Pierre Guirard, Wyz Group : "Notre force est d'apporter des solutions clé en main à nos clients"
Wyz Group surfe depuis de nombreuses années sur une dynamique très positive. L’année 2023 a-t-elle été encore une fois synonyme de croissance ?
Oui, toujours de la croissance, pour la 11e année consécutive ! On est passé de 125 en 2022 à 140 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, ce qui est bien, car le marché demeure assez complexe. Derrière cette croissance, il y a beaucoup d’enjeux.
Notre métier change énormément. On brasse des millions de données quotidiennement. On automatise des flux pour nous, mais aussi principalement pour nos clients. On gère aujourd’hui des dizaines de milliers de stocks. Donc, notre métier qui portait essentiellement sur le retail – on vendait des pneus et on les achetait en dépannage quand ils étaient manquants, en s’appuyant sur des solutions relativement simples – évolue vers de la solution.
Il faut qu’on puisse s’appuyer sur des outils beaucoup plus pointus, avec énormément de données sur les stocks de nos partenaires et de nos clients. Il faut mettre au point des plateformes de plus en plus sécurisées. Au final, on continue d’avoir cette activité de retail, mais on développe aussi énormément celle dédiée à la création de solutions.
En 2009, lors du 10e anniversaire de votre société, vous expliquiez que la data allait devenir votre principale richesse. On y est aujourd’hui ? Une grande partie de votre métier repose là-dessus, n’est-ce pas…
C’est certain, on a beaucoup évolué sur ce sujet. C’est une richesse à plusieurs niveaux. Un premier porte sur la richesse instantanée, c’est-à-dire la capacité de trouver un produit ou un service, à quel prix, dans quelle quantité, avec quel fournisseur, etc. Un deuxième concerne la donnée analysée, donc on bascule dans la construction d’outils pour anticiper ce qui va se passer, et non plus faire du dépannage pur et dur. Et on a là effectivement beaucoup d’informations qu’il a fallu organiser. C’est un vrai métier sur lequel on s’est structuré depuis deux ans.
Ne sommes-nous qu’aux balbutiements de cette évolution ?
Qu’on se concentre sur le pneumatique ou qu’on élargisse à l’après-vente automobile, il y a beaucoup de données qui sont aujourd’hui inexploitées. Or, tout cet équilibre que les plus anciens comme moi ont connu, au sein duquel le pneu était souvent la dernière roue du carrosse, évolue avec un produit qui devient prioritaire. C’est la raison pour laquelle il y a un vrai terreau d’analyse et de travail, et indirectement de création de valeur. Pour ne pas subir, il faut avoir la capacité d’anticiper le futur.
Pour en revenir à la réussite de Wyz, c’est rare de performer autant sur une si longue durée. Lorsque vous avez fondé votre société il y a quinze ans, aviez-vous imaginé qu’elle puisse devenir ce qu’elle est aujourd’hui ?
À l’époque, je pouvais rêver de ça, mais je n’en avais absolument aucune idée. Ce dont je suis le plus fier aujourd’hui, c’est notre régularité. On a crû progressivement, étape par étape, année après année, et on a construit quelque chose de solide. On reste un petit parmi les gros dans cette industrie, mais on a bâti des partenariats solides avec nos clients. Maintenant, il faut toujours raison garder.
Cette logique de croissance du chiffre d’affaires qui a accompagné nos dix ou quinze premières années, on s’en détache progressivement pour se concentrer sur la transformation de l’entreprise. Peut-être qu’on ne le souligne pas assez, mais Wyz est une entreprise qui investit beaucoup dans les outils et les nouvelles technologies. On y a consacré 4 millions d’euros en 2023, soit quatre fois plus qu’en 2021, et on va maintenir ce rythme en 2024.
Vous dites que vous êtes un petit parmi les gros, mais vous êtes surtout un "unique" parmi les gros, car votre modèle n’a jamais été copié…
C’est vrai qu’il n’a jamais été copié dans sa globalité. D’où l’importance de prendre les devants, d’innover sans cesse. On a désormais 50 % de notre effectif qui est composé d’ingénieurs ou de data managers. De ce point de vue, on a beaucoup évolué, et si on veut rester atypique sur ce marché, il nous faut continuer dans cette voie. Tout le monde reconnaît notre expertise pneumatique et digitale, mais il faut aller vite et construire pour demain.
La force de Wyz est d’être un facilitateur, sur le business du pneumatique, pour différents acteurs de l’automobile. C’est plus que jamais votre credo ?
