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Marché

Poids lourds sur le ring

Publié le 7 décembre 2014

Par Jérôme Fondraz
6 min de lecture

Goodyear vient de publier un livre blanc sur l’avenir des transports routiers mais ses réflexions s’inscrivent dans un futur proche, au regard de l’urgence des mesures à prendre. La compétitivité de tout un éco-système est en jeu, fragilisé par une mauvaise conjoncture et des contraintes environnementales. Trois défi s doivent absolument être relevés pour le manufacturier.: l’harmonisation des réglementations entre les pays membres, l’amélioration de l’efficacité énergétique des poids lourds, et la pérennité du métier de chauffeur.

Dans un contexte de récession, une instabilité et une incertitude autour du prix des carburants, une augmentation des taxes et une pression concurrentielle élevée déstabilisent encore plus l’éco-système des transports routiers européens. Selon le rapport logistique de 2013 de l’Association du Transport de Frêt, la marge bénéficiaire des entreprises de transport routier a encore chuté, atteignant un taux de 1% en 2012. Relever le défi écologique, sans augmentation des coûts, est donc devenu un véritable casse-tête. En amont de son deuxième Symposium, Goodyear s’est donc appuyé sur une étude réalisée auprès d’un panel de 576 opérateurs de flottes de neuf pays* pour trouver des solutions. Ses conclusions ont inspiré plusieurs recommandations.

Une harmonisation réglementaire entre les pays membres, et des véhicules plus grands

Cette double mesure serait la plus efficace pour un développement durable des transports routiers. Aux Pays-Bas, une expérience autorisant la circulation de véhicules plus longs et plus lourds sur la route s’est avérée très efficace. Certaines sociétés de transports ont réussi à réduire leurs émissions de 35%, selon Martin Salet, du Ministère hollandais des Transports. Dans son livre blanc, Goodyear propose aux législateurs européens d’adopter au plus vite la révision de la directive 96/53/CE sur les poids et les dimensions des véhicules. L’enjeu est non seulement de clarifier les règles et d’augmenter le tonnage maxi à transporter, qui diminue mécaniquement le nombre de camions sur les routes, mais aussi d’autoriser leur libre circulation transfrontalière. Et c’est sur ce dernier point que le bât blesse. Les États membres ne sont pas arrivés à se mettre d’accord. Il faut dire que les véhicules en question pourraient mesurer jusqu’à 25,25 m de long et transporter 70  tonnes (44  tonnes maxi en France pour certaines marchandises, 40 tonnes dans la plupart des autres pays européens actuellement). La circulation de ses méga poids lourds est déjà autorisée en Scandinavie. Elle nécessite cependant d’évaluer son impact sur la sécurité et sur l’environnement, et implique des investissements dans les infrastructures routières. Les autoriser présente néanmoins toute une série d’avantages à considérer. Moins de camions sur la route, c’est moins d’embouteillages, une réduction des besoins énergétiques et de la pollution. Sur autoroute, ces véhicules pourraient emprunter des voies spécifiques, selon DAF Trucks. «  Il serait très utile que les autorités nous autorisent à effectuer des tests », déclare Huub Van Berlo, son manager Product Planning. La mesure permettrait aussi de pallier le manque de main d’oeuvre qui gagne la profession. Cette harmonisation réglementaire, souhaitée par 68% des opérateurs de flottes interrogés par Goodyear, devrait aussi viser à instaurer un système de péage global, à réduire les restrictions sur les conditions de chargement, afin d’éviter les retours à vide. L’UE y réfléchirait.

