Contrôle des Adas : du retard dans les réseaux
Qu’ils servent à maintenir le véhicule dans sa voie, à garder ses distances de sécurité, à détecter des angles morts ou des panneaux ou encore à réaliser des freinages d’urgence automatiques, les systèmes d’aide à la conduite sont nombreux dans les véhicules et possèdent de multiples vertus. Dès lors, la maintenance de ces technologies s’avère un véritable enjeu.
Et si le recalibrage des caméras et/ou des radars (selon les modèles), car c’est bien de cela qu’il s’agit, est plutôt bien établi dans les réseaux de vitrage et de plus en plus dans ceux de carrosserie, cette opération l’est beaucoup moins dans la sphère mécanique.
"Schématiquement, on peut dire que c’est un sujet bien intégré chez les spécialistes du vitrage, connu, mais pas toujours réalisé dans les réseaux de carrosserie, et très peu assimilé et pratiqué dans les centres autos et chez les pneumaticiens", résume Éric Blaizeau, responsable du pôle mécanique et électrique du Cesvi France.
"Dans le vitrage, ça rentre dans les mœurs. Dans la carrosserie, ça commence à l’être effectivement mais le recalibrage n’est pas automatique, car les experts ne prennent pas toujours en compte ce type d’opérations. Je pense qu’il y a un déficit de formation à ce niveau-là", complète Jean-Christophe Canavesio, dirigeant de Digital Car, société spécialisée depuis 2018 dans les prestations de ce type sur site.
Un sujet mal assimilé par les professionnels
Le Cesvi, de son côté, en tant que centre de formation et de recherches techniques, voit passer entre les mains de ses experts des dizaines de véhicules chaque année. C’est à partir de toutes les analyses effectuées que cette problématique a émergé. "C’est un sujet très important, qui touche directement à l’aspect sécuritaire, et qui est pourtant très mal connu des professionnels", souligne Éric Blaizeau. Et le responsable d’étayer son propos.
Si le recalibrage paraît naturel lors d’un changement de pare-brise, par exemple, dans la mesure où les caméras y sont logées, il l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’une opération sur le train roulant. Pourtant, ces technologies fonctionnent en prenant en compte l’axe de trajectoire du véhicule. Un axe qui dépend d’un angle de poussée qui est lui-même défini par le parallélisme du véhicule. Conclusion : si on modifie le parallélisme, il faut donc reparamétrer les informations qui parviennent aux caméras (auxquelles on donne une mire comme référence) et aux radars (auxquels on expose un obstacle pour répercuter son écho).
Or, aujourd’hui, et sans incriminer quiconque, Éric Blaizeau estime que la plupart des enseignes du secteur passent à côté du sujet. Ce que ne nient pas les principales intéressées. "On a des lacunes… oui, c’est vrai, mais on travaille sur cette question depuis 24 mois", souffle Jean-Bernard Haegy, responsable du développement tourisme et utilitaire de BestDrive. "Je crois qu’on peut difficilement incriminer les réseaux pour la bonne et simple raison qu’il existe un véritable flou réglementaire depuis des années", défend Franck Mathieu, directeur d’Eurotyre et de la franchise BestDrive.
Des recommandations, mais pas d’obligation
En effet, si ces technologies se généralisent, la législation demeure peu précise sur le fait d’opérer un recalibrage ou non des véhicules. Beaucoup de recommandations, mais aucune obligation car, en définitive, ce sont encore les constructeurs automobiles qui donnent un semblant de "la". Et cette problématique étant aujourd’hui très peu structurée, la remontée d’informations s’avère un casse-tête. "D’une marque à une autre, les préconisations ne sont pas les mêmes, les tolérances non plus et aucune pratique homogène ne peut être définie", développe Franck Mathieu.