C’est exactement ça. On se place au centre de l’écosystème, en ayant cette capacité de faire du liant entre les différents acteurs du marché, en essayant de créer de la valeur sur des niches qui ne sont pas forcément travaillées par d’autres, mais qui demeurent importantes pour nos clients.
Prenons l’exemple de nos plateformes de redistribution. On a créé la première pour le groupe Gueudet en 2012, donc on a plus de onze ans de recul et d’expérience. On travaille aussi avec tous les constructeurs et tous les principaux groupes de distribution. C’est ça, notre spécificité. On a pris cette niche, on a identifié les besoins et ce créneau nous permet de nous différencier et de créer de la valeur ajoutée pour nos clients.
On voit bien que le pneumatique redevient un produit stratégique en après-vente. Mais le marché a-t-il l’expertise nécessaire pour bien aborder ce virage ?
Pour moi, il y a clairement un manque à plusieurs niveaux. Les solutions digitales doivent permettre d’aller plus vite en automatisant les flux et en rassemblant l’offre. On a chez Wyz Group la capacité d’apporter une solution qui permet à nos clients de gagner du temps. Parce que si tu vas plus vite, tu as cette capacité à savoir si le produit est disponible, à quel prix tu vas l’acheter, à proposer à ton client un devis plus rapidement… Donc tu vas gagner en performance par rapport à tes confrères.
Ce manque d’expertise est particulièrement prégnant sur le volet digital. Le monde de l’automobile est-il en retard, selon vous ?
C’est l’autre versant du sujet. Quand je vois la digitalisation de certains acteurs, je me dis que ça ne va pas assez vite. Et en même temps, certains se disent qu’en déployant une plateforme en ligne, ça va fonctionner. Sauf qu’une activité digitale se construit. Les gros acteurs qui ont une activité web forte travaillent ce sujet depuis plus de dix ans.
Après, si on compare l’automobile à d’autres secteurs, on peut relativiser ce retard. Je pensais vraiment qu’après la période Covid, il y aurait une accélération très importante, mais la dynamique est retombée. Ça s’explique par l’enchaînement des crises, mais aussi par une méconnaissance du sujet. Il faut être accompagné sur la durée.
Pour en revenir à Wyz, vous êtes aujourd’hui le principal partenaire des groupes de distribution pour leur activité pneumatique. Qu’est-ce qui explique ce succès ?
On est présent dans neuf pays, mais la France reste notre marché principal, où l’on travaille avec quasiment tous les constructeurs et les principaux groupes de distribution. Notre particularité est de n’être jamais contre untel ou untel, mais de travailler pour tout le monde. Les groupes multimarques veulent avoir une approche généraliste, avoir la capacité de gérer l’intégralité de leurs flux et de pouvoir les réorienter… Cette capacité à gérer ces multiples flux est notre principal atout.
Le second tient à notre expertise et à notre indépendance, qui sont reconnues par tous ces acteurs. On est là pour concevoir des solutions façonnées pour le client. Et c’est lui qui prend la décision d’orienter. On va l’aider à gérer sa distribution, sa redistribution, ses devis, pouvoir se connecter à ses tablettes après-vente… et faire tout ça dans un environnement hyper complexe.
Quand on voit la multiplication des références, des marques, des types de produits, des saisons, à l’échelle d’un groupe multimarque, c’est un enfer à gérer. Avoir cette capacité à gérer les stocks et à anticiper les problèmes logistiques permet d’avoir un fonctionnement plus optimal.
Ce sujet est trop complexe à aborder sans l’appui d’un spécialiste ?
Ces groupes ont tellement de projets, ils doivent tellement se réinventer, poussés notamment par les constructeurs, qu’ils ont l’obligation d’aller très vite. Et ils y arrivent, en tout cas c’est le sentiment que j’en ai, vu de ma fenêtre. Sur la partie pneumatique, ce qui fait notre force, c’est qu’on amène des solutions clé en main à nos clients, leur permettant de se concentrer sur d’autres produits ou domaines.
Les groupes de distribution continuent de se massifier, mais aussi de s’étendre au-delà de nos frontières. Êtes-vous attendus aussi sur cette capacité à suivre leurs développements ?
