Roberto Righi, CEO, Prometeon Tyre Group : "L’Europe est une région stratégique pour nous"
Le Journal du Pneumatique : Vous avez organisé cet automne une grande opération en Turquie réunissant notamment vos partenaires et la presse internationale. Jugez-vous que la notoriété de votre groupe en Europe demeure à parfaire ?
Roberto Righi : Notre présence en Europe est historiquement liée à Pirelli, ce qui explique pourquoi notre nom n’a jamais été particulièrement reconnu. Avant que Prometeon soit établi et prenne son indépendance, plutôt que de n’être qu’une unité commerciale, nous vendions moitié moins de volumes qu’aujourd’hui. Il faut aussi souligner que, dans notre histoire, le marché européen a été pendant longtemps moins pertinent que peuvent l’être ceux d’Amérique latine, de Turquie ou encore d’Égypte où nous avons des sites de production. Durant les sept dernières années, beaucoup de choses ont changé. Notre part de marché s’est considérablement améliorée grâce au déploiement de nos différentes marques dans de nombreux pays. Pour en revenir à votre question, cet évènement organisé en Turquie pour le lancement de la marque Prometeon constituait une formidable occasion de rencontrer des partenaires clés, de faire parler de nous, car l’Europe, comme nous en reparlerons sans doute plus tard, est désormais une région stratégique. Aujourd’hui, celle-ci représente déjà 25 % à 30 % de nos volumes.
JDP : D’après vous, le nom de Prometeon est-il encore aujourd’hui trop lié à celui de Pirelli ?
R. R. : C’est évidemment un sujet pour nos équipes, mais il faut aussi rappeler que ce travail de développement intense ne remonte qu’à la dernière décennie. Si Prometeon n’est pas encore totalement reconnu comme une entité à part entière c’est tout d’abord parce que nous sommes issus d’une scission de Pirelli. C’est notre histoire qui veut ça. Quand tout ceci a été officialisé en 2016, il était clair, et nous l’avions bien expliqué, que nous ne voulions pas tout changer. Il existait un savoir-faire en termes de production, de vente ou de gestion sur lequel nous souhaitions nous appuyer. Depuis fin 2022-début 2023, nous avons beaucoup œuvré pour promouvoir notre nom, mais il est normal que cette confusion existe encore dans l’esprit de certaines personnes. C’est aussi notre responsabilité de bien communiquer sur ce qui s’est passé, ce qui se passe et ce qui se passera dans le futur avec Prometeon. Les choses seront sans doute plus simples d’ici 2028 et la fin du contrat de licence pour l’utilisation du logo Pirelli. D’ici là, nous aurons déjà réalisé une grande partie du voyage pour faire de Prometeon un acteur plein et entier du marché du pneumatique.
JDP : Quelle est la place de Prometeon sur le marché européen des pneus industriels ?
R. R. : Comme je viens de l’expliquer, nous avons déjà parcouru un long chemin sur ce marché. Entre 2016 et aujourd’hui, il n’y a rien de comparable pour nous, que ce soit en termes de notoriété, de volumes ou de revenus. L’Europe pèse environ 25/30 % de notre activité, mais il est fort probable que ce chiffre atteigne 35 % d’ici cinq ans. Notre part de marché devrait connaître des croissances à deux chiffres dans les prochaines années en remplacement et se maintenir à un très bon niveau de croissance en équipement d’origine. L’Europe est très clairement une région stratégique. De par sa structure, sa base clients, ses besoins, son niveau d’équipement, les normes de qualité et de performances qui existent, c’est aussi un excellent test pour une firme premium qui souhaite devenir un acteur leader. Notre dynamique des 6-7 dernières années sur un marché aussi challengeant nous rend ainsi très heureux.
JDP : Dans votre développement et votre stratégie, que représente la France ?
Massimo Marcolini : La France est bien évidemment un marché important dans le contexte européen, comme Roberto l’évoquait. Cette région tout autant que ce pays sont cruciaux pour Prometeon. Notre approche est assez simple. On commence par les bases en renforçant notre structure. Nous avons une nouvelle organisation qui se concentre sur la France et le Benelux. Cela nous donne plus de réactivité pour bien aborder ce marché et pour y développer ultérieurement notre présence. Il y a un fort intérêt pour notre proposition commerciale. On se pose comme un acteur indépendant et focalisé à 100 % sur les produits industriels, ce qui comprend chez nous le poids lourd, l’agricole et le hors route. Ce sont des atouts qui sont au cœur de notre stratégie et de nos ambitions en France.
JDP : Vous avez donc désormais une équipe pour rayonner dans ce pays ?
