Chaussende : 100 ans d’histoire et d’évolution
Comme la plupart des parcours à succès, l’histoire du groupe Chaussende continue de s’écrire chaque jour et pour, sans aucun doute, encore de nombreuses années. Toutefois, avant de témoigner de la réussite actuelle, il est nécessaire de replonger dans le passé pour rendre compte de cent ans d’aventures familiales. Où débute réellement l’histoire de la famille Chaussende ? Officiellement en 1924, lorsque Pierre Chaussende, à l’époque charron, décide d’installer son affaire boulevard de la République, au Puy-en-Velay (43).
Mais à y regarder de plus près, cela a débuté encore plus tôt, comme en témoigne Jean-Pierre Lenhof, l’ancien gérant de l’entreprise familiale : "Mon arrière-grand-père, que je n’ai pas connu, était bourrelier – il travaillait la bourre et le cuir afin de réaliser des pièces d’attelage pour le travail des chevaux. Son fils, mon grand-père, Pierre Chaussende, a démarré en réparant des roues de calèches. Quand il s’installe dans le centre-ville du Puy-en-Velay, c’est sous la raison sociale de "vulcanisation moderne ". À l’époque, il avait une largeur de cinq ou six mètres sur trente, car le magasin était à cheval sur deux rues. Les boutiques des vulcanisateurs étaient de véritables "bouis bouis"".
Durant plusieurs années, Pierre Chaussende fait croître et développe son entreprise, vulcanise des pneumatiques et les rechape. Il y travaillera toute sa carrière, jusqu’à sa retraite, dans les années 1960. À cette époque, Pierre, qui s’est marié et a eu trois filles, cherche alors un repreneur. "Mon grand-père avait donc trois gendres, dont mon père, Jacques Lenhof, le mari de ma mère Roselyne Chaussende, dite Lyne. Le mari de sa fille aînée Pierrette, à la tête d’une usine de chaussures ne souhaite pas s’investir. En revanche, mon père et mon oncle, Michel Lyotard, prennent la relève".
En 1963, Jacques Lenhof prend donc les manettes de l’entreprise, en rachetant les parts de la sœur aînée de Roselyne, devenant ainsi majoritaire. Quant à son beau-frère, Michel, ce dernier s’occupe de l’usine de rechapage. "C’était une époque totalement différente, je ne l’ai connue qu’enfant : mon père travaillait sur le trottoir. Les voitures et les camions s’arrêtaient en double file sur la route pour se faire changer les pneus ! Nous n’avions que très peu d’espace", se souvient l’ancien dirigeant.
Un engagement syndical et la naissance de Point S
C’est à la même époque que Jacques Lenhof débute son engagement syndical. Très présent au cœur des échanges autour du métier, il prendra la présidence de la CNCPIR (Chambre nationale du commerce du pneumatique et de l’industrie du rechapage), l’ancêtre de ce que deviendra le Syndicat du Pneu dans le courant des années 1970. Et c’est à l’occasion d’un voyage organisé par un manufacturier aux États- Unis, que tout change.
Parti avec plusieurs confrères, Jacques découvre sur place un autre monde : plus grand, plus vif et plus coloré. "Alors que les vulcanisateurs et vendeurs de pneumatiques avaient en France de petites boutiques ternes et sans signe distinctif, il découvre de véritables cathédrales de l’autre côté de l’Atlantique". L’équipe revient donc avec plein de nouvelles idées pour se différencier, se faire reconnaître et changer l’image du vulcanisateur.
"C’est ainsi que mon père prend part aux échanges avec plusieurs confrères et décide de s’allier, en créant Point S. Leur objectif est simple, ils veulent des points de vente plus professionnels, des couleurs vives pour être reconnaissables et une bannière unique sous laquelle ils peuvent se rassembler, tout en conservant leur indépendance totale. L’objectif au départ est aussi et surtout d’avoir une puissance d’achat pour négocier auprès des manufacturiers", poursuit son fils. Au total, une cinquantaine de négociants spécialistes se rassemblent pour créer le GIE PubliPneu (1971), qui donnera naissance à Point S en 1972.
