Grandir et transmettre, l’ADN de la famille Monvoisin
L’histoire des Monvoisin débute par celle d’un duo, Marthe et Roger Monvoisin, qui rachètent en 1962 le fonds de commerce FOR (Fourniture d’outillage rural) à Nantes (44). L’entreprise sera très vite rebaptisée puis connue sous le nom de Monvoisin Pneus. "Notre grand-père était un aventurier et un entrepreneur dans l’âme. Il avait eu l’opportunité de devenir directeur commercial d’une usine de fabrication d’essieux, mais cela ne s’est pas concrétisé. Alors il s’est lancé en rachetant FOR", raconte Erwann Monvoisin, son petit-fils.
"Il avait cette farouche volonté d’être indépendant. Avec notre grand-mère, ils ont eu six enfants, et il voulait être capable d’assurer la pérennité de sa famille et de ses affaires", complète son cousin, Corentin Monvoisin.
Aujourd’hui, c’est ce duo qui pilote l’entreprise qui, depuis, s’est largement développée et diversifiée. Erwann et Corentin Monvoisin, 3e génération, font tous deux partie du directoire de la holding Ker Pro, qui regroupe les différents pôles du groupe : Sonamia (l’activité de grossiste/équipementier), Monroc (fabrication d’essieux et de trains roulants pour matériel tracté), Bouzinac (fabrication de jantes pour le génie civil, les TP, la manutention…) et le groupe Sofrap, qui rassemble l’activité de détaillant pneumatique (une vingtaine d’agences sur le territoire).
Erwann est président de Sonamia et de Monroc. Corentin est à la tête de la holding Ker Pro, qui fédère l’ensemble des PME et est organisée avec un conseil de surveillance et un directoire, et gère l’animation ainsi que le suivi de Bouzinac. "La famille nous accompagne dans nos activités avec des membres de la 2e génération au sein du CS, et également un troisième membre de notre génération, Tanguy, comme chargé de développement. Il apporte ses compétences sur des sujets transversaux comme sur les développements export et réseaux de distribution", soulignent-ils.
Un héritage rural
Mais avant d’évoquer le présent, retour sur les racines de l’aventure familiale. Fils de charron, Roger Monvoisin porte un héritage rural, ce qui explique l’orientation off road rapidement prise, et encore présente aujourd’hui. En reprenant l’entreprise FOR, il développe tout d’abord une clientèle de constructeurs de remorques (charrons, forgerons, machinistes agricoles) à laquelle il vend essieux, roues complètes et vérins.
Très vite, il obtient des contrats de distribution de pneus (Ceat, Semperit) et de roues (Sudrad), puis s’associe à des fournisseurs de pneus rechapés (Vulcalor), de roues (Sonorca, Usine de la Motte), d’essieux (Thénaud-RYT, Rochland, ROC, RTN), de vérins (Helbert), etc. Quatre ans plus tard, ce développement nécessite déjà de déménager dans des locaux plus grands. En 1966, Monvoisin Pneus s’installe sur les bords de l’Erdre, à Nantes, dans un nouvel espace qui permet à Roger Monvoisin de développer une nouvelle activité : la vente et le montage des pneumatiques pour les particuliers, transporteurs, agriculteurs ainsi que le métier de grossiste auprès des revendeurs. C’est ainsi que naît la SA Sonamia.
En 1968, un autre local est loué en Loire-Atlantique pour répondre à la demande toujours croissante des clients. 1971 marque une nouvelle étape incontournable pour l’entreprise. "C’est à ce moment-là que plusieurs spécialistes du pneumatique décident, à la suite d’une étude marketing sur les attentes des possesseurs de voitures particulières, de fonder un GIE (Groupement d’intérêt économique) pour offrir dans toute la France les mêmes services sous la même enseigne avec une identification uniforme des agences et une publicité nationale. C’est la naissance de Point S, dont notre grand-père a été l’un des membres fondateurs", témoigne Corentin Monvoisin.
Mais cela ne suffit pas à Roger, qui a soif de développement. Cette même année, il lance l’entreprise Monroc avec M. Gateau, le patron de la société Rochland, qui était à l’époque son fournisseur d’essieux agricoles. Un an plus tard, Roger Monvoisin rachète l’entièreté des parts de celle-ci. Et à peine dix ans après sa création, l’entreprise comptait déjà entre 20 et 30 collaborateurs.