Ils nous attendent sur ce point, mais pas uniquement. Ils ont aussi besoin qu’on les accompagne pour aller soit vers d’autres clients, soit vers d’autres activités. Prenons l’exemple de Spid Tech, que l’on a racheté et qui réalise des plateformes destinées à la distribution automobile pour la commercialisation d’accessoires. Ça fait partie de cet accompagnement. On se rend compte que ce marché pèse deux milliards d’euros en France et que les distributeurs ne représentent que 10 % de ce total. On va donc les aider à s’en saisir.
À propos de Spid Tech, justement. Wyz est entré au capital de la société en 2021 et le rachat total est effectif depuis la mi-décembre. Quel bilan faites-vous de ce rapprochement ?
On a beaucoup appris. C’était la première entreprise que l’on rachetait. Il a fallu intégrer Spid Tech dans la culture, forte, de Wyz. Ce qui demande du temps. Les cofondateurs s’inscrivent pleinement dans cette démarche, et c’est très positif. Par ailleurs, Spid Tech a une stratégie orientée BtoBtoC alors que Wyz fait du BtoB. C’est justement ce qu’on est allé chercher auprès d’elle. On a beaucoup travaillé sur l’automatisation entre nous des outils. Et aujourd’hui, tout est prêt. Cette étape nous a demandé énormément de travail. La deuxième étape portera sur la commercialisation de solutions communes.
Vous sentez qu’il y a aussi un vrai besoin du marché sur cette problématique des accessoires ?
Il y a un besoin dans les groupes de distribution automobile, mais aussi chez de nombreux professionnels de l’automobile. Un concessionnaire, un réparateur ou un spécialiste du pneu, contrairement à un centre auto, n’a pas cette offre dans son point de vente. C’est là qu’un appui digital assez fort peut avoir beaucoup de sens. D’autant qu’on parle de produits qui ne sont pas hyper techniques. Au moment où il faut aller chercher du business, on peut le faire sur le pneu et désormais les accessoires, grâce aux solutions développées par Wyz.
Parlons de votre développement à l’international, puisque vous êtes présent dans neuf pays européens. Qu’en est-il de votre stratégie sur ce point ?
Ça s’accélère depuis deux ans. On a réussi à s’implanter en Allemagne avec un acteur majeur, Toyota, comme partenaire, qui nous donne de la crédibilité et la capacité à aller voir d’autres acteurs. Ceci dit, nous ne sommes pas dans une logique absolue de recherche de chiffre d’affaires. On s’inscrit davantage dans une logique de qualitatif et de construction. Nous, on gagne de l’argent parce qu’on est dans cette dynamique-là. On ne veut pas faire une internationalisation coûte que coûte.
S’implanter dans de nouveaux pays n’est donc pas une priorité ?
Ouvrir de nouveaux marchés est un axe, mais l’essentiel est surtout de se renforcer dans ceux où nous sommes déjà présents. Le potentiel est là. Mais ce développement demande du temps, car chaque pays a ses propres spécificités. La gestion de l’écotaxe en Italie est par exemple totalement différente de ce qui se fait ailleurs. Sauf que nos outils sont construits selon un même schéma, donc il faut les adapter. En Belgique, la provenance des produits n’est pas importante. Ce qui compte fondamentalement, c’est le prix et le délai. Une philosophie totalement inverse à l’Espagne. En Allemagne, tout est étudié, il faut être techniquement irréprochable. Finalement, ça reste à chaque fois un challenge, mais c’est aussi très enrichissant pour nos équipes.
Évoquons la question des flottes, puisque vous avez présenté il y a un an une nouvelle solution, baptisée Wyz Fleet. Que représente ce business actuellement et quelles sont vos ambitions ?
Ce business a démarré chez nous en 2010. Il est très spécifique et se renforce d’année en année, car les véhicules de loueurs ou de flottes sont toujours plus nombreux, avec désormais un fort impact de l’électrique. Ce qui implique d’avoir une démarche RSE. Le gros palier a été l’accord conclu avec Veolia en 2014. C’est une référence, car travailler avec Veolia, c’est avoir la capacité de travailler avec 25 000 véhicules, plusieurs centaines de points de facturation, donc potentiellement travailler avec n’importe quelle flotte moins grande.
C’est un appui très fort sur lequel on a pu surfer pendant plusieurs années. En 2020, on a voulu redynamiser ce sujet. On a beaucoup investi dans cette solution, Wyz Fleet, présentée en avril 2023 et qui est, selon moi, la meilleure du marché. C’est une web application qui n’a rien de comparable et qui est déployable dans tous les pays en Europe. Ce qui est forcément un atout pour répondre à certains appels d’offres. Son déploiement va s’accélérer en 2024.
