Michel Vincentelli : "Allopneus est une pépite"
Le Journal du Pneumatique : Vous vous êtes peu exprimé depuis votre arrivée. Quel bilan faites-vous de cette première année ?
Michel Vincentelli : Un bilan très positif ! C’était une année importante pour Allopneus, pour nos collaborateurs, pour nos partenaires parce que c’était une année de transition. Nous sommes passés d’un management familial au statut d’une société d’un grand groupe. J’ai été très heureux de voir que, dès le début, le fait de savoir que le groupe Michelin devenait l’actionnaire principal et unique a généré de la confiance auprès des collaborateurs. Les équipes ont fait un travail formidable pour effectuer toutes les opérations liées à une acquisition et une intégration. Le deuxième point, c’est que nos partenaires nous ont renouvelé leur confiance, en particulier les manufacturiers, et ça a beaucoup de valeur, car Allopneus est un acteur multimarque. C’est ce qui a fait son succès, et ce qui doit continuer à le faire.
JDP : En quoi vos 25 années passées chez Michelin vous sont-elles précieuses pour aborder ce nouveau chapitre ?
M. V. : Plusieurs choses. La première tient dans le fait que Michelin est une formidable école de management. Pendant toutes ces années, j’ai eu l’opportunité de l’apprendre et de continuer à le faire, car c’est quelque chose qui ne s’arrête jamais. Et j’ai eu la chance de manager des équipes diverses et variées, commerciales ou techniques, dans des cultures française, européenne et mondiale. Ça m’a permis de développer des valeurs qui sont celles du groupe et qui fonctionnent bien. Sur le plan du business, je suis venu chez Allopneus pour apprendre.
Cette société est une pépite, c’est comme ça que je la caractérise. Je suis venu mettre à son service ma connaissance du marché automobile, remplacement ou première monte, car j’ai travaillé sur les deux marchés, aussi bien en véhicule de tourisme qu’en poids lourd. Cela me permet d’avoir une très bonne connaissance de la distribution, des politiques de marques, des référencements, et aussi d’avoir une bonne vision des quinze années à venir en termes d’évolution des véhicules. Je pense que cela fait partie des choses que je vais apporter à cette entreprise, pour lui permettre de garder un coup d’avance et préparer le Allopneus de demain.
JDP : De quoi sera fait ce futur ?
M. V. : J’ai passé mes premiers mois au contact proche des collaborateurs et partenaires, avec qui on s’est livré à un exercice très important, qui était d’écrire ce qu’on voulait qu’Allopneus soit en 2030. C’est évidemment un plan de croissance, mais qui s’articule autour du client et de sa satisfaction, avec un point crucial qui porte sur la notion de responsabilité et le fait d’être un acteur de plus en plus responsable de la mobilité. Le marché nous regarde avec de plus en plus d’exigence.
Préparer le Allopneus de demain, c’est être capable d’attirer des clients qui ne savent pas, ou ont peur d’acheter des pneumatiques sur Internet, en leur offrant une expérience de remplacement facile et rassurante. Et de le faire tout en étant attentifs à nos ressources, à nos émissions, etc. Nous avons un vrai rôle à jouer et nous allons développer cela tout en permettant aux salariés de s’épanouir, car nous avons aussi besoin d’attirer des talents.
JDP : Comment se porte Allopneus ?
M. V. : Si on zoome sur le dernier exercice, 2022 a été une année pleine de surprises, et pas que des bonnes. À partir de juillet, nous avons constaté un fort ralentissement avec, en parallèle, une augmentation des prix, et pas seulement des pneumatiques, qui a poussé les gens à consommer différemment. Dans ce contexte, nous avons dû être extrêmement agiles pour ajuster nos commandes, mettre en place des actions répondant aux inquiétudes de consommateurs préoccupés par leur pouvoir d’achat.
Tout cela nous permet de dresser un bilan très positif. Allopneus a généré un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros et a gagné des parts de marché en sell-out. Sur un marché à -8 % en volume, nous nous inscrivons à -2 %, donc notre performance est nettement supérieure à celle du marché sur tous les segments – été, hiver, toutes saisons – mais aussi sur les niveaux de marques.
