Riom à la pointe pour donner une seconde vie aux pneus

À quelques kilomètres de Clermont-Ferrand (63), l’usine de Riom ressemble à un petit village blanc posé dans la verdure auvergnate. 98 personnes y travaillent, avec un objectif clair : produire 80 000 pneus rechapés par an, à partir de carcasses usagées venues de toute la France.
Pour ce faire, l’usine du groupe Goodyear construite au tout début des années 1950 a subi une mise au propre radicale en 2022, sous l’impulsion de sa dynamique directrice : trois semaines d’arrêt pour vider les stocks, remettre les compteurs à plat et relancer en flux maîtrisés. Si de nombreux bâtiments ont alors été démolis, dans quelques semaines, un nouveau reliera le mur d’angle aux machines : un volume dédié au stockage de carcasses pour alimenter directement la préparation.
"Habituellement, on stocke autour de 5 000 pneus rechapés, soit environ un mois de vente pour Riom", pointe Magali Rodrigues, directrice du site. Deux hubs français prennent ensuite le relais, à Amiens (80) et près de Marseille (13), avec des livraisons sous 24 à 48 heures. Trois chargements partent chaque jour. L’usine, elle, ne garde que le cœur du geste industriel.
De la "haute couture" très artisanale
Dès la réception, la rigueur est palpable. Chaque pneu est scanné, identifié, tracé. "On sait d’où il vient, quelle est sa marque, et surtout ce qu’on peut en faire, explique Magali Rodrigues. Cette traçabilité va jusqu’à la fin du process." Ici, pas de mélange hasardeux. La gamme TreadMax est réservée aux carcasses Goodyear et Dunlop de dernières générations. La gamme NextTread, elle, traite les carcasses des générations précédentes du groupe et celles des marques concurrentes, avec le même process mais des gommes différentes.
En avançant vers le brossage, la cadence est régulière. "On met la carcasse à nu", explique un opérateur. Puis, c’est la réparation. On creuse la blessure pour ôter l’impureté, on prépare la surface au gabarit et on dépose l’emplâtre ou la gomme qui rebouchera. Le tout sans solvants, une évolution clé pour la santé et l’environnement des postes. Certains d’entre eux restent physiques et l’ergonomie fait l’objet d’un travail continu pour rendre davantage d’unités accessibles aux opératrices, sans compromis sur la sécurité.
Étape par étape
Quand la carcasse est prête, on applique une fine couche de gomme chauffée à 70-80 °C, puis la bande de roulement, avant le moulage. C’est la récente machine Black Swan, l’une des seules nécessitant moins de travail manuel, qui effectue cette opération, appliquant les nouvelles bandes de gomme simultanément sur le dessus et les flancs du pneumatique. Seuls ceux couramment nommés MCA, dédiés aux autobus de ville, nécessitent un traitement de faveur. Leurs flancs renforcés sont appliqués à la main par un opérateur de l’usine. Chaque geste est calibré, chaque finition scrutée.
Après la cuisson, "un cycle qui dure environ une heure dans la presse, à 142 °C au sommet, 135 °C sur les flancs", détaille la directrice, c’est le barbage : on coupe les bavures. Une étape esthétique mais importante. S’ensuit une inspection minutieuse : visuelle, tactile, et même "shearographique", une échographie du pneu. "Ça permet de voir les bulles, les décollements, tout ce que l’œil ne voit pas", explique un technicien.
Dernière épreuve : le test de gonflage. Huit bars pendant 85 secondes. "S’il tient, il est bon", tranche l’opérateur, quand Magali Rodrigues ajoute : "Nous avons un taux de défaut de fabrication extrêmement faible grâce à des processus de tests rigoureux tout au long de la chaîne".
Le service pour redorer le rechapage
Le rechapage n’est pas qu’un produit, c’est un système et Riom s’aligne. Goodyear a poussé une logique d’échange standard. Le client envoie une carcasse et reçoit immédiatement un rechapé disponible. Si la carcasse est refusée, Goodyear en substitue une selon ses critères. L’engagement vaut pour une sélection de dimensions.