L’arrivée de la 2e génération : croissance et diversification
C’est tout naturellement que les deux premiers fils de Roger et Marthe, tous deux diplômés de l’Essec, intègrent l’entreprise. "C’est d’abord mon père, Thierry Monvoisin, qui rejoint le groupe en 1972 pour assister mon grand-père dans l’organisation et la gestion de la société. Il s’occupera également de suivre l’activité de détaillant pneumatiques, et commencera par séparer l’activité Point S de celle de grossiste national", se souvient Corentin Monvoisin.
Puis en 1974, c’est au tour de Patrick, le père d’Erwann, de faire son entrée. Il prend alors en main la vente aux constructeurs en France. Ces deux arrivées vont permettre à Roger Monvoisin de consacrer toute son énergie à la vente, dont les marchés d’export avec notamment l’Algérie, la Tunisie et le Maroc.
"Notre grand-père a été un grand commerçant et ce, jusqu’au bout de sa vie. L’arrivée de ses deux fils, à qui il accorde sa confiance, lui permet de partir à la conquête de nouveaux marchés. Dans les années 1970, la vente d’essieux en Algérie a été l’un des moteurs de l’entreprise. Et rien n’arrêtait notre grand-père. Par exemple, il avait trouvé un distributeur en Algérie qui, du jour au lendemain, a arrêté son activité. Notre grand-père est donc parti là-bas sans se poser de questions, pour rencontrer les clients et développer le business. C’était un véritable aventurier", se rappelle fièrement Corentin, approuvé par Erwann.
En 1978, Sonamia, qui a connu une croissance importante, déménage son activité première monte et grossiste national dans un local de 1 800 m2 (sur un terrain de 15 000 m2) à Vertou (44). Un nouvel espace qui assure une meilleure organisation et gestion de l’entrepôt, du montage, des stocks, des expéditions et, in fine, permet d’apporter un meilleur service aux clients. L’année suivante, Roger transmet la direction de l’entreprise Monroc à son fils Patrick.
Parallèlement, le réseau de négoce élargit ses activités et crée la SEDA pour s’occuper des achats, en devenant importateur des pneus Sava et Maloya. Thierry, le deuxième fils de Roger, en sera le premier président. Puis en 1980, c’est Véronique, l’une des filles de Roger et Marthe, diplômée d’un DESS d’économie à Paris-Dauphine, qui rejoint l’aventure et prend en main le commerce sédentaire. Elle s’investira également dans l’informatisation de l’entreprise.
Elle sera suivie en 1982 par un autre de ses frères, Dominique, qui viendra renforcer l’équipe commerciale de Sonamia, en tant que commercial itinérant en charge de la vente des pneus Semperit, avant de prendre la responsabilité du service export. Les deux autres filles du couple choisiront d’autres voies.
Croissance exponentielle
Avec cette équipe familiale, l’affaire poursuit son développement. En 1986, Sonamia filialise l’activité négoce de pneumatiques en créant la société Sofrap à l’occasion de l’ouverture d’une agence à Saint-Nazaire, pour séparer juridiquement et comptablement les deux activités. L’activité de détaillant croît avec l’ouverture de plusieurs agences et, cinq ans plus tard, Sonamia déménage dans un bâtiment de 8 500 m2 sur 45 000 m2 de terrain à Basse-Goulaine (44), afin de répondre à son développement.
Quelques années plus tard, en 1997, le groupe franchit les 100 millions de francs de chiffre d’affaires tandis qu’en 1998, la holding Ker Pro est créée afin de traiter toutes les questions administratives, comptables, fiscales, sociales, immobilières, etc.
2001 marque également un nouveau tournant, avec d’un côté, la prise de participation dans Pro Tyre Estonie pour s’implanter en Europe de l’Est, et l’arrivée d’Olivier Croix, le gendre de Patrick, comme directeur de l’usine Monroc. En 2004, Sonamia étend son entrepôt de Basse-Goulaine, passant ainsi à 12 000 m2. Cette même année, l’entité obtient la certification Iso 9001 et, avec ses confrères, crée l’AFIP (Association française des importateurs de pneumatiques).
"Nous avons créé l’AFIP, avec plusieurs de nos confrères, pour développer la filière de recyclage des pneumatiques et d’enlèvement des déchets. L’AFIP s’est adossée à FRP pour proposer une solution complète sur le marché. C’est l’illustration de notre engagement sur le marché. Nous n’étions pas obligés de le faire, mais nous l’avons fait et, aujourd’hui, le marché est bien collecté. Nous avons un rôle à jouer pour la société", souligne Erwann Monvoisin.
