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Fazilet Cinaralp (ETRMA) : "C’était un privilège d’assumer cette responsabilité"

Publié le 22 mai 2023

Par Romain Baly
5 min de lecture
Figure de l’ombre du pneumatique européen, Fazilet Cinaralp a décidé de voguer sous de nouveaux cieux après avoir assuré pendant dix-sept ans le secrétariat général de l’ETRMA. Avant son départ, et après avoir assuré une transition en douceur avec son successeur, Adam McCarthy, elle a accepté de revenir pour Le Journal du Pneumatique sur cette riche aventure aux confins de l’administration, de la politique et de l’industrie.
Fazilet Cinaralp, ex-secrétaire générale de l’ETRMA (Association européenne des fabricants de pneus et de caoutchouc).

Alors voilà, c’en est terminé de ces dix-sept années passées à la tête de l’ETRMA. Quel est votre état d’esprit ?

Ce n’est pas facile de résumer ce parcours, même dans ma tête ! Un de mes directeurs m’a dit récemment qu’il fallait absolument me convaincre d’écrire un livre sur toutes les histoires vécues depuis le début. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup de choses à raconter. Ç’a été très intense mais aujourd’hui, je suis très enthousiaste à l’idée de passer à autre chose, même si c’est un peu l’inconnu pour moi. Quand on a travaillé autant, quand on a réservé si peu de temps à sa vie familiale, il faut aussi apprendre à vivre dans un nouvel environnement.

Votre histoire dans le monde du pneumatique a débuté il y a longtemps…

Effectivement, je suis arrivée dans cette industrie bien avant l’ETRMA puisque j’ai intégré le BLIC, le Bureau de liaison des industries du caoutchouc, l’organisation qui prévalait auparavant, au début des années 90. J’ai eu la chance de travailler très tôt avec des industriels sur des sujets très importants. Je pense notamment à la problématique de la substitution des huiles hautement aromatiques.

C’était le premier projet sur lequel j’ai collaboré, avec un apprentissage sur le terrain. Il fallait gérer ce problème. Certaines de ces huiles venaient d’être classées cancérigènes par l’Europe et cela avait un impact sur les produits, et les pneus en particulier. Donc l’industrie a entrepris un programme de transformation hyper ambitieux, et a même anticipé la législation qui était en cours de préparation. Un accord a été trouvé quant à l’arrêt de l’utilisation de ces huiles pour passer à des alternatives. La loi n’a vu le jour que sept ans après les premiers travaux des industriels. Tout ça m’a beaucoup occupée lors de mes premières années.

Et puis, entre 2000 et 2005, les institutions européennes ont évolué. Le Parlement a pris du poids, et l’organisation de notre industrie n’était plus en phase avec les attentes du législateur européen. D’où l’idée de nous appuyer sur une organisation plus structurée, plus à même de répondre plus rapidement aux attentes des institutions. Le BLIC est ainsi devenu l’ETRMA, avec une nouvelle constitution, de nouveaux statuts, de nouveaux membres.

Vous avez intégré cette organisation dès ses débuts en 2006. À l’époque, quelle était votre motivation ?

Quand l’ETRMA est née, on m’a demandé de prendre en charge l’association et de faire en sorte que nous ne perdions rien de ce qui avait été obtenu auparavant, car le BLIC avait vu le jour en 1959, de manière provisoire à Bruxelles, avant d’être pérennisé. Il ne fallait rien perdre du passé et construire le futur. J’ai accepté ce challenge par goût du défi. La tâche était encore plus intéressante qu’avant car pour la première fois, nous étions accompagnés des grands industriels du secteur. C’est un gage de crédibilité.

Parmi ses missions, l’ETRMA en a une fondamentale : être une place neutre, où des groupes concurrents vont se retrouver, discuter… Faire converger des intérêts éloignés et trouver un terrain d’entente avec vous comme arbitre était-il un défi dans le défi ?

C’est le travail de toutes les associations, européennes ou nationales, et cela reste le défi de notre association. Il y a un facteur qui est très important dans notre fonctionnement, c’est le sens de l’anticipation, et le fait de se donner le temps d’une réflexion commune. Il ne faut pas être en réaction, mais en projection.

C’est tout le travail du secrétariat qui doit être bien informé sur les développements réglementaires prévisibles. Cela aide à avoir une certaine visibilité. La problématique des huiles hautement aromatiques est un exemple frappant, et l’industrie peut se féliciter d’avoir anticipé un souci qui allait arriver, et construire une réponse qui permette de ne laisser personne sur le carreau.

