Thierry Moreau, rien sans les autres
La voix est chaleureuse et le propos précis. Et si c’était ça, finalement, le meilleur résumé de Thierry Moreau, patron aussi humain que professionnel ? Le natif de Châteaubernard (16) évolue dans l’univers du pneumatique depuis plus de 40 ans. Il a vu son métier changer, les relations commerciales et humaines se transformer. Il a dû s’adapter, se former à de nouvelles compétences, s’ouvrir à l’inconnu. Mais en dépit de tout cela, Thierry Moreau ne semble en garder ni nostalgie, ni amertume d’un passé supposément meilleur.
Non, le Charentais donne l’impression d’être totalement en phase avec son temps. Et l’explication tient peut-être dans un élément important, crucial, indissociable du personnage et de son parcours. Car au-delà des étapes et des réussites qui ont animé son chemin, Thierry Moreau a toujours placé l’homme avec un grand H au cœur de tout.
Ses aînées comme ses cadets, ses patrons comme ses salariés (qu’il préfère nommer collaborateurs, nous y reviendrons), ses confrères comme ses amis, son propos renvoie inlassablement à cette foultitude de personnes. Un altruisme salvateur qui fait du bien à entendre.
Au commencement, il y a ainsi le hasard. À 15 ans, le garçon découvre sans le savoir un métier qui ne le quittera plus. Il rejoint l’affaire de son grand-oncle, pompiste et pneumaticien à Châteaubernard. Le jeune homme, confronté à des soucis familiaux, voit dans cette expérience une manière de se projeter. "Ce travail m’a beaucoup aidé, confirme-t-il pudiquement. Ce qui m’a plu, c’est l’aspect technique et surtout le relationnel avec les clients".
Des années Pneu Plus à la naissance de Vulco
En 1986, après son service militaire, il prend la tête d’une agence qui va alors se concentrer sur le pneumatique face à la désertion des compagnies pétrolières. Son jeune âge, 22 ans, n’est pas un problème. Bien au contraire. "J’étais effectivement beaucoup plus jeune que les deux personnes que je manageais mais je mettais la main à la pâte et ça fonctionnait très bien entre nous. Cette expérience m’a énormément servie pour la suite. J’ai compris là que lorsqu’on est proche des gens, ça fonctionne beaucoup mieux. C’est une leçon de vie."
Le début des années 1990 marque un nouveau chapitre pour lui. L’enseigne Pneu Plus se bâtit et ses dirigeants le sollicitent pour prendre part à l’aventure. Le voilà nommé commercial-chef d’agence à Saintes (17). Parti de rien, Pneu Plus compte rapidement environ 150 centres. Peut-être trop rapidement. Car qui dit développements dit aussi investissements et le groupe s’endette plus que de raison. En 1994, celui-ci est repris par Dunlop et devient Vulco deux ans plus tard.
Quelques années après, alors que Dunlop a rejoint Goodyear, l’américain prend une décision forte et décide de se séparer de ses succursales. Le moment d’ouvrir un nouveau chapitre. Avec son collègue Jean-Michel Seguin, il décide en 2002 de reprendre l’agence de Saintes. Avec ambition et sans grande inquiétude. "On ressentait une certaine pression venue d’en haut et, avec Jean-Michel, on souhaitait voler de nos propres ailes. Quand cette opportunité s’est dessinée, on a voulu essayer. On connaissait l’agence, la zone de chalandise, les équipes… Le reste tient dans nos convictions et nos investissements", se remémore-t-il.
Grandir et digérer
Si les deux hommes doivent hypothéquer leurs biens immobiliers, les débuts comme chef d’entreprise s’avèrent très positifs, aidés aussi en cela par le coup de pouce de leur ancien propriétaire. "Goodyear a été très arrangeant, il faut le reconnaître, notamment sur la constitution de nos premiers stocks. On n’avait pas à faire à des requins."
Deux ans après cette reprise, l’épouse de Thierry Moreau, Nathalie, rejoint l’aventure pour structurer l’entreprise et apporter son expertise administrative. Mais pas uniquement. "Mon épouse a toujours été mon véritable pilier. Quand elle nous a rejoints, c’était pour répondre à un besoin, mais c’était aussi pour préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. On voulait continuer de profiter de nos enfants malgré le temps que nous prenait cette entreprise."
En 2012, fort du chemin déjà parcouru, les Moreau et leur associé ont l’occasion de voir plus grand. Un confrère Vulco basé à Châteaubernard, là où tout a finalement commencé, les contacte pour leur céder son centre. La reprise est rapidement actée mais l’opération mettra du temps à être digérée. Pour plusieurs raisons. Déjà parce que l’agence en question était plutôt mal en point, avec notamment une activité industrielle, pourtant cruciale dans le réseau, largement délaissée. Ensuite parce que Thierry Moreau se voit là confronté à ce que vivent beaucoup de patrons multisites.