Il est important de souligner que, contrairement à ce qu’on peut lire trop souvent, Allopneus est un acteur premium. Ces marques représentent à peu près la moitié de nos ventes, et leur poids est resté stable chez nous en 2022. Je pense que c’est aussi pour ça que nos partenaires nous ont renouvelé leur confiance. Nous sommes capables de mettre en avant les marques, les produits, les technologies qu’elles incorporent et les bénéfices clients qu’elles proposent.
JDP : Qu’est-ce qui explique cette performance ? Une politique commerciale agressive ?
M. V. : Non. Nous avons des impératifs de profitabilité comme l’ensemble des entreprises de la distribution, donc nous n’avons pas pu nous permettre d’être plus agressifs commercialement l’an dernier. Une partie des coûts s’imposent à nous, et nous avons dû les répercuter. En revanche, historiquement, Allopneus a toujours eu un poids premium assez élevé. Nous avons des clients qui, en bonne partie, sont des gros rouleurs, exigeants, parfois multi-véhicules, et ils recherchent donc des produits performants. Dans un contexte d’inflation, être capable de mettre en avant des pneumatiques qui offrent des performances kilométriques plus élevées et des gains de consommation ou d’autonomie, dans le cas de véhicules électriques, ça a du sens. On tire les fruits du travail mené par les équipes lors des années précédentes.
JDP : Le Syndicat du Pneu évalue à 16 % le poids des e-commerçants du pneu. Êtes-vous "raccord" avec cette estimation ? Par ailleurs, historiquement, la part d’Allopneus sur le marché online était évaluée à environ 50 %. Est-ce toujours le cas ?
M. V. : On est toujours sur cet ordre de grandeur, et on continue à gagner des parts de marché. L’une des raisons d’être très optimiste tient dans ces 16 %. Si vous regardez d’autres marchés en Europe, la Pologne par exemple, où le digital est au-delà des 25 %, on sait que le poids du e-commerce peut encore se développer à partir du moment où l’on est capable d’offrir quelque chose de différenciant. À peu près 70 % des clients préparent leur achat sur Internet et la majorité passe par Allopneus, mais ils n’achètent pas tous. L’enjeu pour nous est donc de faire en sorte qu’ils le fassent.
JDP : Vous avez parlé d’agilité. Dans le contexte qui est le nôtre, très perturbé, très instable, difficile à lire et à anticiper, des entreprises comme la vôtre ont-elles pleinement intégré cette notion pour s’adapter et continuer de croître malgré l’instabilité ?
M. V. : Je suis né dans les années 1970, donc je n’ai jamais vraiment connu de périodes euphoriques de croissance, et on m’a appris à être agile depuis tout petit. Je pense que c’est aujourd’hui la norme, car beaucoup de choses imprévisibles se passent entre les virus, les guerres et les pénuries. On est contraint d’opérer sur des marchés volatils. Je pense que c’est aussi une opportunité pour nous. Le fait de renforcer nos qualités de pilotage, qu’on aille plus vite pour prendre les bonnes décisions, qu’on décentralise beaucoup le management a été un facteur clé du succès en 2022. Et pour 2023, je n’ai pas envie qu’on perde trop de temps à imaginer ce que sera le marché. Décidons où nous voulons aller, et adaptons-nous !
JDP : Pour en revenir aux grandes tendances de 2022, les atermoiements autour de la loi Montagne ont-ils eu un impact sur votre saison hivernale ?
M. V. : On s’attendait peut-être à un effet plus positif de la loi Montagne en 2022, d’autant qu’il avait été marqué un an plus tôt, mais on s’attendait aussi à voir de plus en plus l’impact du toutes saisons sur le marché, qui commence à lisser les tendances. Dans les zones montagneuses, très clairement, les automobilistes s’équipent en pneus hiver et ne basculent pas en toutes saisons, convaincus des différences de performances entre les deux. Plus globalement, l’élément déclencheur reste la météo. En octobre et novembre, tout le monde était encore en terrasse. L’hiver n’est venu qu’en décembre, et beaucoup d’automobilistes ont fait le choix de décaler leur changement de pneumatiques. Par ailleurs, je pense que l’absence de sanctions n’a pas aidé.