Construire une cathédrale
La même année, en 1970, la zone industrielle de Corsac est créée aux alentours du Puy-en-Velay, à Brives-Charensac (43). Une aubaine ! L’affaire familiale, installée en centre-ville, n’offre aucune possibilité d’agrandissement, pourtant Jacques Lenhof a la conviction que les mètres carrés supplémentaires vont être essentiels au développement de son activité. Rapidement convaincu par l’un de ses amis, concessionnaire Peugeot, qui sera le premier à rejoindre la zone de Corsac, Jacques Lenhof ne tarde pas et est le deuxième à y poser ses valises, aujourd’hui encore le plus important parc d’activités des alentours.
Ici, tout prend une autre dimension, Chaussende s’installe sur un terrain de près de 6 000 m2 dont 2 500 m2 couverts. La petite usine de rechapage, presque artisanale, disparaît au profit d’une firme moderne, avec de nombreux équipements, installée à l’arrière du point de vente. Et le flair de Jacques Lenhof ne l’a pas trompé : les années qui suivent seront des plus fastes pour le groupe familial. Son beau-frère, Michel Lyotard, qui supervise la partie technique et le traitement des pneumatiques, est à la tête de douze employés.
Parallèlement, toujours à la présidence de la chambre syndicale, Jacques Lenhof signe en 1977 avec le ministère de l’Industrie, un accord sur le rechapage des pneumatiques de tourisme, avec des objectifs plus qu’ambitieux : deux millions de pneumatiques rechapés sont visés en 1980, trois millions en 1985. L’accord prévoit également la mise en place d’une charte de la profession de rechapage afin de garantir un niveau "optimum" de qualité de produit et de service.
L’État s’engage de son côté à promouvoir le pneumatique rechapé, pour des raisons évidentes d’économies de matières premières et d’énergie. Quelques années plus tard, en 1982, Chaussende devient le troisième rechapeur national, derrière le groupe Laurent et la SEIA (Dunlop), avec environ 120 000 enveloppes traitées par an, un chiffre d’affaires de 24 millions de francs et 35 collaborateurs.
L’arrivée des manufacturiers chinois
Malheureusement, le succès ne dure qu’un temps et le marché des pneumatiques voit apparaître de nouveaux acteurs, à l’instar des manufacturiers chinois, qui vont complétement bouleverser la filière et les acteurs en place.
"Lorsque les fabricants chinois sont arrivés, avec des pneumatiques à des tarifs défiant toute concurrence, nous avons alors pensé pendant quelques années que nous pourrions résister. Nous avons fait le choix de rechaper énormément de pneumatiques, afin de faire baisser les prix de revient au maximum, en stockant beaucoup, puisque nous avions de l’espace. Mais même avec ces sacrifices, nos pneus rechapés étaient plus chers que des pneumatiques neufs proposés par les nouveaux acteurs. En outre, mon papa est décédé en 1995. Nous avons donc pris la décision d’arrêter l’usine en 1996, et à ce moment-là, mon oncle a été licencié et est parti en préretraite".
En 1996, ce sont donc Jean-Pierre et son frère Jacques Georges Lenhof, qui rachètent les parts de l’entreprise à leur oncle. "Quand j’étais minot, mon grand-père avait dit à mon père : « Un jour, c’est Jean-Pierre qui reprendra ». La succession s’est donc faite naturellement. Quand mon père a pris des responsabilités au sein de la chambre syndicale, il partait du lundi au vendredi : il fallait quelqu’un pour assurer le quotidien de l’entreprise, c’est comme ça que j’ai commencé à m’investir dans l’affaire familiale".
Jean-Pierre reprend la gestion générale de l’entreprise et Jacques s’occupe de l’accueil. Un changement de stratégie s’opère avec la fin de l’usine de rechapage, l’entreprise se tourne vers une activité de grossiste.
"Mon père était contre le fait de racheter d’autres affaires. Il considérait que ce n’était pas la bonne marche à suivre pour l’entreprise. Mais n’étant plus là, je n’ai malheureusement pas suivi ses conseils. J’ai donc racheté cette année-là une affaire, qui appartenait à l’un de ses amis, et qui comptait trois points de vente à Lyon (69), j’ai également monté une autre affaire (sous la bannière Point S) à Saint-Étienne (42)".
