BestDrive : un avenir incertain pour le réseau

Les fêtes de fin d'année auront un goût amer pour les salariés de BestDrive France. Si certains avaient eu vent de cette rumeur ces dernières semaines, l'annonce, mercredi 10 décembre 2025, de la vente par Continental de ses 130 centres intégrés en a surpris plus d'un dans les rangs de l'enseigne. "Sincèrement, je ne m'y attendais pas", nous a confié un salarié.
"On a eu l'information en même temps que vous…" regrette un autre, quand un troisième explique que "ça parlait un peu dernièrement, notamment chez nos concurrents, mais rien n'avait filtré en interne et cette nouvelle est donc plutôt une surprise". "N'était-il pas possible d'annoncer cette vente après les fêtes, pour que les équipes passent une meilleure fin d'année ?" s’interroge enfin un ex-responsable devenu franchisé.
ASC, cette "grande inconnue"
"Ce qui est surprenant, c'est à la fois le timing, car la décision a été prise assez rapidement, témoigne un ancien salarié, mais c'est aussi le nom du repreneur…" En effet, au-delà du choix de Continental de se désengager de son réseau, et de passer ses propres sites sous le statut de franchisés, c'est surtout le profil de l'acquéreur qui a suscité un réel émoi. Basé en Allemagne et au Luxembourg, ASC Investment est totalement étranger aux mondes du pneumatique et du retail.
Dans le communiqué de Continental, la société est présentée comme "spécialisée dans les opérations de spin-off, de carve-out et les situations de transmission d’entreprises à l’échelle paneuropéenne présentant un potentiel d’amélioration". En d'autres termes ? "Un fonds d'investissements, résume l'une de nos sources, avec ce que cela implique en termes de méthodes, de choix et de considération pour les équipes…"
Des millions engloutis…
"C'est ce qui nous inspire le plus d'interrogations. Le profil du repreneur change vraiment la donne. La situation aurait été plus facile à lire si nous avions été repris par un concurrent. Là, c'est la grande inconnue", admet un salarié du réseau.
Aujourd'hui, l'avenir de BestDrive se pose clairement. Depuis le début des années 2010, le réseau s'est bâti au gré de rachats successifs, dont certains de grande envergure, et comptait plus de 300 centres intégrés lors de la naissance de la marque en 2015. Mais malgré un investissement conséquent, de l'ordre du milliard sur la dernière décennie, le groupe Continental n'a jamais trouvé le bon rythme avec son enseigne, et les pertes se sont enchaînées année après année, se comptant en dizaines de millions d'euros au terme de chaque exercice.
… et des problèmes à la pelle
Une dynamique déficitaire partagée par nos sources qui justifient cela de plusieurs façons : des process inadaptés, des outils coûteux qui n'ont jamais permis d'améliorer la productivité et la rentabilité, un turnover incessant, des prises de décisions trop lentes… "Le vrai souci, c'est qu'on ne gère pas un point de vente comme une usine. Le retail est un métier de «centimié». On ne peut donc pas avoir les mêmes méthodes ni les mêmes attentes dans l'industrie que dans la distribution. Et ça, je crois que Continental ne l'a jamais compris", nous confie-t-on.
L'idée de passer le réseau en 100 % franchisé avait été avancée il y a déjà plusieurs années sans qu'aucune décision ne soit actée, pour les raisons précédemment décrites. Depuis dix ans, les directeurs généraux se sont multipliés à la tête de BestDrive "sauf qu'aucun n'a eu le temps de mettre en œuvre ses idées. Au final, l'Allemagne a sans doute dit stop, faisant une croix sur l'ambition d'avoir un réseau international, et arrêtant tout en donnant l'impression de se débarrasser du bébé." "La valse des DG, associée au manque de compétences de certains et à d'autres qui n'étaient pas à leur place a constitué l'une des grande faiblesse du réseau depuis dix ans" confirme une autre voix.
Le risque d'une casse sociale
Pour différents observateurs, cette vente - finalisée, selon plusieurs sources, pour un euro symbolique - est un constat d'échec et laisse craindre une casse sociale d'ampleur alors que 1 200 salariés sont directement concernés par l'opération. "Continental n'a pas vendu ses centres. Continental s'est débarrassé d'un problème, s'est délesté de «pertes», c'est ça la réalité", pointe une source.
Pour une autre, "côté ASC, la stratégie future est assez simple à comprendre : ils vont regarder les centres qui fonctionnent et fermer ceux qui ne fonctionnent pas." "Ce ne sont pas des philanthropes ! Ils vont vouloir gagner de l'argent, et vite si possible" ajoute un franchisé. Selon certaines estimations, une cinquantaine d'intégrés seraient dans le rouge et risqueraient de fermer. De quoi légitimement inquiéter les équipes.
Mais les employés des BestDrive ne seront pas les seuls touchés. Car, selon une logique assez difficile à comprendre, Continental a inclus dans ce deal ses deux usines de rechapage de Colmar (68) et Bayeux (14). Deux sites confrontés à des pertes chroniques dont l'avenir était déjà incertain depuis plusieurs années. Leur fermeture semble avoir déjà été envisagée sans, encore une fois, qu'aucune décision ne soit prise. "Un manque de courage évident."
Mutique ces dernières heures sur nos demandes de précisions, le groupe allemand a consenti à nous apporter une réponse sur cet étrange attelage retail-rechapage. "Nous considérons le rechapage à froid des pneus pour véhicules utilitaires comme un élément attractif de l’offre de services globale d’un distributeur à destination des clients flottes. C’est pourquoi nos deux sites de Bayeux et Colmar font partie de l’opération prévue. Nous pensons qu’ASC pourra opérer de manière plus indépendante et plus agile, servir les clients existants et en conquérir de nouveaux."
Que restera-t-il de l'héritage ?
Pour les centres BestDrive qui demeureront à terme, le positionnement sera aussi très particulier. Avec une master franchise d'un côté et des franchisés traditionnels d'un autre, un réseau à deux vitesses risque de se dessiner. "Avec des objectifs différents. Sur le terrain, personne ne se fera de cadeau. C'est logique, mais c'est regrettable" témoigne un salarié. "J'ai bien l'impression qu'on se dirige vers cette configuration" abonde un franchisé. Pour ce dernier, "si l'animation, la communication, le marketing et la stratégie commerciale" continuent d'être pertinents "ça ira, sinon, on regardera ce qu'on peut faire..."
Un constat similaire peut d'ailleurs s'appliquer à Eurotyre. Le réseau cousin, qui demeure pour le moment dans le giron de Continental, voit lui aussi son avenir s'écrit en pointillé, touché indirectement par cette vente alors que le groupe allemand avait dévoilé en 2023 un plan visant à multiplier les synergies et les développements avec BestDrive.
De façon anecdotique mais symbolique, cette vente est aussi un coup dur porté à l'héritage d'une enseigne qui a peiné depuis dix ans à trouver son identité. Les dirigeants de Ripa, Alençon Pneus, Vaysse ou encore Massa, autant de maisons iconiques du pneumatique tricolore, s'imaginaient-ils une telle issue ? Rien n'est moins sûr. En attendant, voilà le réseau plongé dans le brouillard. Contacté, ASC Investment n'a, pour le moment, pas donné suite à notre sollicitation.