M. M. : Absolument. Quand on prétend à se développer quelque part, il faut déjà regarder nos ressources. On renforce actuellement notre équipe commerciale, déjà riche de quatre personnes, mais qui devrait croître dans un futur proche. On se présente comme un partenaire de choix, indépendant de toute enseigne, mais avec un portefeuille de marques assez varié pour répondre aux besoins de tous les acteurs. On est ainsi un acteur spécialisé très intéressant pour tous les professionnels du pneumatique industriel.
JDP : Sur un marché déjà bien établi et structuré, votre implantation nécessitera-t-elle de la patience ?
M. M. : Aucun développement commercial n’est facile. Le marché français est particulièrement compliqué, mais nos connaissances et nos atouts nous font dire qu’il y a une place à prendre. Avec de la patience, nous pourrons y développer notre portefeuille de marques, notamment en construisant de solides partenariats.
JDP : Vous avez évoqué à plusieurs reprises le terme d’"atouts", mais quels sont-ils justement ?
M. M. : Ces atouts tiennent déjà dans notre proposition de produits. On s’appuie sur une gamme complète avec comme référence la marque Prometeon que nous lançons en Europe. Celle-ci revendique les meilleures performances et porte tout le savoir-faire proposé jusqu’ici par la marque Pirelli. Cette offre est soutenue par des propositions de niveau tier 2 (avec Formula et Pharos) et tier 3 (avec Anteo, Eracles et Tegrys). C’est une stratégie globale très intéressante pour séduire les professionnels et les utilisateurs. Parmi nos atouts, il y a aussi nos usines situées en Turquie et en Égypte qui sont de véritables références sur le plan de l’expertise industrielle et assurent au marché européen une grande proximité. Notre expérience de certains pays proches de la France, comme l’Italie où notre part de marché est plus élevée, avec une manière de travailler similaire, est aussi un avantage. Nous sommes encore jeunes, nous découvrons la France, mais nous avons un héritage sur lequel nous pouvons nous appuyer.
R. R. : Vous savez, ce sujet me renvoie à une expérience que j’ai connue durant ma carrière au Japon. Ce marché est similaire à la France sur bien des points. Sur la structuration, sur la prédominance d’un acteur national – Bridgestone là-bas, Michelin ici – sur le niveau d’exigence des utilisateurs, etc. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de place pour une autre marque. Nous avons nos propres atouts. Être un acteur spécialiste à 100 % de l’industriel est en un. Le fait d’allier la qualité à un positionnement prix intéressant en est un aussi. Rester à l’écoute des besoins de nos clients, savoir y répondre avec le bon produit ou la bonne solution, en est un autre.
JDP : Lancer une marque premium, Prometeon, sur un marché historiquement très premium, mais dont les ventes de ce segment s’érodent progressivement, n’est-il pas risqué ?
M. M. : L’orientation multiproduit, multimarque, multiniveau est très importante pour proposer à nos clients et partenaires une offre complète. Bien sûr que nos activités se concentreront sur Prometeon, mais nous avons encore de belles perspectives sur les autres segments. Concernant votre remarque, les signaux du marché montrent une crise d’attractivité de certains acteurs historiques. C’est aussi à nous de profiter de cette situation pour trouver notre place.
R. R. : La France est le marché le plus premium en Europe et probablement dans le monde. Le poids des manufacturiers premium est plus important que partout ailleurs.
JDP : Mais la part de ces acteurs diminue d’année en année. Un nouvel équilibre pourrait-il se mettre en place ?
R. R. : Je suis totalement d’accord avec vous. La part des premium est beaucoup plus importante en France qu’ailleurs en Europe. Cette situation est aussi le reflet d’un marché où les tiers 2 et tiers 3 ont mis beaucoup de temps à se développer. Je n’ai aucun doute sur le fait que la pression des consommateurs va permettre à ces offres de progresser. Mais en attendant, les marques premium continuent de dominer.
JDP : Pour bien aborder la France, la gamme Prometeon est-elle rechapable ?
M. M. : Nos carcasses sont rechapables et c’est un sujet important pour nos partenaires français. Nous nous appuyons sur des acteurs indépendants locaux bien connus qui nous assurent un niveau de service irréprochable.
JDP : Quel regard portez-vous sur les difficultés du marché PL européen ?
R. R. : Il faut savoir prendre du recul par rapport aux chiffres. Déjà, parce que les résultats sont plutôt bons depuis septembre. Ensuite, car 2023 offre une base de comparaison très négative. Le marché a considérablement augmenté par rapport à 2022 et nous revenons aujourd’hui à une forme de normalité. Les tendances sont encourageantes. Nous n’allons pas revenir au niveau de 2023, mais tout porte à croire que 2025 sera une belle année pour le marché du remplacement. Nous tablons aussi sur une légère croissance pour celui de l’équipement d’origine. Le marché du pneumatique est cyclique, nous le savons.