Les anciennes pistes Michelin roulent vers l'avenir

Pendant près d'un siècle, les pistes de Cataroux ont résonné au bruit des chariots d'essai. Des générations d'ouvriers y ont forgé la réputation d'excellence de Michelin. Aujourd'hui, ces bâtiments monumentaux s'apprêtent à vivre une seconde vie. Le groupe auvergnat y lance un projet d'envergure : le Michelin Innovation Park-Cataroux, un nouveau quartier pensé comme un trait d'union entre le passé industriel et le futur de la mobilité durable. L'idée : transformer ce symbole de l'innovation technique en un lieu d'innovation humaine et urbaine.

"Nous ne sommes que des traits d'union entre le passé et le futur", a rappelé Florent Menegaux, président du groupe Michelin, lors de la présentation du projet. L'entreprise investit 60 millions d'euros dans un programme global de 300 millions d'euros, mené en partenariat avec les acteurs publics et privés du territoire. Au total, 42 hectares seront revalorisés, dont dix entièrement consacrés au Quartier des Pistes, le dernier grand pôle du Michelin Innovation Park, attendu pour 2029.

Le projet repose sur quatre grands piliers : former, innover, produire et partager. La Manufacture des Talents forme déjà des milliers d'apprenants aux métiers de demain, tandis que le Centre des Matériaux Durables développe de nouveaux matériaux respectueux de l'environnement. En 2026, un immense bâtiment collaboratif ouvrira ses portes, offrant 2 400 postes de travail partagés. Enfin, le quartier des Pistes, emblème du lieu, deviendra à l'horizon 2029 la Cité du Mouvement, un espace d'exposition et d'expériences qui accueillera aussi la nouvelle Aventure Michelin (le musée du groupe).

C'est ici que tout a commencé. Les fameuses pistes d'essai de 300 mètres de long, construites entre 1926 et 1928, servaient à tester des pneumatiques de voitures, de camions et même de métros, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le bruit des chariots résonnait sans relâche dans les tunnels incurvés, ralentissant et accélérant grâce aux pentes, simulant différentes routes du monde entier. Ces rampes, que certains surnomment aujourd'hui les "totems", ne seront pas détruites mais réhabilitées.

Des pistes à ciel ouvert et une expérience immersive

C'est l'architecte Stefano Favretto qui pilote la renaissance du bâtiment emblématique. Pour lui, ce lieu est "l'âme du projet", un monument figé depuis la fermeture du site en 2000. "Transformer sans détruire, inventer sans effacer", résume-t-il. Les bâtiments annexes ajoutés au fil des décennies seront retirés pour retrouver les trois tunnels d'origine. Un grand patio central sera créé, reliant directement l'intérieur au parc, pour que la promenade naturelle se poursuive jusque sous les voûtes.

Grâce à la réalité augmentée, les visiteurs pourront revivre les tests de pneus d'époque, entendre le bruit des chariots, voir les structures en mouvement et découvrir les gestes techniques des anciens salariés. Le parcours sera à la fois historique et sensoriel, avec des passerelles suspendues et des espaces de contemplation.

L'objectif est de réhabiliter ces pistes et d'ouvrir la toiture pour laisser entrer la lumière naturelle et créer une promenade continue jusqu'au parc. L'ouverture du site est envisagée en deux étapes : 2029 pour les extérieurs, 2030 pour l'intérieur après plusieurs phases de restauration.

Des lettres, des chiffres et des histoires humaines

À Cataroux, chaque bâtiment porte un nom de code. Derrière F4, G12, 026 ou F14, il y a des usages passés, des souvenirs d'ouvriers et des projets d'avenir. Le bâtiment F4, ancien espace de tests verticaux pour pneus géants, ne conserve aujourd'hui que sa structure en béton et sa rouleuse. Il deviendra un lieu de vie et de culture, orchestré par Didier Veillault et Gilles Jumaire, fondateurs du collectif "Les Grandes Pistes". "Je me suis toujours dit que je ferais quelque chose de ce site", confie Didier Veillault.

Le F4 s'articulera autour de trois zones : La Rouleuse, un amphithéâtre pour accueillir spectacles, débats ou projections ; une friche événementielle dédiée aux marchés, braderies, résidences d'artistes et arts urbains et un rez-de-jardin pour de futures activités en lien avec la Manufacture des Talents. Une guinguette, La Piste Noire, animera les soirées d'été. Les travaux débuteront en 2026 pour une première ouverture autour de La Rouleuse en mars 2027, avant la mise en service complète en 2029.

En vis-à-vis, le G12 accueillera le restaurant Very Food Trip : trois étages, 130 à 150 couverts, une vue sur le Puy-de-Dôme et une carte qui changera de continent tous les six mois. Le rez-de-chaussée abritera une école de cuisine et une librairie du voyage. L'idée est simple : faire du quartier un passage obligé, un lieu où l'on se retrouve, où l'on découvre, où l'on partage.

Nature, hospitalité et innovation : le nouveau visage de Cataroux

Cataroux ne se limitera pas à ses pistes. Le projet intègre une Cité verte, portée par Olivier Morel et l’association Les Pistes Vertes : 4 167 m² de terres végétalisées, une serre de 500 m², de la production florale et maraîchère (dont des micropousses), un chantier d’insertion par le travail et la volonté de créer une entreprise adaptée pour des travailleurs en situation de handicap. À côté, les Jardins des Pistes seront des espaces pédagogiques et thérapeutiques, ouverts à tous : ateliers d’animation à la nature, potagers, parcours de handisport, chantiers participatifs, et même une pouponnière végétale pour replanter.

Les anciennes pistes d’essai Michelin se muent en quartier vivant, mêlant patrimoine industriel, culture et innovation à Clermont-Ferrand. ©Michelin

Plus loin, le F14 sera réhabilité en hôtel (un peu moins de 90 chambres), logements (environ 120) et pôle alimentaire. On y installera la Légumerie d’Auvergne, une coopérative d’intérêt collectif montée avec les producteurs du Puy-de-Dôme pour approvisionner la restauration collective publique et privée. L’objectif est d’offrir aux maraîchers un débouché d’environ 10 % supplémentaire et de créer des emplois : une quinzaine pour la légumerie et huit pour la Cité verte.

À l’est du site, avec l'O26, la nouvelle Aventure Michelin se prépare sous la direction de Franck Danne. Le lieu passera de 3 000 à 6 000 m², avec des parcours repensés pour faire toucher, manipuler, comprendre. L’ambition est de vulgariser ce qu’est un pneu, ses innovations, l’engagement social et sociétal du groupe. Mais aussi d’augmenter la fréquentation du site, de 130 000 visiteurs aujourd’hui à 200 000, voire 400 000 à terme. La transition sera progressive dès 2026, pour une ouverture de la nouvelle Aventure début 2029.

Le quartier accueillera aussi une salle de spectacle modulable, entre 1 600 places assises et 2 100 en configuration assis-debout. L’équipement répond à un manque dans l’agglomération, où les salles intermédiaires sont saturées. Il permettra d’accueillir concerts, théâtre, festivals, mais aussi des événements d’entreprise et du tourisme d’affaires, avec des espaces de restauration et de networking.

À travers ces multiples chantiers, une idée traverse tout Cataroux : celle du mouvement. Mouvement des chariots d’hier, des visiteurs de demain, des idées et des savoir-faire qui se croisent. Le site, autrefois fermé, devient un espace public vivant, un lieu de promenade et de rencontre. À la tête du projet depuis 2025, Patrice Kefalas veille à préserver cet esprit : faire de Cataroux un lieu durable, ouvert et utile à tous.