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Marché

L’agraire, terre d’innovations durables !

Publié le 24 mars 2025

Par Romain Baly
8 min de lecture
À l’heure où le nombre d’exploitations diminue au profit de surfaces cultivées étendues, le secteur agricole recourt à des machines toujours plus puissantes, équipées de pneumatiques surdimensionnés. L’enjeu est de réduire le compactage des sols et les consommations de carburant, tout en améliorant la résistance à l’usure.
Les manufacturiers adaptent les profils aux conditions de sols meubles ou de boue, afin de préserver la productivité recherchée par les agriculteurs. ©Bridgestone

Le marché du pneumatique agraire s’inscrit dans un contexte marqué par la croissance des besoins alimentaires mondiaux, explique Caroline Schoenhenz, directrice marketing agriculture de Michelin. Le défi de l’agriculture est de nourrir une population mondiale qui atteindra 9,6 milliards en 2050, selon l’ONU, soit une progression de 69 %. Dans le même temps, les terres arables disponibles n’augmenteront que de 5 %.

"Les agriculteurs devront produire davantage et plus vite", résume-t-elle. L’équation intègre un second paramètre lié cette fois au changement climatique. La fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques réduisent en effet les fenêtres d’intervention des agriculteurs. Elles deviennent plus imprévisibles et plus courtes, note la responsable. "Les exploitants devront intervenir de manière plus efficace, sans dégrader les sols."

En outre, un troisième élément influence à présent l’évolution du segment du pneumatique agraire. Il concerne la consolidation des exploitations. La concentration est à l’œuvre en Europe comme en France. À l’échelle du continent, le nombre de fermes va passer de 10,3 millions en 2016 à 3,9 millions en 2040, rappelle ainsi Caroline Schoenhenz.

Un marché sous pression

Dès lors, les agriculteurs attendent des solutions qui répondent à la fois au besoin d’efficacité opérationnelle, et à la nécessité de s’adapter aux mutations du moment. L’augmentation de la taille des exploitations et l’utilisation de machines plus imposantes nécessitent des pneus disposant d’une meilleure capacité de charge, tout en étant compatibles avec les tracteurs et les équipements modernes, nous indiquent les équipes de BKT.

Les changements à l’œuvre favorisent en effet le développement de machines agricoles plus puissantes. En France, au cours des six dernières années, les ventes de tracteurs de 200 à 300 ch ont augmenté de 47 %, celles de plus de 300 ch s’affichent en hausse de 52 % ! Quant au poids des machines, les engins agricoles modernes pèsent trois à cinq fois plus lourds que leurs équivalents des années 1960.

Dans le même temps, les attentes portent sur la durée de vie des enveloppes et la réduction des coûts d’exploitation. Les agriculteurs ne remplacent les pneus qu’en cas de stricte nécessité. Résultat, le marché français des pneus agricoles reste sous pression, avec une demande toujours inférieure aux niveaux d’avant la pandémie, analyse James Zhu, responsable des ventes des pneumatiques agricoles sur le marché du remplacement pour Bridgestone. "L’augmentation des coûts et la réduction des marges dans l’agriculture incitent les exploitants à retarder leurs plans d’investissement, ce qui maintient le segment des pneus agricoles dans une position particulièrement difficile."

L’essor des grandes dimensions

Les défis actuels de l’agriculture exercent ainsi une pression "considérable" sur les manufacturiers européens. Et pour cause : les agriculteurs donnent la priorité aux profils moins coûteux en raison des incertitudes qui pèsent sur l’avenir, tandis que les importations bon marché en provenance de l’extérieur de l’Europe inondent le marché, constate le responsable.

Malgré la concurrence et une reprise plus lente que prévu, les fabricants reconnus se concentrent sur l’innovation pour répondre à l’évolution des besoins. "Les progrès de la technologie des pneus, tels que l’amélioration de la durabilité et les conceptions écologiques, offrent des opportunités de croissance à long terme", estime James Zhu.

La moissonneuse batteuse New Holland CR11 traduit l’évolution du marché des pneus agraires avec ses profils Michelin de 2,32 m. ©Michelin

La moissonneuse batteuse New Holland CR11 traduit l’évolution du marché des pneus agraires avec ses profils Michelin de 2,32 m. ©Michelin

 

Au regard de la consolidation des exploitations agricoles, les agriculteurs continuent d’investir dans des tracteurs et des pneumatiques haut de gamme. La tendance favorise l’essor du marché des profils de grande dimension. Celui-ci devrait connaître une croissance continue, avance le responsable. L’évolution se traduit d’ores et déjà par des pneumatiques dont le diamètre atteint 2,32 m pour des largeurs de près de 1,05 m sur la moissonneuse-batteuse New Holland CR11 équipée en Michelin.