La 3e génération aux commandes
C’est à partir de 2005 que le présent de Ker Pro s’écrit. Erwann, né en 1976 à Nantes, diplômé d’une école de commerce avec une spécialisation logistique, rejoint l’entreprise à son retour de Hong Kong. "À la fin de mes études, il me manquait la maîtrise de l’anglais. Comme j’ai ce côté aventurier de mon grand-père, je suis parti à Hong Kong pendant presque quatre ans, pour développer des plateformes logistiques en Asie. C’est là-bas que j’ai rencontré mon épouse, française. La question de mon projet professionnel s’est alors posée. J’ai donc décidé de rentrer en France pour intégrer l’entreprise familiale", développe-t-il.
Et le dirigeant de poursuivre : "J’ai démarré chez Sonamia, côté OE. J’allais vendre des roues complètes et des essieux aux clients constructeurs de machines dans l’Est de la France. J’ai ensuite animé la plateforme logistique, de 2007 à 2010. En 2010 est arrivé un nouveau départ en retraite de la 2e génération. La 3e génération devait donc s’employer à reprendre les rênes. J’ai alors récupéré la gestion des agences détaillants pendant huit ans. En 2019, j’ai à nouveau retrouvé Sonamia pour prendre le relais d’un autre oncle, Dominique, qui allait partir à la retraite. Enfin, plus récemment, en 2021, j’ai pris la présidence de Monroc en binôme avec le dirigeant actuel, Philippe Bossard."
Durant ces années-là, le père de trois enfants a continué de fortement développer les agences avec l’appui de François Bayan (membre du directoire avec Philippe Bossard et les deux cousins). Elles ont doublé en une dizaine d’années, pour atteindre 24 points de vente aujourd’hui.
Un mastodonte du secteur
De son côté, Corentin démarre sa carrière comme expert-comptable, une profession qu’il exercera pendant une dizaine d’années, tout en pratiquant son autre passion : la gymnastique artistique, en tant que juge et moniteur, toujours avec cette volonté de transmission qui anime le père de cinq enfants.
"J’ai travaillé dans divers cabinets d’audit, à Paris puis à Nantes, avant d’intégrer le groupe en 2010, car le poste d’expert-comptable était vacant. Je l’ai occupé jusqu’en 2018, date à laquelle ma tante Véronique est partie à la retraite et où la famille m’a confié la responsabilité de Ker Pro. Depuis, je m’occupe en parallèle de l’animation et du suivi de Bouzinac, activité rachetée en 2022", détaille-t-il.
Depuis vingt ans, de nombreux caps ont été franchis par le groupe, comme la création d’une filiale de Monroc en Chine, de nombreux investissements dans des lignes automatiques d’assemblage, les bâtiments (Sonamia est passé de 36 000 à 48 000 m2 de surface, l’usine Monroc de 8 000 à 11 000 m2), les systèmes informatiques, ainsi que la reprise de plusieurs activités de rechapage (Superflotation et CTS, dernièrement).
2021, Sonamia dépasse le cap des 100 millions d’euros de CA. Ayant récemment soufflé ses 60 bougies et célébré ses 25 ans de partenariat avec BKT, l’entreprise affiche de solides résultats. Ker Pro, qui dégage 200 millions d’euros de CA toutes activités confondues (Sonamia représentant 115 millions d’euros) et emploie 450 personnes, poursuit sa dynamique en suivant toujours la même philosophie.
L’humain au cœur de la stratégie
C’est d’ailleurs dès l’année 1972 que cette vision de l’entreprise est définie par la famille Monvoisin. Elle anime la stratégie globale depuis les débuts, et repose sur quatre piliers fondamentaux : "Le sens client, le collectif, la responsabilité et l’autonomie, et la gestion de bon père de famille. En 2023, chaque nouvel entrant dans l’entreprise continue d’avoir cette philosophie inscrite à son contrat de travail, c’est pour nous l’une des clés de la pérennité", insistent les dirigeants.