"On a tellement redonné confiance dans nos contrôles que la question "je veux ma carcasse" n’est plus un sujet. Les clients acceptent l’échange parce qu’ils font confiance au process", explique Christophe Kuss, directeur marketing Europe de l’Ouest. Résultat : plus de flexibilité pour les flottes et moins d’attente entre les dépôts et la remise en service.
Reste une réalité de marché : le rechapage est une pente qu’il faut remonter… "Sur le rechapage, la tendance est claire : ça baisse", tranche Christophe Kuss. Entre 2019 et 2024, la filière enregistre -18,5 %. Depuis le début de l’année, -1,1 %, signe d’un ralentissement de la baisse plutôt qu’un rebond. En cause, la concurrence des low cost asiatiques. Les transporteurs voyant le neuf et le rechapé comme deux produits différents.
"Notre travail, c’est de repositionner le rechapage comme la suite naturelle du premium." Dans l’étude interne commentée par le directeur marketing, les mégaflottes sont déjà très engagées (pilotage RSE, reporting, objectifs), les très petites s’y intéressent pour le coût, tandis que les flottes de 11 à 50 véhicules restent les plus difficiles à atteindre. D’où ce rôle d’éducation partagé par les manufacturiers.
Autre nœud : l’étiquette européenne (bruit, adhérence, résistance au roulement) n’existe pas pour les pneus rechapés, question d’équité et de moyens. "Nous, on a des pistes d’essais, des ingénieurs, des machines. Un petit atelier de rechapage à froid n’a pas ces capacités. Il est donc logiquement difficile d’imposer les mêmes exigences à des structures si différentes. Pourtant, un visuel d’étiquette ferait mouche face aux pneus neufs low-cost". Une pédagogie par la preuve, toujours.
La promesse : prolonger, simplifier, prouver
À Riom, on refait une vie à des carcasses toutes marques premium avec le même process, la même exigence et une traçabilité identique. On simplifie avec l’échange standard, le suivi digital et une logistique 24-48 h. Mais on prouve aussi, à travers des contrôles, une inspection finale, et des retours clients ainsi qu’avec cette communication désormais centrée sur l’environnement. "L’image du pneu rechapé "ouvert" sur le bord de l’autoroute, c’est fini. La qualité est acquise. On parle désormais d’écologie : le rechapage n’a jamais été aussi moderne", insiste le directeur marketing.
Cette trajectoire pour remettre le rechapage au centre du débat s’incarne aussi à travers la télématique, nommée Tyres as a Service chez Goodyear. Les capteurs pression-température et les algorithmes prédictifs permettent une diminution de plus de 90 % des incidents liés au pneumatique dans les flottes suivies. Passer de la maintenance réactive à la maintenance préventive offre moins d’aléas, moins de dépannages aveugles et encourage à mieux planifier l’envoi au rechapage au bon moment.
Ainsi un pneu premium d’ores et déjà recreusé après plusieurs dizaines de milliers de kilomètres peut repartir pour un cycle de roulage complet et même un recreusage. Le pneu gagne une vie, la flotte gagne du temps. L’usine de Riom est une preuve visuelle, temporelle et commerciale de l’importance du pneu poids lourd rechapé.
À l’extérieur, le marché réclame pédagogie : expliquer ce que permet un rechapé et ce qu’il évite, pourquoi placer le rechapage non en concurrence du neuf mais en continuité. Un métier d’industrialisation, mais une culture d’atelier, des machines, mais aussi des mains. La suite se joue là, dans ces quelques mètres gagnés par un bâtiment de liaison, dans un râtelier mieux placé, dans un "scan" en plus, et dans le récit que la profession se fera de la seconde vie d’un pneu. Riom en a la grammaire. Reste à la transmettre au marché.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°191 de septembre-octobre 2025.
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