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Passer d’une à deux implantations est un moment charnière. Personne n’a le don d’ubiquité et transposer des idées, des stratégies ou des process d’un site à un autre n’est jamais gagné d’avance. Le principal intéressé en convient. "Il a fallu un temps d’adaptation. Pendant trois ans, ça a été difficile."
L’aventure se vit en famille
D’autant plus qu’en 2015 son ami et associé rencontre des soucis de santé. Jean-Michel Seguin lui cède alors ses parts et Thierry Moreau devient le seul capitaine. Dans la foulée, les choses se décantent pour son second centre. Le patron récolte les fruits d’une stratégie qui guidera finalement toute sa carrière. "J’avais fait le choix de monter une équipe solide, soudée, très professionnelle. Au final, c’est grâce à elle que la mayonnaise a pris."
Durant toute cette période, un autre projet titille le Charentais. Isolée géographiquement et mal couverte "pneumatiquement" parlant, l’Île d’Oléron est un objectif pour le dirigeant. L’équation est toutefois difficile à résoudre et restera en stand-by jusqu’en 2017. Cette année-là, il convainc deux de ses anciens salariés, Vincent Guillerit et David Bell, de le rejoindre. Mais à l’inverse de la précédente reprise, la croissance est dès le départ au rendez-vous.
Tant et si bien que Thierry Moreau a besoin de renforts. Quitte à joindre l’utile à l’agréable, il propose à ses deux fils, mécaniciens de formation, d'intégrer l’entreprise familiale. Damien, l’aîné, est nommé à Oléron alors que le cadet, Jordan, rejoint le site de Saintes.
L’appétit vient en mangeant et comme le patron a le nez creux, un quatrième centre, détenu par un confrère souhaitant partir à la retraite, est repris en 2020 à Saint-Jean-d’Angély (17). Un centre d’autant plus important aux yeux du dirigeant qu’il est l’un des tout premiers à avoir animé la vie du réseau Vulco. "Ce rachat a marqué un basculement pour nous. On passait à quatre centres et une trentaine de salariés, il fallait passer un nouveau cap en termes de structuration", pointe-t-il.
Une transmission bien amorcée
À la sortie de la Covid, ses deux belles-filles, Célia et Julie, rejoignent à leur tour l’entreprise. La famille est au complet et, s’il admet que cela représente une certaine responsabilité, Thierry Moreau y voit là d’abord, et surtout, une chance. "On gère bien les choses, analyse-t-il. On cloisonne au maximum entre le pro et le perso pour se protéger et puis on est tous très liés, il y a une entraide très forte entre nous." Tous ensemble, les Moreau vont concrétiser un ultime projet.
En 2021, ils sont sollicités une nouvelle fois par des confrères travaillant sur la petite commune du Fouilloux (17). Sauf que l’humain guidant tout et les compétences étant rares dans la profession, Thierry Moreau pose un impératif à cette opération. "On a demandé au couple vendeur de rester aux manettes quelques mois le temps de trouver les bonnes personnes pour gérer le centre et faire la transition." Un autre couple, jeune, issu du coin et très investi, séduira finalement le chef d’entreprise.
Aujourd’hui, Ouest Pneu rassemble ainsi 39 collaborateurs, "terme que je trouve plus valorisant que salariés" insiste-t-il, pour un chiffre d’affaires de 6,5 millions d’euros. Sans eux tous, cet empire n’aurait probablement jamais pu voir le jour. Sans Vulco non plus. Car Thierry Moreau vit aux côtés du réseau depuis presque 30 ans et éprouve un attachement non feint pour lui. "Il y a un ADN très familial, très proche du terrain, très humain…" Alors qu’il a adapté toutes ses agences aux nouveaux standards de l’enseigne, Thierry Moreau n’est pas prêt de changer de panneau.
À 59 ans, son objectif est de voir cette aventure perdurer. Avec lui, encore un peu, et avec ses enfants, encore plus. "Vendre serait une solution de facilité. Pour mon épouse et moi, cette entreprise est un peu notre bébé. On l’a créée et on veut la transmettre." La jeune génération est prête, il le sait. L’histoire va continuer de s’écrire.
BIO EXPRESS
Thierry Moreau, 59 ans (Vulco)
1982. Découvre le métier de pneumaticien aux côtés de son grand-oncle.
1986. Devient chef d’agence.
1990. Recruté par Pneus Plus (qui deviendra Vulco) pour gérer l’agence de Saintes (17).
2002. Rachète l’affaire et se met à son compte.
2012. Acquiert une deuxième agence à Châteaubernard (16).
2017/2020/2021. Nouveaux développements pour atteindre cinq sites.