D’après vous, quelles sont les attentes de cette clientèle, qu’il s’agisse des gestionnaires ou des utilisateurs ?
Il faut que ce soit simple, parce qu’on ne change pas de pneus tous les jours. Il faut qu’en deux minutes, tout soit réglé. D’où ce travail sur le parcours utilisateur. C’est aussi dans cette logique qu’on a choisi de se rapprocher de CaRool en intégrant, dans ce parcours, une aide à la dimension et au diagnostic. C’est une démarche qui répond à un enjeu de sécurité, mais aussi d’économie et d’écologie en s’assurant qu’on ne change pas de pneus trop tôt. Dans la gestion de flotte, il faut prendre en compte tous ces éléments.
À propos de CaRool, vous êtes-vous rapprochés de cette start-up pour des raisons de savoir-faire technologique, ou pour des raisons philosophiques ?
Les deux ! Je suis très attaché aux start-up, je passe beaucoup de temps avec elles, et je n’oublie pas d’où l’on vient. Quinze ans, c’est un chemin… Quand je vois ces nouveaux entrepreneurs qui se lancent, j’ai toujours envie de les encourager. Ça, c’est mon sentiment personnel.
Après, pour en revenir à CaRool, Jean-Denis Perche et Ivan Lellouch sont venus nous voir avec leur produit, et on s’est dit que ça faisait sens. Ils ont une solution qui existe, qui tient vraiment la route, on apprécie les personnes, donc c’était plus malin, et rapide aussi, d’unir nos forces dans cet outil de flotte, et prochainement dans celui destiné au retail.
Terminons cet entretien en parlant RH. Vous avez déployé il y a quelques années la Wyz Academy. Dans un secteur de l’après-vente qui peine à trouver des talents, pouvez-vous nous rappeler l’objectif de cette initiative et nous en faire un bilan ?
Ce programme a été lancé sans business plan, mais parce qu’on pensait que c’était nécessaire. Il faut aussi prendre des risques de temps en temps quand on est entrepreneur. On a constitué l’équivalent d’une petite trentaine de modules d’e-learning qu’on met à disposition de nos clients.
Au-delà de ce chiffre, je dirais que la dynamique est bonne, même si on ne va jamais assez vite. À l’heure où tout le monde doit travailler le pneumatique, notre solution trouve progressivement sa place. Après, je ne perçois pas la Wyz Academy comme un outil de création de valeur. C’est notre contribution au pneumatique. On répond à un besoin qui est croissant, et je suis content de voir que les gens nous sollicitent de plus en plus pour ce programme.
Cette démarche se corrèle finalement parfaitement bien avec votre message. Vous avez toujours souligné que la réussite de Wyz dépendait autant de votre savoir-faire que de vos collaborateurs…
C’est l’une de mes grandes satisfactions. J’ai la chance d’avoir une équipe (71 personnes, ndlr) de grande qualité. Qui change, qui se renouvelle, qui évolue, parce que nos besoins évoluent aussi, mais l’ADN de Wyz demeure très fort. Au-delà de nos défis sportifs, quand je vois au quotidien la solidarité des collaborateurs, la qualité des managers, l’expertise de tous, je suis franchement très fier. L’entreprise repose bien plus sur eux que sur moi, et c’est tant mieux.
Quelles sont les prochaines échéances ? Où comptez-vous emmener Wyz Group ?
Le virage technologique dont on a déjà parlé est très important. Si on veut performer dans les dix prochaines années, il faut impérativement réussir ce que l’on est en train de faire. On met en place les dernières technologies, on regarde ce qui se fait ailleurs, on va chercher de la compétence là où on en manque. Notre réussite sera technologique, c’est sûr. On a l’expertise et on a l’image, il faut que nos outils soient toujours plus performants pour soutenir le développement de nos clients.
Et tout ça en restant indépendant, ce qui n’est jamais évident…
J’ai la chance d’avoir des associés qui, pour certains, nous ont rejoint très tôt, je pense à Jean-Michel Aulas et sa holding familiale Holnest, et d’autres plus récemment, depuis 2021, tels que BNP Paribas Développement ou BPI France. Tous ces gens sont là pour construire dans la durée. Avoir des associés de qualité qui nous accompagnent sur le temps long est un gage de réussite et d’indépendance.
Cet entretien est extrait du Journal du Pneumatique n°183 de janvier-février 2024.