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Molécule 6PPD : la peur du vide

Publié le 16 septembre 2025

Par Romain Baly
3 min de lecture
Alors que les débats visant à réduire voire à interdire l’utilisation de la molécule 6PPD, ou plus précisément son produit d'oxydation la 6PPD-quinone, dans les produits en caoutchouc vont bon train, les manufacturiers rappellent qu’aucun substitut n’a pour l’heure été mis au point. Sans elle, plus aucun pneu ne pourrait être fabriqué.
Concernés par les questions qui entourent l'utilisation de la molécule 6PPD dans les produits en caoutchouc, les manufacturiers notent qu'aucun substitut à cette substance n'a été mis au point à ce jour. ©AdobeStock_Milan

Le monde de la gomme est décidément omniprésent dans les couloirs du Parlement européen. Alors que la méthode de tests des pneumatiques retenue dans le cadre de la future norme Euro 7 fait toujours l'objet de débats à Bruxelles, un autre sujet extrêmement sensible mobilise actuellement les instances continentales. Née il y a cinq ans dans l'Ouest canadien, en Ontario, la polémique autour de l'utilisation de la molécule 6PPD dans les produits en caoutchouc s'est invitée depuis deux ans dans les discussions sur le Vieux Continent.

Le recours à la 6PPD, ou plus précisément à son produit d'oxydation la 6PPD-quinone qui permet de prolonger la durée de vie des pneus, a été remis en cause de l'autre côté de l'Atlantique après qu'une étude a conclu qu'une surmortalité de saumons Coho (ou argentés) avait été provoquée par l'ingestion de cette molécule dans leur organisme. Un résultat expliqué par les particules de gomme qui s'échappent dans la nature et se répandent progressivement dans les cours d'eau jusqu'à empoisonner certaines espèces subaquatiques.

Des études à confirmer

Si l'agence de l'environnement américaine s'est saisie du sujet en 2022 et si la Californie a fait le choix de limiter le recours à la 6PPD, l'Echa, l’Agence européenne des produits chimiques, a été sollicitée voilà deux ans par plusieurs États pour approfondir les recherches sur cette substance. Bien que cette espèce de saumons ne soit pas présente sur le Vieux Continent, une vaste enquête a été lancée dont les conclusions font encore aujourd'hui l'objet de discussions approfondies entre chercheurs et représentants des pays membres de l'UE.

Loin de se défausser de leurs responsabilités, les manufacturiers se montrent particulièrement concernés par cette polémique. "Nous, on ne remet pas en cause les études qui ont été réalisées outre-Atlantique, indique Cyrille Roget, directeur de la communication scientifique et innovation de Michelin. En revanche, leurs conclusions n'ont jamais été démontrées dans un cadre global, sur le terrain, en conditions réelles." Prudence et pondération semblent ainsi avoir valeur de maîtres mots.

Avoir des certitudes avant d'agir

Alors que toutes les substances chimiques figurant dans un produit commercialisé en Europe sont contrôlées par la réglementation Reach, le responsable de Michelin développe son analyse. "Tout l'enjeu est d'être certain que cette surmortalité de saumons Coho est provoquée par cette substance. C'est notre responsabilité de réduire les émissions de particules et on investit beaucoup pour aller dans cette direction. Mais il faut être vigilant à être sûr de ce qu'on fait. Remplacer la 6PPD par une autre substance sans avoir toutes les certitudes pourrait avoir de pires conséquences."

Si la 6PPD-quinone est utilisée depuis très longtemps dans la fabrication des produits en caoutchouc, les manufacturiers ne sont pas moins totalement mobilisés pour résoudre cet éventuel problème. "Les réglementations aident aussi à faire évoluer les technologies. Bien sûr qu'il ne faut pas que ça devienne trop, mais cela a un côté très sain pour nous pousser à aller plus loin" juge de son côté Véronique Giraud, directrice générale de Continental Tires France.

Pas de pneus sans 6PPD

Pour cette dernière, il est important que le secteur avance collectivement face à la complexité du sujet. Si l'ETRMA, l'Association européenne des fabricants de pneus et de caoutchouc, est engagée dans les discussions, le dernier rassemblement du Tip (le Tyre industry project, qui réunit les dix principaux manufacturiers mondiaux), qui a eu lieu récemment à Boston (États-Unis), a conclu à la nécessité de poursuivre les travaux de recherche.

D'autant qu'à ce jour, et c'est peut-être bien là tout le problème, aucun substitut à la 6PPD n'existe. Que ce soit sur le plan de la technologie, des performances ou de la toxicité, toutes les solutions ayant été testées par les manufacturiers n'ont jamais données satisfaction en dépit de multiples recherches. "Si l'utilisation de la 6PPD est interdite, ou si elle est réduite dans de trop faibles proportions, il sera impossible de fabriquer des pneus, quelles que soient les applications. Il en sera d'ailleurs de même pour tous les articles en caoutchouc", pointe Cyrille Roget. Faute de conclusions irréfutables côté études et de solutions probantes côté R&D, l'espoir que le bon sens l'emporte demeure.

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