Les pneumaticiens jouent l’ouverture !

Véritable tendance de fond à laquelle n’échappe aucun réseau de pneumaticiens, la diversification s’accélère. "L’objectif est de réduire notre dépendance vis-à-vis d’une activité pneumatique moins rémunératrice pour les adhérents comme pour la tête de réseau, et dont les ventes glissent vers le canal web qui représente un tiers des achats", explique Olivier Pasini, directeur général du réseau Siligom.
Derrière un enjeu de rentabilité, la démarche s’inscrit aussi dans une logique de "one-stop-shop". Elle est basée sur une solution d’entretien global, associant la proximité, la qualité et le service. Pour les enseignes, l’ambition est également de lisser le chiffre d’affaires des centres. La pluralité d’activités évite les "trous d’air" inhérents aux effets de saisonnalité liés au montage des pneus hiver à l’automne, à la permutation au printemps ou aux révisions d’été.
L’approche fait particulièrement sens depuis le début d’année. Les ventes de pneumatiques tourisme se révèlent assez faibles (-5 % sur les trois premiers mois de l’année, pour le TC4, selon les données du SdP). Pour autant, l’activité des points de vente demeure soutenue grâce à l’entretien mécanique, observe le responsable.
Sur ce segment, Siligom annonce d’ailleurs une progression significative. Reflet de l’influence grandissante de ces prestations complémentaires, celles-ci représentent désormais 25 % de l’activité globale du réseau, contre 8 % il y a une dizaine d’années. Un seuil qui atteindrait même 30 % du côté de Vulco. "Pour les enseignes en quête de relais de croissance, elles représentent désormais un poids important des chiffres d’affaires réalisés par les adhérents et de leur rentabilité", indique Olivier Pasini.
Des prestations complémentaires et cohérentes
Si l’essor des nouveaux canaux de distribution a imposé de repenser le modèle économique des pneumaticiens historiques, à présent les véhicules électriques promettent de rebattre les cartes du marché de l’entretien. Le périmètre des activités est appelé à évoluer. "Nous avons besoin de nouvelles prestations pour fidéliser les clients et consolider le chiffre d’affaires", explique Camille Mounier, présidente-directrice générale de Vulco.
Le vitrage et le freinage représentent une porte d’entrée vers la diversification qui fait sens, selon la responsable. Car ces prestations additionnelles doivent être complémentaires et cohérentes avec l’expertise des centres pneumatiques. Des services spécialisés qui se révèlent incontournables au développement d’un réseau comme Point S. L’enjeu étant d’être en avance de phase.
"L’objectif est d’anticiper les évolutions pour être en capacité de s’adapter rapidement, le jour où nous devrons trouver de nouvelles activités à mettre en place de manière à renforcer l’activité de nos ateliers, si besoin", explique Déborah Binisti, responsable du développement stratégique de Point S. La démarche suppose d’analyser le marché de manière à être précurseur et à pérenniser les centres. Un exercice délicat. "Si nous anticipons trop tôt un service, il sera difficile de fédérer nos adhérents", observe Camille Mounier.
Il justifie la prudence entourant le déploiement par l’enseigne Vulco d’une offre nationale de bornes de recharge électriques, faute d’un retour d’expérience suffisant concernant les habitudes des automobilistes. Car l’enjeu est bien de comprendre les attentes des clients, pour être en mesure de développer une offre de services à même de répondre à l’ensemble de leurs besoins, abonde Déborah Binisti.
Plus globalement, à travers le déploiement de services annexes comme le vitrage, la mobilité électrique ou encore la vente de véhicules, l’ambition est de démontrer la capacité du réseau à intervenir non seulement sur la partie technique d’un véhicule, mais aussi sur les scooters et les trottinettes électriques en tant que spécialiste de la mobilité, poursuit la responsable. Et pour continuer à générer du trafic en atelier, à fidéliser les clients et à accompagner l’évolution du marché automobile, chaque réseau a sa formule.
