Le pneu se veut plus "fashion"
Stop aux préjugés ! Non, le pneumatique n’est pas qu’un objet rond, noir et dégageant une forte odeur de caoutchouc. D’ailleurs, Matthieu Bonnamour, le responsable de l’entité design de Michelin, fait remarquer d’emblée que les enveloppes qui équipent nos véhicules sont grises. "Regardez de plus près", invite-t-il. Sur l’échelle de valeur des soucis, convenons que le raccourci dont est victime le pneu est bien futile. Certes. Il faut toutefois rappeler que l’image qui lui est accolée est bien trop simpliste.
Le pneu est un sujet profondément technique et technologique, un puits de R&D régulièrement valorisé dans nos colonnes. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est aussi un produit de plus en plus design. À l’instar de l’automobile, les montes se veulent reconnaissables, affirmées ou encore élégantes. Pourquoi donc s’attacher à styliser ce type de produit ?
"Pour le constructeur automobile, l’intérêt est de souligner le caractère ou l’univers de son véhicule avec un pneumatique qui soit cohérent avec la proposition. Pour un manufacturier, l’idée est de créer une identité de marque, de faire en sorte qu’au premier coup d’œil, le pneu soit identifié comme étant issu de tel fabricant", développe le responsable.
L’alliance de profils différents
Chez Bibendum, à Ladoux (63), une équipe de 20 personnes est en charge de cette problématique avec des profils très techniques (ingénieurs) et d’autres très créatifs (designers). "Il y a beaucoup de créativité dans mon équipe avec de vrais artistes, très inspirants, et des gens plus pragmatiques qui savent interpréter des idées de façon industrielle", décrit le responsable. Et de résumer ainsi la situation : faire du design avec des pneumatiques, c’est faire de l’esthétisme avec beaucoup de contraintes.
Concrètement, le champ des possibles se concentre sur deux éléments que sont la bande de roulement et le flanc. Le processus de création débute quant à lui par une phase initiale d’échanges avec le service marketing, puis une autre, d’appropriation du projet, riche d’associations d’images ou d’idées avec l’univers ciblé (segment du véhicule) qui vont influencer la réflexion.
S’ensuit la réalisation de premiers pilotes (typiquement une série de bandes de roulement avec différents dessins), puis leur modélisation 3D qui permet de voir si tel ou tel design a du sens technologiquement parlant. Ce cheminement se termine par des enquêtes consommateurs, avec des maquettes de pneus, pour évaluer l’impact des réalisations.
La "premium touch" de Michelin
Au regard de ces différentes étapes, on pourrait logiquement penser que le "créatif" demeure en retrait du technicien, de l’ingénieur, du "sachant". Un raccourci, là encore. "On est vraiment dans un processus de co-construction. Le design travaille main dans la main avec la R&D. L’association de profils différents dans l’équipe facilite aussi la compréhension des enjeux", souligne Matthieu Bonnamour.
Bien sûr, le plus souvent, le design va proposer une idée et la R&D va la valider, mais il arrive aussi régulièrement que la solution émane du premier. Matthieu Bonnamour évoque le cas d’une enveloppe hiver, pour laquelle le dessin de la bande de roulement proposée par son équipe a permis d’améliorer sensiblement les performances d’hydroplanage.
D’un point de vue purement stylistique, outre la bande de roulement, un effort de plus en plus perceptible s’opère sur les flancs des pneumatiques. Un véritable défi dans la mesure où il est "difficile d’exprimer quoi que soit avec du gris sur fond gris". D’où le recours à des stries qui renvoient la lumière.
Pour les sportives et les supercars, Michelin a mis au point la technologie "premium touch", qui s’apparente visuellement à du velours. En réalité, il s’agit de micro-morceaux de caoutchouc, une "forêt de poils" résume-t-on chez Bibendum, qui va capter la luminosité et offre de multiples possibilités en termes de motifs. Les enveloppes Michelin Pilot Sport Cup 2 R, montées sur la Mercedes AMG GT Black Series, intègrent notamment le dessin de profil du véhicule sur leurs flancs.
Le défi de la couleur
Cet enjeu du design est d’autant plus intéressant qu’il répond à des logiques d’usage et des habitudes régionales. Ainsi, l’aspect visuel d’un pneumatique restera toujours moins important pour un automobiliste que pour un motard ou un cycliste, deux cibles particulièrement sensibles et attentives aux notions de performances. Raison aussi pour laquelle les designers de Michelin sont spécialisés sur tel ou tel type de véhicule. De même, le style suit aussi des tendances locales et pousse les équipes du clermontois à avoir une vision mondiale du sujet.
En définitive, si l’on voit bien tout le travail réalisé pour dépoussiérer cette problématique et la rendre plus captivante, l’évolution technologique contribuant à élargir le champ des possibles, une question demeure : pourquoi aucune couleur n’habille-t-elle les pneumatiques ? BFGoodrich affiche bien son nom en blanc sur les flancs de ses enveloppes, mais l’exemple reste isolé.
"Il y a plusieurs raisons à cela : déjà, il est très difficile d’imaginer trouver la bonne teinte en fonction du véhicule. Cela obligerait aussi à démultiplier les références… Par ailleurs, colorer les enveloppes demeure encore aujourd’hui très difficile à réaliser sur le plan industriel, explique Matthieu Bonnamour. N’oublions pas que tout ce qu’on développe se doit, in fine, d’être duplicable sur une chaîne de production et à l’échelle de millions d’exemplaires". Un défi, le dernier grand chantier sans doute, avant de tout rendre possible.