Emmanuelle Gaspard : la réussite de l’engagement

Et voilà comment une simple année sabbatique est devenue une aventure de 24 ans ! L’univers de l’entrepreneuriat recèle d’histoires toutes plus intéressantes les unes que les autres, dans lesquelles les contre-pieds côtoient les virages à 360 degrés. Le cœur a ses raisons que la raison ignore, et il faut toujours beaucoup de cœur pour monter une entreprise.
Fille d’agriculteurs, Emmanuelle Gaspard connaît bien le sens du mot "travail". Enfant, elle voyait ses parents ne jamais compter leurs heures, sur le pont sept jours sur sept comme tant de professionnels de la terre. Le sens du mot "pneu" lui était en revanche beaucoup moins familier et il le deviendra presque par hasard.
Après ses études supérieures, la Meusienne débute sa carrière dans le monde de l’exportation. Elle travaille dans une entreprise commercialisant des produits haut de gamme et fait le tour du monde pour accompagner des architectes dans leurs créations. Une vie faite d’itinérance, de découvertes et de passion. "J’ai toujours voulu travailler à l’international. J’adore voyager. J’adore les langues vivantes" résume-t-elle. Une expérience exaltante qui durera une dizaine d’années.
Son époux, avec qui elle est aujourd’hui mariée depuis trente ans, est quant à lui à la tête d’une petite entreprise de transport à Saint-Dizier (52). Au début des années 2000, il souhaite se réorienter en devenant concessionnaire pour une grande marque automobile allemande. Mais la sous-préfecture de la Haute-Marne n’a pas le potentiel des grandes agglomérations et le projet n’est pas viable.
L’échec n’était pas permis
Loin de se laisser abattre par cette déception, il décide alors de se lancer dans le pneumatique en montant son propre centre. Un choix qui ne doit rien au hasard. Saint-Dizier voit passer quotidiennement entre 8 et 10 000 poids lourds. La ville est également à mi-chemin entre Paris et Strasbourg et se trouve sur l’axe Lille-Dijon.
Bien senti, le projet n’en demeure pas moins impactant pour toute la famille. En 2001, les Gaspard sont alors parents d’un petit garçon de deux ans (un second naîtra trois ans plus tard) et l’échec n’est pas permis. Emmanuelle met sa carrière de côté et prend une année sabbatique pour accompagner son époux dans cette aventure en tant que directrice adjointe. En avril, Gaspard Pneus Diffusion (également appelé Pneus Diffusion) ouvre ses portes.
Plus grand et plus moderne que ses deux principaux concurrents locaux, le centre dénote mais souffre d’être le dernier arrivé. La première année s’avère compliquée mais, dès la seconde, l’entreprise devient rentable. "On avait investi toutes nos économies et on se devait de réussir autant pour nous que pour notre famille. Mais on est des battants, on croyait trop en notre projet. On s’est relevé les manches avec nos deux commerciaux et on a progressivement fait notre place."
Convaincu par son projet de vie, le couple se dévoue à la tâche, travaille du lundi matin au samedi soir, et apprend aussi mois après mois ce nouveau métier. "Ce n’est jamais simple de changer de voie, confirme la dirigeante. Le pneu est un produit très technique, avec lequel on ne peut pas improviser et qui demande donc de réelles connaissances. Mais j’ai cherché à comprendre, à apprendre, et ça m’a tout de suite intéressée."
Une transition à digérer
À cette époque, et toujours aujourd’hui, Emmanuelle doit faire face aux remarques misogynes de quelques rustres. De quoi forger la carapace. "Ça arrive souvent qu’un client me dise qu’il veut parler à un technicien… Sauf que le technicien est une technicienne et que c’est moi ! Il faut faire preuve de caractère, avec du répondant mais ne pas s’offusquer" pose-t-elle.
Le plus dur pour Emmanuelle Gaspard, lors des premiers mois, est en réalité ailleurs. La simple année de pause dans son ancienne vie trépidante est devenue un arrêt définitif et, comme une situation n’est jamais tout à fait blanche ou noire, la trentenaire se plaît dans son quotidien tout en nourrissant une forme de nostalgie du passé. "Passer d’un poste itinérant à un autre sédentaire a été le plus difficile. Je voyageais beaucoup, régulièrement dans des pays sympas, et me retrouver tous les jours à l’agence m’a demandé un temps d’adaptation."