La lisibilité de l’offre reste déterminante
Si les pneumatiques restent un vecteur majeur et stratégique de captation des clients, Norauto a engagé l’élargissement de son activité vers le vitrage dès 2010. "Le sujet de la diversification est initié depuis une vingtaine d’années", rappelle Romain Cuif, chargé de l’offre Norauto. Historiquement, l’orientation a concerné d’abord l’environnement immédiat des pneumatiques à travers la géométrie, les permutations été-hiver et le gardiennage, souligne Stephan Costa, en charge de l’activité pneumatique de Norauto.
Aujourd’hui, les prestations s’étendent et se diversifient. Outre la réparation et le remplacement de pare-brise confiés à Carglass, la stratégie repose sur le débosselage sans peinture avec Carméléon. En parallèle, l’accent porte sur la mensualisation des frais d’entretien, via des contrats de 24 à 36 mois. L’objectif est de mettre en place un "hub de solutions pour les automobilistes", remarque le responsable. Du côté de Siligom, les piliers de l’orientation reposent sur l’entretien mécanique. Ils se complètent à présent par les vidanges de boîtes de vitesses automatiques, les bornes de recharge des véhicules électriques et la vente de vélos à assistance électrique (VAE).
La diversification s’appuie sur des programmes de formations techniques (via le GNFA par exemple, ou Dekra et SGS pour le Sermi), commerciales, mais aussi sur des solutions d’équipements d’ateliers et d’approvisionnement en pièces. Jusqu’à devenir une activité à part entière, à l’image du vitrage après le rachat de Glass Auto. Un choix justifié. Car en matière de diversification, la cohérence et la lisibilité de l’offre restent déterminantes pour la clientèle, observe Olivier Pasini.
Donner du sens à la diversification
Pour les têtes de réseau, l’objectif est en effet de donner du sens à la diversification. Ainsi, chaque rencontre régionale avec les adhérents permet de présenter les différents concepts de l’enseigne et leur intérêt, rappelle Déborah Binisti. Une approche qui semble faire son chemin. Car les franchisés doivent être le moteur des orientations engagées, souligne-t-elle. À ce jour, 250 centres Point S sont labellisés vitrage, une cinquantaine se positionne sur le concept Écomobilité (pour la vente et l’entretien de deux-roues électriques), et une trentaine dispose d’un service de vente de véhicules 0 km et d’occasion (via les partenaires Starterre et Eodrive) au travers de Vente Auto.
À l’heure où le vieillissement du parc roulant soutient l’activité des réseaux, l’enjeu est d’amener les chefs d’entreprise vers la diversification, confie Déborah Binisti. "Nous constatons une plus grande écoute du réseau et une meilleure acceptabilité, observe pour sa part Camille Mounier. Nous souhaitons impliquer nos adhérents, en privilégiant la conviction à travers des solutions adaptées, sans les imposer."
Face à des projets structurants, Vulco travaille avec un comité de diversification pour définir les solutions les plus pertinentes à mettre en œuvre. Attendu que les délais d’installation d’un nouveau concept seront variables selon la complexité du projet et la nécessité pour le réseau d’acquérir de nouvelles compétences. À titre d’exemple, il s’est limité à six mois pour le vitrage.
Outre les attentes du marché, les recommandations en matière d’équipement des centres et de formation des techniciens, les seuils de rentabilité ainsi que le modèle de développement composent autant d’éléments incontournables à la genèse d’un programme. "Il est essentiel de procéder étape par étape, poursuit Camille Mounier. Nous ne lançons pas un nouveau projet avant d’avoir atteint un taux de couverture de 70 % à 75 %, afin de garantir l’homogénéité d’un service."
Au sein de Siligom, les concepts "clés en main" seront adoubés par les adhérents avant d’être déployés sur le terrain. "La diversification répond à une vraie attente du réseau, indique Olivier Pasini. Lors de nos rencontres régionales, les adhérents précisent leurs besoins et orientent nos études. Ils ont compris qu’ils étaient légitimes pour présenter une large palette de services à leurs clients, en particulier dans les petites villes ou en secteur rural."
Un modèle de développement interne ou externe
Au cœur des réseaux, certains adhérents privilégieront l’exploitation d’une station-service, d’autres la vente d’accessoires (batteries, balais d’essuie-glace…). Mais si la diversification apparaît stratégique, elle suppose de disposer des compétences techniques, ajoute Camille Mounier. Cette prise en compte justifie la préparation menée en amont par les têtes de réseau, de manière à gérer les problématiques rencontrées en matière de formation et de recrutement.