Quelles ont été vos plus grandes satisfactions, au fil de ces années ?

L’une de mes fiertés, avec mes équipes et les industriels, est d’avoir toujours réussi à dégager des positions relativement ambitieuses. On peut évoquer la responsabilité étendue des producteurs sur les pneus en fin de vie, sujet sur lequel l’Europe est la région la plus avancée dans le monde. La question de la limite sur les performances clés des pneus – la résistance au roulement, le bruit, la performance sur sol mouillé – qui permet de veiller à la sécurité. Le labelling aussi, avec la première version en 2012, la deuxième en 2020 et la troisième révision après 2025.

Autre sujet fondamental : la transparence et la responsabilité dans la chaîne de valeur. Tout autant que les microplastiques, dont on parle depuis 2018. Il a fallu comprendre le mécanisme d’abrasion, source des particules pneus/route, leur distribution et impact dans les différents compartiments environnementaux (eau, sol, air). Il est très important pour l’industrie – et pour les autorités – d’avoir les bons éléments pour définir les actions à mener.

En réponse à un défi aussi complexe en matière de durabilité et de matériaux/conception posé par l’interaction pneu/route, l’ETRMA a défini un plan d’action ambitieux, orienté vers les solutions et tourné vers l’avenir avec trois piliers. 1. Continuer à apporter des réponses scientifiques, car d’importantes lacunes dans les connaissances persistent. 2. Engager les ressources de l’industrie dans l’élaboration d’une méthode d’essais robuste, représentative et reproductible à des fins réglementaires. 3. Engager un dialogue ouvert et inclusif avec les intervenants concernés pour créer conjointement des mesures de réduction et d’atténuation.

Et quel a été, rétrospectivement, le dossier le plus complexe à gérer ?

Celui des huiles hautement aromatiques l’était assurément, car nous partions d’une feuille blanche. Mais si je ne devais en citer qu’un, ce serait justement celui des microplastiques. C’est un sujet complexe. La durabilité, l’impact sur la durée de vie, la grande attention politique et médiatique et le fait qu’on ne maîtrise pas tous les intervenants, le conducteur, le type de chaussée, le véhicule, etc.

Il fallait aussi créer une atmosphère de confiance entre les différents partenaires – acteurs de l’industrie automobile, ceux du traitement des eaux usées, de la route, mais aussi acteurs du monde scientifique, académique, de la société civile – ce qui a pris un temps certain, dans le but de cocréer les réponses adéquates. Et ce travail n’est pas terminé. Il dépasse d’ailleurs le simple cadre européen et s’inscrit dans un environnement mondial. Plus globalement, la difficulté a toujours été de créer un environnement d’entente et de confiance entre les uns et les autres, dans la durée et dans le contenu.

L’ETRMA est au centre de différents univers, l’industrie bien sûr, mais aussi l’administration ou encore la politique. Il faut faire la synthèse et le grand écart entre tous ces mondes…

Oui, c’est vrai qu’il est bien question de grand écart et d’esprit de synthèse. Mais tout vient avec cette capacité d’anticipation. Ce qui compte fondamentalement, ce n’est pas de réglementer les technologies, mais davantage les objectifs. Une fois que les institutions sont suffisamment claires, qu’elles sont en mesure de donner une visibilité à une industrie en vue de développer des moyens susceptibles de répondre à ces objectifs, je pense que toutes les industries sont à même de répondre aux défis proposés de manière responsable et efficace.

Que retenez-vous de cette aventure ?

J’ai appris énormément, de mes réussites, de mes défaites, de mes doutes, de mes difficultés, ç’a été un formidable apprentissage. Mais j’ai appris autre chose aussi, c’est la confiance. J’ai vraiment pu compter sur la confiance de mes équipes et de mes membres. Vous savez, cette association ne serait rien sans toutes ces entreprises. Et moi, j’ai eu la chance d’être portée par des personnes extraordinaires qui avaient une vraie vision.

Et la confiance allait dans les deux sens. J’avais cette capacité d’écoute, mais eux aussi faisaient preuve d’écoute en étant capables d’entendre nos arguments. Si je devais retenir une chose, c’est cette confiance, cette écoute mutuelle, ce respect mutuel. C’était un privilège d’assumer cette responsabilité. Je remercie vraiment cette industrie et les institutions.

Quelle sera votre vie après le 31 mars ?

Je vais faire un break. Comme je le disais au début, j’ai besoin de me retrouver avant d’imaginer un futur que je ne connais pas. Les équipes sont en place, et je suis confiante pour le futur de l’ETRMA.

 

Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°179 de mars-avril 2023.

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