Une autre évolution, impulsée notamment aux États-Unis, plaide en faveur de montes jumelées, voire triplées, de manière à bénéficier des avantages d’un profil large. La tendance favorise une hausse en valeur du marché des pneumatiques agraires. "Nos ventes s’orientent vers cette typologie de produits à haute technicité, que ce soit en pneus ou chenilles", souligne Caroline Schoenhenz.

Normes vs technologie basse pression

Le manufacturier Bridgestone développe aussi de nouveaux profils aux dimensions revues. Les progrès comprennent des avancées dans les processus de fabrication pour produire des pneus de grande taille et de qualité supérieure, ainsi que des innovations en matière de matériaux à l’image de la technologie Enliten. Cette dernière revendique une structure de carcasse plus robuste, et une conception à même de réduire la résistance au roulement. Entre autres.

Face à un secteur en constante évolution, marqué par des préoccupations environnementales, des défis économiques et des innovations technologiques, le choix des pneus est un facteur clé, soulignent les équipes de Yokohama TWS. Car le challenge est désormais de concilier la productivité avec la préservation des sols.

Afin de maximiser l’empreinte au sol et minimiser l’impact sur les cultures, Michelin mise sur la solution UltraFlex. Celle-ci vise à prendre en compte la charge des machines, l’usage et la vitesse sur route, mais aussi les capacités de traction dans les champs. L’approche suppose de distinguer les normes IF (improved flexion) et VF (very impro ved flexion) de la technologie, estime le manufacturier présent sur le marché de l’agraire à travers également sa marque Kleber.

Sur le plan technique, le défi impose de la souplesse dans le pneumatique. La carcasse, le sommet et la sculpture entrent en ligne de compte. Ils permettent d’épouser le sol et de maximiser la surface d’empreinte, mais aussi d’assurer la résistance pour supporter tous les cycles de déformation à basses et hautes vitesses, tout en portant la charge à une pression abaissée jusqu’à 0,6 bar. Par ailleurs, la sculpture doit assurer la traction sur tous les types de terrain et résister à l’usure sur les routes.

Préserver les sols, un leitmotiv

L’occasion pour Caroline Schoenhenz de rappeler que tous les pneus VF ne se valent pas en matière d’endurance, de résistance et de carcasse. La technologie UltraFlex du fabricant revendique un rendement amélioré de 4 %, tout en protégeant le sol de la compaction. Elle répond à l’enjeu de productivité recherché par les agriculteurs. "Les clients peuvent s’interroger sur la valeur VF, remarque-t-elle. Nous voulons montrer au marché les avantages uniques des technologies UltraFlex pour répondre à cette norme et éviter la banalisation de ces montes."

En matière d’exploitation, la préservation des sols apparaît en effet essentielle pour garantir des rendements élevés et durables. L’industriel BKT exploite, lui aussi, la technologie VF. La solution permet aux pneumatiques de fonctionner à des pressions réduites, augmentant ainsi la surface de contact avec le sol tout en réduisant de manière significative le compactage, abonde le fabricant.

L’enjeu figure également au premier rang des préoccupations de Yokohama TWS. À travers sa gamme TM1000 ProgressiveTraction enrichie de quinze nouvelles dimensions, Trelleborg intègre la solution PFO (pressure field operations). L’innovation améliore les performances dans les champs en augmentant la capacité de charge à des vitesses faibles (5-15 km/h). Au-delà, la technologie souligne la valeur des normes VF. Elle assure une réduction substantielle de la pression des pneus, tout en transportant la même charge et en minimisant le tassement de la terre.

Les limites des profils hybrides

La compatibilité entre les performances dans les champs et sur la route reste toutefois un défi majeur dans la conception des pneus agricoles modernes, confient les ingénieurs de BKT. Avec des structures renforcées et des bandes de roulement conçues pour résister à l’usure sur les surfaces asphaltées, les solutions développées (à l’image de l’Agrimax Procrop) entendent associer la stabilité au confort de conduite, tout en réduisant les vibrations et en augmentant la sécurité. Ils représentent en théorie la solution optimale pour les agriculteurs appelés à se déplacer fréquemment entre les champs et les exploitations.

Mais derrière leur polyvalence, les profils hybrides pourront montrer leurs limites dans certaines situations, comme sur des terrains très boueux ou des surfaces extrêmement dures. Une autre précaution d’usage concerne les modèles VF dont le nombre de crampons a été augmenté afin d’améliorer l’efficacité sur la route sans compromettre la traction dans les champs, à condition que le sol soit sec. "Les exploitants agricoles recherchent des pneumatiques qui répondent avant tout à leurs besoins spécifiques", expliquent les experts de Yokohama TWS.