Une exigence qui peut justifier la mise en place de partenariats avec des prestataires externes, à l’image de Mondial Pare-Brise pour la réparation et le remplacement de vitrage du côté de Vulco. La solution garantit la qualité de service, tout en répondant aux difficultés de recrutement, justifie la responsable. "Dans ce cas, le but n’est pas seulement d’accélérer le déploiement d’un nouveau service, explique Déborah Binisti. Il vise aussi à s’appuyer sur des experts reconnus, dont cette activité est le métier principal."
Les centres devenant alors des apporteurs d’affaires. "L’alliance de deux marques comme Norauto et Carglass se révèle également favorable en matière de satisfaction client", estiment Romain Cuif et Stephan Costa. À l’inverse, la stratégie pourra être opérée en interne, à l’image du vitrage du côté de Point S. Le service impose une baie spécifique, mais aussi de former ou de faire monter en compétence les techniciens. Pour autant, le but n’est pas de conduire les adhérents à surinvestir dans des prestations qui ne constituent pas leur chiffre d’affaires principal, ni de les mettre en difficulté, souligne la responsable.
L’approche se veut "bienveillante" face à un réseau "hétéroclite". Car la diversification demande aux entrepreneurs indépendants de sortir de leurs domaines d’expertise. Elle suppose un temps d’adaptation, l'ajustement des concepts et l'accompagnement des adhérents. "L’approche trouve sa place, mais elle impose de mener un travail sur la conduite du changement", remarque encore Déborah Binisti.
Faire évoluer l’image des pneumaticiens
La stratégie fait d’autant plus sens à l’heure où les enseignes spécialisées s’ouvrent à de nouveaux profils d’adhérents, issus des réseaux d’agents de marque, de MRA, voire des cycles. "La diversification est une évidence afin de garantir la récurrence de la clientèle, la fidélisation et la viabilité du modèle économique de nos centres, estime Camille Mounier. L’approche est stimulante. Elle suppose d’être créatif pour imaginer le futur et se différencier."
Au sein de Vulco, la palette de services s’étoffe. Après le vitrage, l’ambition du pneumaticien s’est tournée vers la révision constructeur, la préparation au contrôle technique et l’entretien de la climatisation. Pour les réseaux spécialisés, l’enjeu est aussi de faire évoluer leur image de pneumaticien, tout en fidélisant la clientèle à travers ces services complémentaires.
À Strasbourg, l’accent de l’enseigne porte sur les mobilités douces. La démarche expérimentale concerne la vente et la location de vélos et de trottinettes électriques. Une diversification appelée à se renforcer également au sein de Norauto, à l’image de la location d’équipements comme les remorques et les coffres de toit. "Nous cherchons à développer le portefeuille de services, tout en nous adressant aux flottes d’entreprises", avance Romain Cuif.
Une stratégie à contrôler
Mais derrière ses avantages, la stratégie n’est pas exempte de risques. Non contrôlée, elle présente le danger de perdre des clients déstabilisés par un développement tous azimuts, observe Camille Mounier. L’expertise métier peut aussi pâtir de la multiplication des services. "L’attention devra porter sur la qualité et les compétences, de manière à éviter de générer de l’insatisfaction".
La démarche ne fait pas l’économie de quelques ajustements. Ainsi, le vitrage a d’abord été abordé en interne par Norauto, avant d’être sous-traité en raison notamment de l’expertise requise, du degré d’homogénéité de service attendu, ou de la gestion des prises en charge avec les compagnies d’assurance.
Du côté de Vulco, la délivrance des cartes grises a disparu du réseau. Au fil du temps, l’enjeu est de développer de nouvelles briques qui remplaceront des services devenus inadaptés. Face à une orientation devenue incontournable, Olivier Pasini tient à rappeler : "Le pneumatique reste la plus grande clé d’entrée en atelier. Nous proposons aujourd’hui davantage de services, mais sans oublier notre métier historique."
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°190 de mai-juin 2025.