"Du pneu de brouette à celui d’avion"
Principalement revendeur aux différents garages de la région (50 000 TC4), Chaussende dispose d’une capacité de stockage importante sur son site de Brives-Charensac, et propose une offre très large, multi produit "du pneu de brouette à celui d’avion", car l’entreprise fournit à cette époque aussi des pneumatiques Dunlop au petit aérodrome du Puy-en-Velay.
Ses fournisseurs historiques sont bien évidemment Michelin et Bridgestone (pour qui il sera l’un des premiers concessionnaires sur le territoire français quand le manufacturier arrive dans l'Hexagone et ne dispose que d’un stock basé au Havre, ndlr). Mais très vite, Chaussende (poussé également par les partenariats de Point S), s’ouvrira à l’ensemble des manufacturiers.
Cependant, la vie n’étant pas un long fleuve tranquille, rapidement, face à la distance qui sépare Jean-Pierre Lenhof des autres centres, des difficultés apparaissent. "Pourtant, j’avais fait les choses bien, j’avais embauché un responsable dans chaque agence, mais la personne aux commandes avait le statut d’auto-entrepreneur, chacun travaillait pour lui et l’entreprise était bien malade", se souvient l’ancien dirigeant.
En 2000, la décision de "couper les branches" de Lyon et de Saint-Étienne s’impose, avant de laisser place à la 4e génération. Les deux enfants de Jean-Pierre, Steeve et Nancy Lenhof, font respectivement leur arrivée en 1996 et 2002, là aussi de façon assez naturelle.
"Ils se sont investis petit à petit, et comme j’étais par ailleurs bien occupé, ils ont commencé à prendre la relève, puis à réellement prendre les rênes lorsque je suis devenu président de Point S, en 2006, car à mon tour, je partais à Lyon du lundi au vendredi et il fallait faire tourner la boutique !".
De multiples casquettes
Pour autant, les diverses successions n’ont pas forcément été évidentes. "Avec mon oncle, tout d’abord, quand nous avons dû lui racheter ses 25 % de parts, et quelques années plus tard avec mon frère, lors de son départ en retraite, car nous étions à 50/50 et lui n’avait aucun de ses enfants dans l’entreprise. La famille s’est un peu recroquevillée. Nous avions vu cela à l’extérieur et nous nous étions toujours dit que ça ne nous arriverait pas, mais cela nous est arrivé ! Heureusement, cela n’a jamais mis en péril l’entreprise", se souvient Jean-Pierre Lenhof.
Toujours investi auprès de l’enseigne Point S, qui a largement évolué, avec notamment une nouvelle identité visuelle et un nouveau slogan dès 2003, Jean-Pierre Lenhof en devient le président en 2006. En parallèle, il tiendra de nombreux rôles au niveau local, qui ont assuré la réputation de son affaire dans la région. Il sera ainsi président du Medef de son département pendant une vingtaine d’années et adjoint à la ville du Puy-en Velay durant trois mandats, soit 18 ans.
Manager paternaliste, Jean Pierre Lenhof embauche son personnel de père en fils dans les familles, et met un point d’honneur à ne licencier personne, parfois au détriment des résultats de l’entreprise. "C’est pourquoi, il nous aura fallu près de dix ans pour essuyer les pertes engendrées par les échecs de Lyon et de Saint-Étienne", se remémore-t-il.
Le tournant de la diversification
C’est sous l’impulsion de Nancy Lenhof, sa fille, que l’entreprise prend un nouveau tournant stratégique. Cette dernière prend en charge la direction, quand son frère Steeve se consacre à l’activité industrielle. Le groupe Chaussende arrête ainsi progressivement son activité de grossiste (qui dégage des marges très fines) au fur et à mesure des départs en retraite des employés et décide de s’ouvrir à la diversification.
"Je me souviens du congrès Point S de Monaco en 2006, c’est la première fois où nous avons parlé de disques de freins, de plaquettes, d’amortisseurs. Nous avions insufflé cette nouvelle dynamique au niveau de l’enseigne, et ma fille Nancy a souhaité faire de même avec l’affaire familiale". Chaussende commence donc à proposer des prestations mécaniques, puis devient peu à peu un véritable centre-auto, en priorisant la réactivité, l’écoute et le service client.