Les systèmes de gonflage permettent d’ajuster la pression des pneus de manière dynamique, optimisant les performances dans les champs et sur la route. ©Michelin

Les systèmes de gonflage permettent d’ajuster la pression des pneus de manière dynamique, optimisant les performances dans les champs et sur la route. ©Michelin

 

Les exigences peuvent conduire à une hyperspécialisation des enveloppes dans certains types de cultures telles que la betterave ou la pomme de terre, requérant des profils étroits sans pour autant augmenter le diamètre. "Tout est lié à l’application ! Plus celle-ci est technique, plus il faut choisir le bon pneumatique, vérifier régulièrement les pressions, assurer le suivi et apporter des conseils pour optimiser la durée de vie des équipements."

À l’image des voitures de tourisme dont les besoins en pneus diffèrent entre l’été et l’hiver, les agriculteurs doivent choisir les profils qui conviennent à leurs activités spécifiques, confirme James Zhu. Pour les travaux de grande envergure, les enveloppes à technologie VF se révéleront le choix idéal.

À l’inverse, sur les opérations impliquant presque 100 % de routes ou de surfaces dures, les agriculteurs pourront envisager des pneus à pavés. Enfin, dans le cadre d’une répartition équilibrée entre les parcours sur route et les travaux dans les champs, il apparaît nécessaire d’opter pour un profil dont les sculptures assurent une longue durée de vie grâce à la conception de leur bande de roulement et à sa composition.

Le télégonflage au service du rendement

Pour renforcer leur efficacité, les pneumatiques peuvent s’associer par ailleurs au télégonflage. La solution CTIS (développée en partenariat avec l’équipementier PTG du côté de Michelin) décuple alors les capacités techniques des enveloppes, en particulier des profils hybrides tels que l’Evobib du manufacturier français. Le système permet d’utiliser les enveloppes toujours à la bonne pression, sur route comme dans les champs.

Initié dans le secteur militaire et du poids lourd, le télégonflage se déploie dans l’agraire depuis une dizaine d’années en France, à travers également Sodijantes Industrie. Déjà adoubée par les exploitants allemands et hollandais, la solution limite le compactage des sols. Outre une baisse des consommations en carburant de l’ordre de 10 % à 15 %, l’équipement allonge également la durée de vie des pneumatiques de près de 35 % pour atteindre les 6 000 heures.

Couplées à une application comme AgroPressure permettant de calculer la pression idéale recommandée en fonction des usages et des outils utilisés, les innovations répondent à la productivité, au rendement et à l’efficacité énergétique recherchée par les agriculteurs.

 

ENCADRE

3 questions à Océane Prieur, cheffe de projet Michelin

"Avec Cosmos, tout ce qui pouvait être automatisé l’a été !"

À quels enjeux répond le projet Cosmos ?

La mise en service de cette machine de fabrication des pneus dans notre usine de Troyes (10), l’été dernier, correspond à plusieurs objectifs clés. D’une part, ils reposent sur l’amélioration de l’ergonomie. L’enjeu est en effet de réduire la pénibilité du poste de confectionneur de pneus, l’un des métiers les plus exigeants à cause de la taille et du poids des pneus agricoles qui peuvent atteindre 350 kg. Actuellement, ces profils sont fabriqués en posant plusieurs nappes de manière très précise et à la main.

D’autre part, la priorité a porté sur l’innovation technologique. Cosmos est en effet une machine unique au monde conçue en collaboration avec les ingénieurs et les opérateurs de l’usine. La réduction de l’impact environnemental a guidé également son développement. En diminuant de 20 % l’utilisation des solvants, elle contribue à une production plus respectueuse de l’environnement.

Dans quelle stratégie globale s’inscrit-elle ?

Cosmos vise à moderniser et à robotiser les procédés de fabrication des pneus. Elle permet de maintenir la compétitivité de notre usine sur le marché européen de l’agraire. Par ailleurs, elle entend améliorer l’attractivité du site en transformant l’environnement de travail et en utilisant des technologies avancées, comme la réalité augmentée pour la formation des employés, par exemple.

Quelles sont les évolutions apportées à la fabrication ?

L’automatisation des processus est le maître-mot. Les convoyeurs équipés de cellules optiques et les robots assurent une fabrication plus précise et plus ergonomique. Cosmos permet d’assembler des pneus de tailles variées, allant de 24 à 54 pouces. Ces dimensions répondent aux besoins spécifiques du secteur agricole que l’usine ne pouvait pas produire auparavant. Cette nouvelle solution d’assemblage va changer le métier de ses opérateurs. Aujourd’hui, ils sont manufacturiers. Demain, ils piloteront la machine.

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