JDP : Les soucis d’approvisionnement ont-ils eu un impact sur votre activité ?
M. V. : Nous n’avons pas souffert de pénuries. Vous savez qu’on s’appuie chez Allopneus sur une plateforme de stockage à Valence [d’une superficie de 84 000 m2, ndlr]. L’équipe achats a bien travaillé pour replanifier les commandes sur le premier semestre. Je dirais qu’aujourd’hui, l’enjeu se situe ailleurs. Il est davantage intéressant d’avoir toujours le bon pneu en stock, plutôt que d’anticiper s’il va neiger ou pas.
Avec la démultiplication des références, il devient de plus en plus difficile d’avoir en stock le pneu dont l’automobiliste a besoin. Ça nous pousse à voir comment garantir notre promesse client "Choisissez, c’est monté". Il y a un gros travail à faire côté Allopneus, mais on n’y arrivera pas si l’on ne réussit pas à emmener les manufacturiers avec nous. Le contexte est propice pour qu’ils se mettent à travailler avec nous différemment.
Gestion des prévisions, replanification, réassort, etc. tout ça va contribuer à satisfaire le client et permettre à toute l’industrie de porter moins de stock. C’est un message qu’on porte, car on ne peut pas tout stocker. C’est un enjeu économique mais aussi environnemental, car on ne peut pas se permettre de faire voyager à droite et à gauche des pneus pendant toute l’année. Après, je crains qu’on ne soit pas suffisamment forts, car cette complexité vient majoritairement de la première monte avec les cahiers des charges des constructeurs automobiles et leurs attentes sur les manufacturiers.
JDP : Où en êtes-vous de votre internationalisation ? Comptez-vous accélérer sur ce sujet ?
M. V. : Je suis arrivé après que l’internationalisation de la société a été lancée. Ce projet a été suspendu à la suite de l’arrivée du Covid, mais ce qu’on peut dire là-dessus, c’est qu’on ne s’interdira rien. Toutefois, de manière très humble, je pense qu’à l’instant T, Allopneus doit se concentrer sur le marché français. On a énormément de défis devant nous avec la conversion mobile, la protection des données, etc. Autant de chantiers engagés pour améliorer notre promesse client. En revanche, je suis convaincu que tout cela nous servira lorsque nous déciderons de sortir de France. Aujourd’hui, ce n’est pas en projet, mais si l’on se reparle dans un an, ce le sera peut-être.
JDP : Envisagez-vous, comme certains concurrents, de vous diversifier dans la pièce ?
M. V. : Non, très clairement. Le marché de la pièce est très différent du marché du pneu et très complexe, avec notamment la notion des retours à prendre en compte, qui est complètement différente. On se concentre sur notre cœur de métier, sachant qu’Allopneus propose déjà des jantes en aluminium et en tôle, ainsi qu’une gamme d’accessoires autour du pneu. Ça fait partie de notre ADN et on continue de la développer, mais la pièce ne fait pas du tout partie des projets.
JDP : Des développements verront-ils le jour dans les prochains mois ?
M. V. : Je vous mentirai en vous affirmant le contraire, mais je ne peux pas vous dire de quoi il s’agit, car nos concurrents, qui nous aident à progresser, nous regardent beaucoup. Je suis très vigilant à leur laisser la surprise de ce que l’on va mettre sur le marché en termes d’évolution. Nous sommes très surveillés…
JDP : On vous sent optimiste pour la suite…
M. V. : Je le suis. Allopneus a des équipes qui sont fantastiques avec une diversité magnifique qui ressemble à la France. Je suis très fier d’avoir la responsabilité d’être le directeur général d’Allopneus, c’est ce que j’ai dit aux équipes en arrivant, et aussi à Didier Blaise lors de la passation. C’est une grande fierté. Je suis particulièrement optimiste et confiant.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°180 de mai-juin 2023.