"Cet accès à la data est tellement fort que, pendant longtemps, dans les réseaux, on ne savait même pas qu’il fallait recalibrer les Adas. Et aujourd’hui que le sujet avance, on ne sait toujours pas sur quels véhicules le faire…", déplore Jean-Bernard Haegy. Considérant que les choses évoluent désormais dans le bon sens, bien qu’à pas feutrés, d’autres freins restent à lever.
Celui de l’équipement en est un important. Réaliser ce type d’opérations demande du matériel de pointe et, forcément, un investissement substantiel. Il y a encore quelques années, celui-ci pouvait facilement s’élever à 30 000 euros. Aujourd’hui, alors que l’offre se développe à mesure que le sujet se démocratise, d’autres fabricants se positionnent sur ce marché, pouvant faire descendre l’effort financier à 15 000, voire 10 000 euros.
Une somme qui demeure conséquente pour les entreprises. "Ça ne paraît rien, mais dans la construction de notre offre, le référencement du matériel nous a demandé beaucoup de temps, indique le représentant de BestDrive. Il ne fallait pas se tromper pour nos adhérents."
Une prestation difficile à facturer
Pour amortir l’investissement, plusieurs réseaux planchent sur une organisation hybride : s’équiper, oui, mais pas partout. Sur une zone définie, l’enseigne va ainsi rattacher plusieurs sites à un centre référent qui disposera du matériel adéquat et mutualisera son utilisation. Autre défi à relever : celui de la formation. Raison pour laquelle l’enseigne du groupe Continental a intégré le recalibrage des Adas dans les cursus de son centre de formation. Ultime écueil, la stratégie commerciale est, elle aussi, un vrai sujet de réflexion.
Dans la mesure où les réseaux partent d’une feuille blanche, difficile d’analyser le marché, et encore moins de définir une grille tarifaire pertinente pour le client comme pour le réparateur. "Là, on touche une problématique de fond, pose Jean-Bernard Haegy. On dit que le vitrage est plus en avance sur cette question. C’est vrai, mais cela est dû aussi à son principal représentant qui, de façon très habile, propose depuis quelques années un recalibrage complet des Adas. C’est un sacré coup marketing. Sauf que dans ce cas de figure, l’opération est bien souvent prise en charge par les assurances et ne demande donc aucun effort du client. Pour nous, tout est bien différent…"
Facturée environ 200 à 250 €, cette prestation est plutôt intéressante pour les réseaux qui peuvent confortablement marger dessus. Encore faut-il réussir à "faire passer la pilule" auprès de l’automobiliste…
Rien de rédhibitoire
"Le consommateur est-il prêt à débourser une telle somme pour, entre guillemets, un simple contrôle géométrique ? interroge Franck Mathieu. Même s’il le faut, rien n’est moins sûr." "Quand on facture 70 € une géométrie, il est difficile de refacturer 2 ou 3 fois ce montant pour le recalibrage des Adas. On touche là à un problème culturel. Il faut que les gens prennent conscience de l’importance de ce type d’opération", souligne en bon observateur Jean-Christophe Canavesio.
Il prédit la mise en place de forfaits à plusieurs niveaux, avec le contrôle d’un certain nombre d’Adas en fonction du tarif. Cependant, tous les représentants conviennent que les prix tendront à baisser à mesure que la pratique deviendra courante dans les centres, rendant la pilule un peu moins grosse.
En définitive, si l’on évoque là un sujet crucial, celui-ci doit aussi être replacé dans un contexte plus global. Les centres autos et pneumaticiens ne sont pas les premiers à accueillir les véhicules les plus récents (moins de 2 ans) qui, dans une proportion non négligeable, restent traités dans les réseaux constructeurs.
Sans être en avance, les premiers ne sont pas fondamentalement en retard, ces véhicules mettant en réalité du temps à s’intégrer de façon massive chez eux. Constat d’autant plus vrai dans un réseau comme BestDrive qui dépend beaucoup du BtoB, et donc d’une clientèle qui renouvelle rapidement son parc. En résumé, s’il convient de l’entendre, le constat actuel du Cesvi n’a rien de rédhibitoire pour les professionnels du secteur. L’organisation se tient d’ailleurs à disposition des réseaux pour les sensibiliser sur cet enjeu et faire avancer le sujet.