Rendre obligatoire les systèmes de surveillance de la pression des pneus (TPMS)

La règle vaut déjà pour toutes les voitures particulières neuves depuis le 1er novembre 2014. Elle devrait être étendue aux camionnettes, autobus et poids lourds, au regard des bénéfices annoncés (plus de sécurité, une baisse de la consommation et des émissions). Une révision de la loi 661/2009 est prévue en 2015, qui doit adopter cette mesure phare. Pour autant, l’étude de Goodyear révèle que 37% seulement des opérateurs de flottes l’approuvent (24% sont contre), un chiffre qui tombe à 25% parmi les plus petites flottes en raison du surcoût de l’équipement (19% contre). Au total, 20% d’entre eux utiliseraient des TPMS. L’offre des manufacturiers compte néanmoins se développer. A l’avenir, les informations en provenance des TPMS vont s’enrichir (détection de l’usure, état de la chaussée). Elles seront prises en compte par les systèmes de sécurité active (ESP, freinage d’urgence) et de télémaintenance préventive (autodiagnostic). Goodyear travaille de son côté à son concept AMT (Air Maintenance Technology), qui permet au pneu de s’auto-gonfler en roulant via une membrane, pour compenser une perte lente de pression. Sans doute, la technologie est une clé du changement.

Favoriser efficacité énergétique

Lors de son premier Symposium en 2012, Goodyear avait mis l’accent sur les évolutions à venir en matière efficacité énergétique, soulignant les efforts de tous les acteurs, constructeurs, manufacturiers et opérateurs de flottes. Ils se poursuivent. La consommation et les émissions des véhicules vont baisser en moyenne de 3,5% par an jusqu’en 2020, selon l’ACEA. Sous l’impulsion des normes Euro VI, les moteurs diesel n’ont jamais été aussi vertueux. Les constructeurs se concentrent sur l’aérodynamisme, au niveau de la cabine (réduction de 1% des émissions), mais aussi de spoilers actifs à l’arrière des remorques (-3%). Remplacer les rétroviseurs par des caméras et un écran est une autre solution à forte valeur ajoutée (-3%), mais coûteuse pour l’utilisateur et nécessitant des aménagements réglementaires. En plus de l’électrification de la chaîne de traction, MAN Trucks & Bus travaille sur d’autres pistes pour minimiser les pertes d’énergie au niveau de la transmission, du freinage et de l’échappement. Certaines fonctions peuvent être électrifiées. DAF Trucks pointe la nécessité d’une plus grande diversité de véhicules en fonction des applications (circulation en ville, trajets entrepôts-GMS, transports régionaux et internationaux), et d’encourager les livraisons nocturnes.

L’UE compte doper l’utilisation du GNLV (gaz naturel liquéfié) en favorisant l’installation de stations-services. Le carburant présente l’avantage d’être peu polluant, même s’il n’est pas exemplaire en matière de CO2. L’étiquetage des pneumatiques, qui venait juste d’être instauré, allait également dans le sens d’une réduction des émissions et de la consommation. Son succès serait aujourd’hui bien réel depuis. Des recherches effectuées par Goodyear en juin 2013 ont montré que 54% des gestionnaires de parcs considèrent que cet étiquetage a influencé leurs achats et que 66% plébiscitent le critère de efficacité énergétique. Sa nouvelle étude souligne que 30% des opérateurs ont vérifié les scores des pneumatiques sur l’étiquette avant de les acheter. Dans le domaine de la résistance au roulement, le manufacturier estime que, d’ici 2020, les pneumatiques devraient encore pouvoir la réduire de 10%. La contribution des opérateurs de flottes est aussi essentielle, pour former leurs chauffeurs à l’éco-éconduite notamment. Ils devraient être récompensés, selon Goodyear. Son étude souligne que 92% des gestionnaires mesurent la consommation de leur parc et que 72% se sont fixés des objectifs d’économies de carburant. Ils sont aussi 76% à avoir formé leurs chauffeurs à l’éco-conduite et 51% à s’être assurés auprès de leurs concessionnaires qu’ils achetaient le camion à efficacité énergétique la plus élevée. Le Groupe propose aux législateurs de réfléchir à des mesures concrètes pour inciter les opérateurs à « verdir » encore davantage leurs flottes, comme réduire les frais de péage et les taxes, par exemple.