Depuis sa création en 1962, c’est toujours l’humain qui a été au cœur de l’entreprise familiale, qu’il s’agisse des clients et des fournisseurs, considérés comme de véritables partenaires, ou des équipes. "Pour illustrer cette philosophie, je me souviens qu’à l’époque, l’entreprise était encore de petite taille et il fallait donc surveiller tous les coûts. Alors pour transmettre et comprendre ce qu’était l’entreprise, les nouveaux embauchés, au lieu de séjourner à l’hôtel, venaient à la maison. J’ai le souvenir d’avoir été en culottes courtes, avec mon cartable sur le dos pour partir à l’école, et d’avoir croisé certains salariés qui s’apprêtaient à partir travailler avec papa. Aujourd’hui, certains d’entre eux sont encore là et nous travaillons en équipe avec eux alors qu’ils nous ont connus enfants. C’est aussi ce qui fait la force de l’entreprise. Nous avons été baignés dedans, et avons toujours beaucoup de plaisir à la faire vivre", commente le président de Sonamia et de Monroc.
Et d’ajouter : "Nous avons également toujours connu la visite à la maison de fournisseurs roumains, yougoslaves, de clients autrichiens, italiens, algériens. Il y avait constamment des personnes qui apportaient une ouverture sur le monde et une soif de découvertes." Un environnement familial très important, que Roger et Marthe ont toujours eu à cœur de faire vivre.
"Nous avons été bercés dans cet environnement d’entrepreneuriat par nos grands-parents, qui aimaient réunir autour d’eux en général, et de l’entreprise en particulier. Ils ont toujours voulu faire vivre l’entreprise à travers des événements familiaux, et c’est une tradition que nous perpétuons aujourd’hui avec des week-ends, des séminaires en famille autour de l’entreprise. Pour l’anecdote, notre grand-père nous avait emmenés en tournée commerciale, Erwann et moi, durant une semaine, pendant les vacances scolaires. Nous devions avoir 12 ou 13 ans. Pour autant, il ne changeait pas son rythme. C’était un grand travailleur qui n’avait besoin que de très peu de sommeil. Lorsque la journée était terminée et qu’il pouvait continuer au restaurant pour un dîner avec des clients, il le faisait. Malgré cela, le lendemain il se levait à l’aube pour rédiger ses rapports et, au lieu de nous laisser dormir, nous nous levions avec lui et le regardions écrire. Au-delà de ce côté amusant, ce sont des souvenirs marquants de partage et de transmission pour nous", se remémore Corentin.
Une volonté inébranlable de transmission qui n’a pourtant jamais été vécue comme une contrainte par les deux entrepreneurs : "Bien évidemment, notre grand-père nous parlait souvent de l’entreprise et de son envie que l’on intègre à notre tour un jour, mais seulement si l’on en éprouvait l’envie. Le plus important était que l’on soit épanouis, mais surtout travailleurs et courageux, comme lui."
Et dans cent ans ?
Quand on pense management et gestion, c’est bien cet héritage rural et "les pieds ancrés dans la terre" que l’on retrouve chez Erwann et Corentin Monvoisin. "L’objectif n’est pas de grossir pour grossir, mais de pouvoir mieux servir nos clients et de sécuriser nos placements et investissements pour faire face à d’éventuels coups durs. Nous croyons beaucoup à nos équipes et à notre mission territoriale. Au-delà du marché, des clients, il y a aussi notre place sur le territoire avec les familles qui travaillent dans notre entreprise."
Quant à l’avenir, il rime bien évidemment avec diversification dans les produits comme dans les territoires, mais toujours dans le même objectif : apporter une solution complète au client, en étant le spécialiste de la liaison au sol. "Une entreprise qui investit, c’est une entreprise qui va apporter des solutions et qui sera capable de faire face à tous les éléments perturbateurs extérieurs. C’est clairement l’un de nos gros axes de développement, avec des acquisitions selon les opportunités dans le cadre de la stratégie qu’a développée Corentin, mais aussi de la croissance organique avec de gros investissements dans nos bâtiments et nos outils", résume Erwann.
Pour ce qui est de la 4e génération (qui compte déjà 46 enfants), dont "l’aîné a 25 ans et le dernier n’est pas encore né", rien ne presse, mais une chose est sûre : Erwann et Corentin prendront autant de plaisir à partager qu’ils en ont à diriger l’entreprise aujourd’hui. "Nous sommes des maîtres bâtisseurs ! Si dans vingt ans, nous avons transmis le groupe à la nouvelle génération, qui saura lui donner un nouvel élan et continuer de le développer, notre objectif sera rempli. Notre ambition est simple : que l’entreprise existe toujours dans cent ans !", concluent-ils avec optimisme.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°182 de novembre-décembre 2023.