"Avec l’arrêt de l’activité grossiste, nous nous sommes retrouvés avec de l’espace, près de 1 100 m2 étaient consacrés au stockage. Je disposais toujours d’environ trois mois de stock pour pallier notamment les inflations importantes ! Et comme nous exploitions deux centres de contrôle technique à l’extérieur, dans des locaux où nous étions locataires, nous avons pris la décision de les regrouper ".
Nancy rapatrie donc l’activité sur le site de Brives-Charensac, en exploitant les mètres carrés laissés libres par l’arrêt de l’activité grossiste et ouvre un centre de contrôle technique derrière la façade de Point S. Un choix payant puisque la santé financière du groupe s’améliore rapidement.
Avec un personnel plus limité, aujourd’hui huit salariés (contre 35 dans les années 1980), Chaussende se targue d’un chiffre d’affaires de 1 950 000 euros, dont 40 % sont assurés par la diversification. Côté pneumatiques, l’activité se divise en tourisme à 60 % et en industriel à 40 %.
Les idées de la jeunesse
En 2017, le fils de Nancy, Enzo, fait à son tour son entrée dans l’entreprise. La relève est donc assurée, car ce dernier n’est pas en reste en termes d’idées de développement. Véritable bras droit de sa maman, ce passionné de moto a même été sacré champion du monde Enduro Open en 2023 au Portugal. C’est lui qui poussera à l’ouverture du concept AndannaBike, Point S Chaussende s’occupe ainsi de l’entretien courant, vidanges, freins et réparations des deux-roues : moto, vélo et scooter.
Vient ensuite une station de lavage avec Auto Lavage Prestige : "Cette fois, c’est véritablement la station de mon petit-fils, il l’a montée seul, nous lui louons une partie du parking. C’est un système moderne, qui lave le véhicule sans aucun contact, à l’inverse des rouleaux. Et cela fonctionne du feu de dieu, je suis étonné de voir que les clients sont capables de faire parfois une heure de queue pour utiliser ce système innovant !".
Enfin, il y a deux ans, le groupe Chaussende a également ouvert le concept vitrage de l’enseigne, Point S Glass afin de compléter son offre de services. Soucieux du service client, le groupe a également misé sur l’achat de deux camions ateliers.
"Là encore, nous nous sommes éloignés de la vision de mon père, qui était contre le fait d’effectuer les réparations chez les clients. Il disait toujours : "Quand je me fais opérer, je ne dis pas au docteur de venir chez moi, je vais à l’hôpital. Pour les pneus, c’est la même chose !". Pourtant, c’est le sens de l’histoire et c’est un service précieux pour les véhicules industriels. En nous déplaçant, nous réduisons le temps d’immobilisation des camions et c’est apprécié de nos clients".
Réflexion sur les nouvelles mobilités
Avec à son actif une station de lavage, un centre de contrôle technique, un concept pare-brise, la vente de pneumatiques et l’entretien des véhicules, Point S Chaussende de Brives-Charensac couvre tous les besoins des automobilistes et conducteurs de deux-roues. Quel avenir alors pour les 100 prochaines années ? "Nous n’avons pas la volonté d’ouvrir d’autres points de vente. Cela ne nous a pas réussi et nous ne voulons pas retenter l’expérience. Bien évidemment, nous allons continuer de tenter de gagner des parts de marché, même si, dans la région, nous sommes bien installés".
Ce qui est sûr, c'est que la famille Lenhof continuera de suivre les recommandations de Point S, dont les têtes de réseau s’intéressent de près aux questions des nouvelles mobilités. Même si, pour le moment, aucune décision n’a été actée, il n’est pas impossible que, dans les années à venir, Chaussende propose à la vente des vélos et scooters électriques (concept Point S Écomobilité, ndlr). Un œil est aussi posé sur le concept Point S Vente Auto, lancé en 2022.
Dans tous les cas, le choix se fera avec prudence : "Si nous décidons de prendre un nouveau concept, cela nécessite forcément du personnel supplémentaire et aujourd’hui, nous avons atteint à un bon équilibre entre chiffres d’affaires et salariés pour sécuriser les emplois. Ma fille réfléchit, rien ne sert de courir !", conclut Jean-Pierre Lenhof.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°185 de mai-juin 2024.