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Information et formation vont de pair
Les problématiques à relever autour du recalibrage des Adas dans les réseaux sont multiples. Parmi elles, deux sujets clés : l’accès à l’information et à la formation. Comme tous ses concurrents, Point S, enseigne n° 1 dans l’Hexagone avec 640 implantations, n’est pas particulièrement avancée en la matière. Ce que confirme son responsable formation, Christophe Cappe, qui pose ce double paradoxe.
"Aujourd’hui, il y a du retard, or un véhicule entre bien plus couramment dans un garage pour une opération de géométrie que de vitrage. Et qu’il s’agisse d’un changement de suspensions, de rotules ou de triangles, il faut absolument recalibrer les aides à la conduite. Avec ou sans alerte du véhicule, le professionnel doit faire ce travail." C’est rarement le cas, essentiellement "par manque d’information", observe-t-il.
Le sujet est tellement important que Point S a fait le choix, en début d’année, de renforcer son dispositif de formation avec un double module qui comprend la géométrie et les Adas, les deux étant désormais indissociables. "Il faut que l’on fasse, tous ensemble, ce travail de sensibilisation. C’est comme ça que le sujet avancera", affirme Christophe Cappe. D’un point de vue opérationnel, les adhérents peuvent se tourner vers les partenaires référencés par leur tête de réseau pour s’équiper.
Preuve que cette stratégie porte ses fruits, de plus en plus de membres se lancent dans cette voie, Point S misant aussi sur une émulation collective pour accélérer le mouvement. Reste la question du client final, et du coût que représente un recalibrage pour lui. Là encore, tout est une question d’information. "Bien sûr que c’est plus compliqué pour nous de facturer ce type de prestation que dans un réseau de vitrage, note le responsable. Ce qui compte fondamentalement, c’est de bien expliquer les choses au client, notamment sur les enjeux du recalibrage. Si ce travail est bien fait, il comprend que c’est nécessaire."
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Digital Car, l’alternative qui a du sens
Fondée en 2018, la société de Jean-Christophe Canavesio n’en finit plus de grandir. Début 2023, elle s’est déployée dans le Sud-Est avec une nouvelle unité d’intervention. Sa quinzième, au total, ce qui lui permet de couvrir 80 % de l’Hexagone et de réaliser des contrôles d’Adas. Une spécialité sur laquelle le dirigeant a choisi de miser voilà donc cinq ans, conscient des besoins d’un marché chamboulé par l’arrivée de ces nouvelles technologies. "Le recalibrage des aides à la conduite nécessite une vraie expertise technique et un outillage spécifique, note-t-il. Ça a finalement beaucoup de sens de sous-traiter ce service."
Ses licenciés, tous formés au Cesvi, répondent à plusieurs problématiques comme l’investissement financier du matériel, la place prise par celui-ci, le savoir-faire lié à des équipements pointus ou la réactivité. Digital Car garantit en effet une intervention sous 72 heures (130 € HT) pour un recalibrage de la caméra d’un pare-brise, 220 € HT pour un dispositif radar de face avant, une caméra de recul ou d’assistance au changement de voie, et 300 € HT pour l’ensemble.
Ses principaux clients sont des spécialistes du vitrage et des enseignes de carrossiers de premier plan, mais la société aimerait s’ouvrir à de nouveaux horizons, eu égard au potentiel de ce marché. Aujourd’hui, Digital Car réalise 11 000 interventions par an. Toutefois, "si demain tout était recalibré, comme il faudrait logiquement le faire, nous pourrions aller beaucoup plus loin. Rien qu’en Ile-de-France, on pourrait passer de 3 à 7 ou 8 unités", complète le dirigeant.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°179 de mars-avril 2023.