Dans les coulisses de la "dark factory" de Prinx
La naissance d’un nouveau manufacturier est un événement suffisamment rare sur le marché du pneumatique pour être souligné. Présenté en Europe l’an dernier, Prinx part aujourd’hui à l’assaut du marché français. Le fabricant chinois s’appuie sur près de 50 ans d’expérience, nous rappelle Michael Chu, directeur des ventes internationales de Prinx. D’abord rattaché à Rongcheng Rubber, un groupe industriel né en 1976 dans la province de Shandong au sud-est de Pékin, Prinx s’est émancipé de manière progressive.
Son développement a été marqué en particulier, par une joint-venture avec l’américain Cooper de 2005 à 2014. La stratégie de la marque traduit les ambitions sans frontière de Prinx, commercialisée aujourd’hui dans une cinquantaine de pays. "L’approche environnementale de notre production, notre image de marque, nos distributeurs internationaux et l’innovation font notre force", avance le dirigeant.
Et de souligner à l’aube de son lancement en France, "la complexité" du marché hexagonal du pneumatique. "Il représente l’un des marchés les plus importants d’Europe. Nous ne sous-estimons pas la compétition entre les acteurs présents, en particulier Michelin, explique Michael Chu. Nous souhaitons comprendre ce marché sur lequel nous arrivons, avec l’objectif d’obtenir le même succès que nous connaissons dans les autres pays grâce à nos équipes locales."
Conscient du défi d’implanter une nouvelle marque, le responsable ajoute : "Nous disposons d’atouts avec une production et des services premium, au meilleur prix."
Une usine à la pointe des nouvelles technologies
Destinée à alimenter les marchés européens, et donc français, la seconde usine du manufacturier a été inaugurée en Thaïlande en 2020. Située à 137 km à l’est de Bangkok, elle répond en premier lieu à la nécessité pour l’industriel de contourner les mesures antidumping mises en place par l’Europe (en 2018) à l’encontre des fabricants chinois de pneumatiques. Force est de reconnaître qu’elle représente aujourd’hui la figure de proue du producteur.
Reflet des dernières pratiques présentes dans l’industrie mondiale du pneumatique, le site a adopté des interfaces d’informations avancées et des solutions d’automatisation, expose Yougan Zhang, directeur général de Prinx en Thaïlande. Pensée selon le concept de "dark factory" (ou "smart factory") grâce à la connectivité de ses équipements et à ses solutions informatiques, l’usine du futur s’étend sur 311 000 m2.
Aménagée autour d’une ligne de production automatisée et robotisée, elle surprend par sa pénombre, et son faible nombre d’opérateurs. Les deux mille ouvriers sont répartis en trois équipes afin d’assurer une production jour et nuit. À titre d’exemple, un seul technicien veille sur les fours destinés à la cuisson des enveloppes à près de 140°C.
De l’enroulement filamentaire aux rails de stockage, l’automatisation de la fabrication est omniprésente. Face au risque d’approximation inhérent à un assemblage des pièces à la main, le montage des tringles, des nappes ceintures, de la carcasse, des flancs et de la bande de roulement est automatisé. L’enjeu est d’homogénéiser une production à grande échelle, sans compromettre la qualité grâce à une précision d’assemblage par laser.
La technologie mise en œuvre a permis d’abaisser de 61 % le taux de non-conformité des produits. Les temps de production et le nombre d’opérations sont réduits également grâce à la présence d’une douzaine de bras robots.
Une production de 27 000 pneus par jour
La chaîne de production est pilotée à partir d’un ensemble de logiciels. Par exemple, le système LIMS (Laboratory information management system) automatise les flux. La gestion et le contrôle des opérations s’effectuent à travers la solution WMS (Warehouse management system), tandis que le programme MES (Manufacturing execution system) veille sur l’ensemble des process, de la matière première au produit fini.
Quant au système APS (Advanced planning and scheduling), il permet d’ajuster le calendrier de production en fonction des évolutions des gammes, ou des mises à jour requises. La flexibilité et la réactivité s’avèrent en effet indispensables à l’heure où les productions s’effectuent en flux tendu.