Développer la télématique

La télématique est au cTmur des systèmes de transports intelligents (ITS). Cette révolution digitale qui s’annonce concerne tous les acteurs du secteur. Elle permettra une meilleure gestion du parc en instaurant un lien permanent entre le gestionnaire et sa flotte en camions. Mais au delà d’une simple géolocalisation, la télématique promet d’autres avancées majeures  : diagnostic préventif de l’état des véhicules, détection de pannes, appel d’urgence, connexion avec le chronotachygraphe pour la gestion des temps de conduite, optimisation des parcours pour éviter les embouteillages, etc. La télématique prendra aussi en charge les communications de camions à camions, ou avec les infrastructures, et, d’ici 2035, elle permettra d’introduire la conduite autonome, si la législation le permet. « Même un camion à l’aérodynamisme optimisé, conduit par un chauffeur très bien formé continuera de consommer trop s’il retourne à son port d’attache sans marchandises à transporter  », a néanmoins averti Darren Wells, Président EMEA de Goodyear.

Pour l’UE, les enjeux sont nombreux : une meilleure organisation des transports, éviter les pics de circulation, les retours à vide, optimiser la disponibilité et la sécurité des aires de repos, réduire les erreurs humaines, etc. Cette ère du « big data » en est à ses prémices. « Elle nécessite une vision partagée de tous les Etats et un modèle économique pour tous les acteurs impliqués », reconnaît Joao Aguiar Machado, de la DG Mobilité et Transport. Une feuille de route est en cours de rédaction, qui doit définir des priorités. En plus de suggérer des réductions ciblées des primes d’assurances pour les transporteurs qui s’équiperaient de systèmes télématiques, Goodyear demande que l’UE prenne en compte une harmonisation des normes techniques, afin d’en optimiser les avantages. Car l’offre actuelle est disparate et confuse, tant pour les constructeurs que pour les utilisateurs. L’étude du manufacturier révèle qu’à l’heure actuelle, les utilisations les plus courantes de la télématique sont la gestion des chauffeurs (61%) et la navigation par satellite (6 %). Plus de la moitié des entreprises utilisant la télémétrie le font pour surveiller leur consommation de carburant (55%). Un peu moins d’un tiers (32%) l’utilisent pour contrôler le freinage intelligent ou actif et 16% pour le contrôle du franchissement involontaire de ligne. Au final, deux tiers des opérateurs de flotte reconnaissent qu’ils n’utilisent pas tout le potentiel des systèmes télématiques actuels.

Embaucher des chauffeurs qualifiés et améliorer leurs conditions de travail

Il devient de plus en plus difficile de les recruter et de les retenir. C’est le défi numéro 2 pour les opérateurs de flottes, après celui des coûts du carburant, et avant l’impact des réglementations, révèle l’étude de Goodyear. Les Polonais et les Allemands sont les plus touchés par cette carence de chauffeurs. Depuis plusieurs années, les conditions de travail se sont dégradées, en raison notamment des salaires plus bas pratiqués par les opérateurs d’Europe de l’Est. Moins nombreux, ils vont devoir maintenant être mieux payés. Ainsi, les coûts salariaux progresseraient à nouveau depuis 2008- 2009 et ils devraient encore augmenter de 3,5% par an. Le rythme pourrait même être plus élevé, si les progrès technologiques de la télématique s’accélèrent, car ils entraîneront de nouvelles qualifications. Pour autant, le contexte n’est pas favorable. L’âge moyen des chauffeurs continuerait aussi d’augmenter. Il était de 50 ans en Europe l’année dernière, selon Business Week. De plus, les jeunes hésitent à se lancer dans cette activité qui les éloigne souvent de leur domicile et s’avère de plus en plus intrusive. Goodyear est en faveur d’une aide supplémentaire au secteur du transport routier, afin de revaloriser le métier de chauffeur. Il s’agirait, par exemple, d’encourager les flottes à former leurs chauffeurs à l’éco-conduite (10 à 15% de bénéfices en plus sur la consommation et les émissions), ou de promouvoir les promesses d’embauches du secteur. Les opérateurs de flotte l’ont déjà bien compris. Selon l’étude de Goodyear, ils sont 76% à avoir investi dans leur formation à l’éco-conduite.

*Belgique, France, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Turquie et Royaume-Uni.

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