D’autant que, dès le départ, la gestion courante de la boutique repose en bonne partie sur elle. De façon stratégique, les Gaspard ont investi dès l’ouverture dans un camion d’intervention, avec Patrick au volant, pour dépanner les clients. Un choix encore payant puisque même avec un centre mixte, 70 % de leur activité repose sur l’industriel.
Au bout de cinq ans, en 2006, alors que leur centre a trouvé sa place sur le marché bragard, un premier virage s’opère. Jusque-là indépendant, Pneus Diffusion intègre le réseau Vulco. Une décision qui s’imposait pour séduire toujours plus de flottes de transporteurs et être accompagnés dans l’évolution de leur entreprise.
L’un des premiers franchisés Euromaster
En 2011, nouveau changement. Le couple est sollicité par Michelin pour participer à la création de la franchise de son réseau Euromaster. Une main tendue qui surprend alors les deux dirigeants. "Être démarchés par Michelin nous a interloqués, développe Emmanuelle Gaspard. C’était certes très flatteur, mais on ne comprenait pas pourquoi un centre comme le nôtre, pas très grand, pouvait intéresser un tel groupe. Au final, on a accepté de rejoindre l’enseigne et on n’a jamais regretté ce choix."
Devenu à cette époque le 9e centre franchisé d’Euromaster, Pneus Diffusion fait ainsi partie des pionniers d’une entité qui compte aujourd’hui 200 sites en franchise (pour 450 en tout) et a fait de ce modèle un pilier stratégique de son développement. Depuis quatorze ans qu’il affiche les couleurs du réseau, le centre de Saint-Dizier a bien grandi.
Alors que la ville s’est progressivement vidée de ses habitants (avec une population qui est passée de 37 000 à 22 000 entre 1975 et 2022, selon l’Insee) et que de nombreuses entreprises de transport ont disparu, les Gaspard n’ont quant à eux jamais changé de voie.
"Nous, on fait notre chemin. On progresse tous les ans parce qu’on continue d’aller chercher de nouveaux clients et on prend soin de ceux qui nous font déjà confiance", souligne la dirigeante. Notamment en faisant une visite hebdomadaire sur site de toutes ses flottes. La force de cette entreprise est aussi d’avoir su évoluer avec le temps. Si l’idée pour Emmanuelle et Patrick d’ouvrir un deuxième site a pu leur effleurer l’esprit, elle a très vite été balayée.
Une proximité cultivée avec les clients
À la place, ils ont préféré investir autrement. "À nos débuts, on avait deux baies par lesquelles on entrait les véhicules pour les prendre en charge. Aujourd’hui, 90 % de notre activité industrielle se fait directement chez les clients. Plutôt que d’avoir un autre centre, on a préféré développer notre flotte de véhicules d’intervention. On en a cinq désormais et on couvre avec une large zone qui va jusqu’à 30 km pour nos clients et beaucoup plus loin pour les dépannages."
L’entreprise de dix salariés revendique donc un rayonnement local (avec 80 % des sociétés de transports desservies) et même régional. Alors que le fils cadet du couple évolue désormais aux côtés de ses parents en tant que technicien poids lourd, l’heure de la transmission n’a pas sonné pour Emmanuelle Gaspard. Si pour elle, cette entreprise est un peu son "troisième bébé", la retraite n’est pas pour tout de suite.
Quant à l’idée de transmettre cet héritage construit depuis près de 25 ans, la réflexion n’a pas commencé. "Notre fils n’a que 22 ans. Aura-t-il envie de rester avec nous ? Voudra-t-il gérer une entreprise ? On est très loin de tout ça" jure-t-elle. Peut-être aussi parce qu’en attendant de passer la main, d’autres projets animent la dirigeante.
Renforcer encore les positions du centre à Saint-Dizier, "en devenant l’acteur indispensable" du pneumatique local, fait partie des ambitions. Se développer dans l’agricole, domaine qui présente un potentiel certain mais demande une organisation spécifique, en est une autre. C’est comme cela qu’Emmanuelle Gaspard envisage l’avenir. Avec toujours le même engagement.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°189 de mars-avril 2025.