hausse de 2,3%. Cette tendance haussière s’est poursuivie en 2014, à un rythme plus lent. Les immatriculations étaient en hausse de 3,2% par rapport à 2013 sur un marché de l’UE15 en hausse de 0,5%. Les pays frontaliers pourraient également avoir bénéficié de cette ouverture. En 2013, les ventes de bus et autocars neufs ont également fait l’objet d’une forte croissance en France (11,8%), comme en Italie (51%), ce qui explique leur recul respectif de 12,7% et 30,1% en 2014. Les immatriculations de bus et autocars neufs de plus de 3,5 t à 16 t se concentrent au Royaume-Uni, qui totalise plus de 44% du marché de l’UE15. Elles ont progressé en Allemagne jusqu’en 2013, et connu un pic en 2012 et 2013 au Royaume-Uni. Sur ce segment, les ventes en Europe ont progressé fortement en 2012 (12,7%) et 2013 (20,7%), avant de repartir à la baisse en 2014 (-9,9%). Reste que les conditions ne sont pas tout à fait réunies pour une croissance rapide du transport en autocar. Le rôle des gares routières est essentiel pour favoriser la complémentarité des modes de transports ainsi que le report modal vers les transports collectifs. Et là, c’est une autre histoire. Les villes françaises ne sont pas encore au niveau, selon l’Autorité de la Concurrence.

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