S'abonner
Manufacturiers

Sophie Rollet : "Il est possible que ces pneus fabriqués par Goodyear soient encore en circulation"

Publié le 30 mai 2024

Par Romain Baly
4 min de lecture
Alors que son mari a péri sur la route en juillet 2014 après l'éclatement d'un pneu d'un poids lourd qui circulait sur l'A36, Sophie Rollet entend faire reconnaître qu'il ne s'agissait pas d'un simple accident. Elle revient pour nous sur les perquisitions menées par la justice chez Goodyear, le 14 mai dernier, et sur son combat.
Sophie Rollet, veuve de Jean-Paul Rollet, décédé sur la route en juillet 2024.

Le Journal du Pneumatique : Depuis dix ans, vous vous battez pour faire reconnaître la responsabilité de Goodyear dans l’accident qui a coûté la vie à votre mari. Que représentent à vos yeux les dernières avancées de cette affaire, marquées par les perquisitions menées mi-mai dans plusieurs sites du groupe ?

Sophie Rollet : En fait, quand j'ai appris que des perquisitions étaient en cours, je me suis dit : "Enfin, c'est fini". Le sentiment de soulagement était très fort. Depuis décembre 2023, cette hypothèse était là puisque le juge d'instruction m'avait dit que des "actions allaient être menées". Sauf que depuis dix ans, on m'a promis énormément de choses et rien n'a jamais vu le jour. J'attendais que ces promesses se concrétisent pour être pleinement satisfaite.

JDP : Avez-vous voulu abandonner à certains moments ?

S.R. : Début mars, l'affaire devait s'accélérer, il y avait des rumeurs en ce sens, mais rien ne s'est finalement passé. Ce qui fait que je suis replongé dans cet ascenseur émotionnel, entre espoir et désespoir, que je ne supporte plus. C'est tellement compliqué à gérer que j'ai quasiment eu envie de retirer ma plainte. Contribuer pour le collectif avec l'abnégation que j'y ai mise sans résultat, ça suffit. J'ai eu 50 ans fin mars et il fallait que je regarde devant. Je me suis détachée de ce dossier et je voulais conjuguer Goodyear au passé. Quand les perquisitions ont eu lieu mi-mai, je me dis qu'enfin quelqu'un avait lu ce dossier. En actant ces démarches, ça signifie que les éléments fournis étaient probants.

Le procureur a bien affirmé que, malheureusement, nombre d'accidents ne peuvent être rattachés à cette problématique à cause d'aléas administratifs.

JDP : Pour en revenir au tout départ, qu'est-ce qui vous a fait douter de la thèse du simple accident ?

S.R. : C'est en recevant le procès verbal de la gendarmerie. J'ai relevé plein d'incohérences que j'ai signalées à mon avocat. Je me suis aussi beaucoup renseignée pour comprendre tous les aspects techniques et, en faisant mes recherches, je suis tombée sur le rapport d'un autre accident avec des pneumatiques strictement similaires à ceux qui équipaient le camion qui a provoqué le décès de mon mari. C'était extrêmement troublant. Dans ma tête, je me dis, puisqu'il y a deux accidents similaires, pourquoi n'y en auraient-ils pas d'autres ? C'est là que tout a démarré.

JDP : Aujourd'hui, la justice a retenu sept accidents dans le cadre de cette affaire, tout en admettant que d'autres cas pourraient être liés à ces pneumatiques… Expliquez-nous.

S.R. : C'est-à-dire que le tribunal judiciaire de Besançon a effectivement retenu sept accidents qui ont été sélectionnés sur la base d'expertises. Le procureur a bien affirmé que, malheureusement, nombre d'accidents ne peuvent être rattachés à cette problématique à cause d'aléas administratifs, faute d'expertises dans certains cas, et dans d'autres, parce que les pneumatiques ont été détruits.

JDP : Que la justice ait réalisé ces perquisitions, est-ce une première victoire pour vous ?

S.R. : Non, la première victoire pour moi est intervenue quand un documentaire d'Arte a publié en juillet 2023 le programme d'échange commercial, ce que la presse s'était toujours refusée à faire. C'était une étape très importante pour que les transporteurs aient la possibilité de vérifier s'ils ont encore les pneumatiques en question, soit sur leurs camions, soit dans leur remise. Il est possible que ces pneus fabriqués par Goodyear soient encore en circulation et, si c'est le cas, ça signifie d'autres accidents potentiels.

Ce qui m'importe désormais, c'est que la justice puisse obtenir de Goodyear que ce programme d'échange commercial devienne une campagne de rappels.

JDP : Pensez-vous que ce risque demeure toujours ?

S.R. : Bien sûr, parce que le programme d'échange commercial ne porte pas uniquement sur une gamme, mais sur quatre gammes, deux Goodyear, une Dunlop et une Fulda, produites sur une période allant de 2011 à 2015, on comprend l'étendue du potentiel problème. En volume, c'est énorme et le risque est finalement partout. Il reste probablement plein de pneus en circulation dans toute l'Europe.

JDP : L'effort de communication et de sensibilisation vous paraît-il fondamental ?

S.R. : Oui, c'est bien ça l'objectif. Je suis toujours restée très factuelle en compilant des éléments, en les transmettant à la justice ou aux instances compétentes. J'ai été en contact avec des associations, 40 millions d'automobilistes ou Que Choisir. J'ai également échangé avec la FNTR (Fédération nationale des transporteurs routiers) pour faire circuler cette information auprès des adhérents. Il y a dix ans, mon message paraissait inaudible, personne n'y prêtait attention, et aujourd'hui, il fait presque figure de patate chaude dont tout le monde souhaite se débarrasser.

JDP : Qu'attendez-vous désormais de la justice ?

S.R. : Je n'attends plus rien car mon objectif était d'émettre l'alerte pour qu'on s'assure que ces pneus ne circulent plus. Ce qui m'importe désormais, c'est que la justice puisse obtenir de Goodyear que ce programme d'échange commercial devienne une campagne de rappels. C'est très important. Il y a assez d'éléments pour comprendre la situation. Dans une interview, j'ai expliqué un jour, et peut-être maladroitement, qu'avec cette affaire, c'est comme si vous saviez que vous avez un colis suspect qui a été déposé, vous dites à tous les agents de sécurité qu'une bombe va exploser, mais personne ne vous entend. La bombe explose et fait des victimes de façon latente… C'est terrible comme sensation.

Mettre les décideurs devant leurs responsabilités.

JDP : Pensez-vous que vous arriverez à tourner la page un jour ?

S.R. : Il le faut. Je dois regarder devant. C'est pour cela que c'est un soulagement que la justice prenne le relais. Maintenant, si procès il y a un jour, je ne suis pas sûre que sanctionner financièrement Goodyear soit la solution. En revanche, il y a des personnes, des dirigeants qui doivent prendre leurs responsabilités. Quand tout le monde en appelait à une campagne de rappels, eux se basaient sur des données chiffrées, sur des ratios économiques, pour prendre leurs décisions.

JDP : Dans une récente interview, vous avez expliqué ne pas vouloir "mettre en danger la stabilité" de Goodyear et de ses salariés qui, dites-vous, sur les "chaînes de fabrication n'y sont pour rien". Il n'y a ainsi aucun désir de revanche ou de vengeance dans votre démarche ?

S.R. : Non, en aucune façon. Je suis davantage sur une forme de justice restaurative. Les employés qui ont fabriqué ces pneus n'avaient pas connaissance du danger, ils n'y sont pour rien. Ce qui compte fondamentalement, c'est de mettre les décideurs devant leurs responsabilités.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager : 

Sur le même sujet

cross-circle