La démarche se traduit dans le même temps par une réduction de 19,5 % des émissions de CO2. L’utilisation de panneaux solaires couvre 40 % des besoins annuels en électricité de l’usine. Les innovations technologiques déployées ont permis aussi d’améliorer de 23 % la productivité, mais également de réduire les coûts de main-d’œuvre de 30 %.
La capacité de production, un élément essentiel dans la fabrication des pneumatiques au regard de la diversité des profils, a gagné quant à elle plus de 19 %. 27 000 pneus sortent chaque jour de l’usine, soit une capacité annuelle de dix millions d’unités (toutes gammes confondues).
Grâce à l’automatisation des process et à la gestion informatisée, le stock de pneumatiques a été réduit de 40 %. 600 000 profils entreposés sur un système de racks automatisés de 40 mètres de haut, sont ainsi en attente d’exportation. L’an dernier, plus de deux millions d’unités ont rejoint les marchés du TC4 sur le Vieux Continent.
Au cœur de l’usine, l’intelligence artificielle a aussi fait son apparition. La technologie se traduit dans la mise en place d’une reconnaissance automatique des étiquettes de manière à identifier et à dénombrer les profils lors de leur expédition. Dans l’atelier de moulage, la précision des opérations est assurée également grâce à l’IA.
Quant à la data issue des équipements connectés, elle est collectée sur le cloud et monitorée de manière à suivre les indicateurs de production en temps réel, et à les mettre en perspective avec les ventes, les coûts, la qualité… À l’avenir, l’implémentation de puces RFID dans les pneumatiques visera à renforcer encore un peu plus l’optimisation de la fabrication.
Un enjeu d’image
L’usine intelligente répond à un enjeu stratégique de capacité de production et d’approvisionnement des marchés européens, en particulier en gammes toutes saisons. Elle s’inscrit dans les ambitions mondiales du néomanufacturier. D’ici cinq à dix ans, la marque souhaite en effet jouer un rôle majeur sur le marché européen.
En France, en l’absence de données officielles, les manufacturiers chinois pèseraient aux alentours de 35 % des ventes, soit près de dix millions d’enveloppes sur un marché qui atteindrait alors 41 millions d’unités. Mais face à des pneumatiques chinois dont la réputation a rarement joué en leur faveur, l’enjeu pour Prinx sera forcément de changer les préjugés.
Au regard de la qualité affichée désormais par des profils sans rapport avec les pâles copies des années 2000, l’écart tarifaire justifierait de s’attarder sur ces outsiders du marché. "Il y a différentes qualités de pneumatiques chinois, observe Michael Chu. Certaines productions s’orientent vers les prix bas pour répondre à des besoins de marché. Notre approche se veut différente. Le pneu reste un produit de sécurité pour les voitures. Nous avons créé la marque pour satisfaire les distributeurs comme les consommateurs grâce à un concentré de technologie. Nous préservons les marges des professionnels, tout en défendant un positionnement prix étudié pour l’acheteur final."
Il ne faut pas non plus sous-estimer l’influence du naming en marketing, note Michel Poirier, directeur de l’Europe de l’Ouest (lire ci-dessous). En ce sens, l’appellation Prinx se détache volontairement de toute référence chinoise. La production réalisée en Thaïlande changerait aussi la vision des distributeurs.
Pour ces derniers, la capacité des équipes chinoises du manufacturier à développer et à lancer une nouvelle référence pour répondre aux besoins du marché se révèle également sans égale. Entre la prise de décision et la production finale, il ne s’écoule pas plus d’un an.
Des gammes estampillées TÜV
Sur le plan commercial, les gammes du fabricant s’appuient sur plus de 300 références, disponibles en profils été, hiver, toutes saisons et électriques. Parmi les six modèles, dont le nouveau Quattura 4S+ présenté cet hiver, se côtoient l’Aquila Pro, l’Aquila Rev et le Winter Excelia. Ils composent un catalogue étendu, avec notamment près de 175 références sur le seul segment du véhicule électrique grâce aux profils XLAB et XNEX Sport.
La marque table également sur le label TÜV de ses enveloppes hiver et toutes saisons pour revendiquer sa qualité de fabrication et ses performances. Des profils dont le design a fait l’objet de plusieurs récompenses lors des concours internationaux comme le DNA Award en France et l’A’Design Award en Italie.
Dans les cartons du manufacturier, l’agraire et le poids lourd font forcément partie des réflexions. Rappelons que le groupe chinois est déjà présent sur le segment du véhicule industriel à travers ses marques Austone (disponible via Doumerc Pneus International), Chengshan (distribué par Copadex) et Fortune (avec Distri-Cash).
Sur le segment du TC4, la marque est déployée en Italie depuis l’an dernier. Les distributeurs transalpins mettent en avant l’approche du groupe. La démarche commerciale qualitative et le positionnement prix du manufacturier séduisent. La stratégie se veut structurée de manière à éviter une guerre des prix tous azimuts néfaste pour les marges des distributeurs.
Sur un marché du pneumatique français par définition mature et organisé autour d’acteurs historiques qu’ils soient manufacturiers, distributeurs ou négociants-spécialistes, l’ambition de Prinx est à la hauteur du défi à relever.
3 questions à… Michel Poirier, directeur de l’Europe de l’Ouest de Prinx
"Nous jouons la carte de la distribution exclusive"
Quelles sont les ambitions de Prinx en France ?
La marque sera lancée au cours du premier semestre. Les discussions engagées vont aboutir sous peu, à la signature d’un accord avec un distributeur national. Il nous permettra de compléter notre développement en Europe. D’ici la fin d’année, nous devrions être présents dans une vingtaine de pays sur le continent. La France fait partie, avec l'Allemagne et l'Angleterre, des trois marchés principaux pour Prinx.
Notre ambition, pour cette première année, sera de commercialiser environ 100 000 enveloppes, et d’atteindre 1 % des ventes du segment TC4. Nous avançons de manière progressive en tablant sur le prix, la qualité, la distribution exclusive et la préservation des marges. En Europe, nous commercialisons déjà trois millions de pneus. Concernant Prinx, nous avons des accords en Italie, Espagne, Portugal, Angleterre et Irlande.
Comment vous positionnez-vous sur le marché ?
L’objectif est de proposer un pneumatique de qualité premium, au prix d’un budget. La gamme été, qui représente 65 % du marché, fait partie de notre priorité, en mettant l’accent notamment sur des profils UHP (ultrahaute performance). En complément, notre ambition est d’avancer sur le toutes saisons et l’hiver grâce à de nouvelles dimensions qui arriveront cette année et l’an prochain. Notre stratégie répond à la demande des consommateurs et des distributeurs. Pour autant, nous savons qu’il faudra du temps pour installer Prinx en Europe, en particulier sur un marché aussi exigeant que la France qui attend des profils premium au meilleur prix.
La distribution est-elle la clef de la réussite ?
Indéniablement, c’est la raison pour laquelle nous entendons valoriser la place des distributeurs. D’une part en nous appuyant sur un distributeur unique en France, comme nous le faisons sur les autres marchés européens, d’autre part en veillant à ne pas exposer les professionnels à l’importation sauvage depuis les plateformes comme l'Allemagne, la Pologne ou le Benelux. L’objectif est aussi de requalifier les marges des distributeurs (grâce à la redistribution automatique des marges arrière deux fois par an, et à des challenges commerciaux, ndlr), pour qu’elles soient attractives.
Nous souhaitons leur permettre également de mettre en place la politique commerciale qu’ils souhaitent, afin de positionner nos gammes de façon plus ou moins agressive sur le marché. Les distributeurs ont besoin de se sentir forts et en confiance pour accompagner le développement de notre marque. Mais nous attendons en retour des professionnels compatibles et respectueux de notre politique, de manière à maîtriser les prix et à faire en sorte que l’ensemble des acteurs, distributeurs, pneumaticiens et consommateurs, en bénéficient.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°185 de mai-juin 2024.