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Manufacturiers

En piste avec Nokian

Publié le 2 mai 2024

Par Nicolas Girault
5 min de lecture
Pour la première fois, le manufacturier finlandais a ouvert à la presse les portes de son nouveau centre d’essais espagnol. Le Hakka Ring vise à parfaire le savoir-faire de Nokian en matière de pneumatiques été et toutes saisons. Déjà réputé pour ses enveloppes hiver et hors route, l’industriel compte faire reconnaître son expertise dans les autres domaines.
Le centre d’essais installé dans la campagne castillane revendique son écoresponsabilité. Il conserve autant que possible vignes, oliviers, chênes et faune d’origine. ©Nokian

Nous sommes au milieu de nulle part, dans la vaste plaine du Tage exposée à tous les vents. Pas de constructions en vue, juste des champs, des vignes et quelques arbres épars. Sur la commune de Santa Cruz de la Zarza – à une centaine de kilomètres au sud-est de Madrid – une large porte barre la chaussée d’une route secondaire.

Juste à côté, sur un poste de contrôle moderne, on lit l’inscription "Nokian Tyres, Hakka Ring". Passé cette porte, on emprunte un pont enjambant une route à quatre voies. Plus tard, on comprendra qu’il s’agit de la piste d’essai la plus longue, qui enserre l’ensemble de la zone de test du manufacturier finlandais.

Centre de test respectueux de l’environnement

Puis, après avoir parcouru un entrelacs de pistes, longé des ateliers, entrepôts et bureaux, on atteint la base d’accueil des visiteurs. Ce vaste bâtiment au design en forme de pneu marron domine partiellement le centre d’essais du manufacturier ouvert en 2021. Son emplacement géographique permet au fabricant de tester ses enveloppes été toute l’année y compris lorsque ses deux autres centres d’essai finlandais – de Nokia (ouvert d’avril à novembre) et Ivalo (réservé aux tests sur glace) – sont soumis aux rigueurs hivernales.

Car sur le Hakka Ring le climat reste plus clément, même s’il peut y neiger en hiver. Les températures estivales atteignant jusqu’à 40°C permettent d’y soumettre les pneus été à des conditions extrêmes. "Sa localisation a été choisie pour plusieurs raisons, explique Daniel Rodriguez, responsable du site. Nous avions d’abord besoin d’un espace suffisamment vaste. Ensuite, il devait être plat, avec un sol de qualité. Enfin, il devait aussi être proche d’un aéroport international". Nokian Tyres a donc investi 60 millions d’euros pour bâtir l’un des centres d’essai de pneumatiques les plus modernes au monde.

Il a acquis des terres agricoles, sur lesquelles ses installations occupent 300 hectares. L’industriel nordique met néanmoins l’accent sur sa volonté d’exploiter le site en respectant au mieux son environnement. "Pour chaque arbre arraché, nous en avons replanté six." Tandis que ses 1 000 panneaux photovoltaïques fournissent 4 000 kW/h à la commune voisine. L’eau utilisée sur le site est majoritairement recyclée. Enfin, des agriculteurs locaux cultivent aussi des parcelles restées libres dans la zone…

Côté opérationnel, ce centre accueille dix pistes différentes. La plus longue est un ovale de vitesse de 7,2 kilomètres enserrant l’ensemble. La plus petite est un circuit circulaire de conduite humide de 204 mètres, installée à l’intérieur d’une autre piste ronde, dédiée à l’aquaplaning. D’autres sont équipées pour mesurer les bruits de roulage, les distances de freinage (sur différents revêtements, secs et humides) ou encore l’usure de la chaussée avec des pneus à clous.

Deux autres circuits plus grands sont spécifiquement réservés à la conduite sur route sèche (3,3 km) et mouillée (1,4 km). Mais la plus surprenante reste la piste de confort (1,9 km). Celle-ci reproduit différents revêtements de routes européennes – soit plusieurs types de macadam, plaques de béton, pavés, nids de poule, etc.

Conditions de roulage extrêmes

Après avoir enfilé un casque, nous montons à bord d’une Volkswagen Golf GTI pilotée par l’un des testeurs de Nokian. Sur l’ovale de vitesse, il répond aux questions sans sourciller. La voiture aborde l’un des deux bankings (virages relevés) à 41,3° (sur un rayon de 350 mètres) à plus de 190 km/h. Mais il en connaît tous les aspects et reste bien en dessous des 250 km/h autorisés dans le virage.

Son métier ? Tous les jours, il use ainsi de la gomme sur les circuits en faisant des ronds sur le Hakka Ring. Dans le passé, il a fait un peu de compétition automobile. Aujourd’hui, avec sa dizaine de collègues, il obéit à des protocoles rigoureux, pour mesurer le comportement des pneus de la marque (et ceux de la concurrence), dans toutes les conditions reproduites. Ils ont ainsi effectué 6 000 tests en 2023.

Plus loin, deux autres pilotes font essayer aux visiteurs la conduite sur sol mouillé. Eux aussi connaissent la piste par cœur. Ils enchaînent les drifts sur les 2 mm d’eau recouvrant la chaussée – alors que l’épaisseur d’eau de celle consacrée à l’aquaplaning s’élève à 7 mm. Puis, les techniciens du manufacturier invitent les visiteurs à prendre le volant d’une Cupra Born pour tester eux-mêmes les performances des enveloppes été lors d’un freinage d’urgence sur sol mouillé. Ils empruntent ensuite la piste de confort… qui maltraite les pneus sur certaines de ses portions.

Dans le banking à 41,3° de l’ovale, la vitesse maximale autorisée pour les pilotes-testeurs s’élève à 250 km/h. Mais ils peuvent dépasser les 300 km/h dans les lignes droites. ©Nokian

 

Finalement, le point commun de l’ensemble de ces tests effectués quotidiennement sur ces pistes est de soumettre longuement les pneumatiques à des conditions de roulage extrêmes. Ils mesurent ainsi leurs limites, que l’immense majorité des automobilistes n’atteint jamais. Résistance au roulage, adhérence, bruit… Autant de domaines qui sont testés pour être améliorés, notamment en se comparant avec les marques concurrentes les plus réputées.

"50 % de notre budget de recherche et développement de tous nos produits est dépensé dans les tests. Mais évidemment, une partie d’entre eux sont aussi réalisés sur simulateurs", précise Petri Niemi, vice-président pneus tourisme, tarification et approvisionnement. Mais rien ne remplace encore les observations des testeurs en conditions réelles.

Si Nokian fait autant d’efforts, c’est pour faire reconnaître ses gammes été et toutes saisons. Car c’est sur celles-ci que reposent désormais ses ambitions de développement. Ainsi, le manufacturier affirme être de retour sur le marché après ses déboires liés au conflit ukrainien. En effet, les sanctions occidentales antirusses l’ont poussé à abandonner son usine de Vsevolozhsk. "Mais notre départ de Russie a un effet positif sur notre durabilité", souligne Tommi Alhola.

Le vice-président du segment pneus tourisme Europe Centrale fait ici allusion à l’ouverture prochaine de la troisième usine de la marque à Oradea (Roumanie) – après celles de Nokia (Finlande) et de Dayton (États-Unis). Celle-ci devrait être la première usine de pneus au monde à être neutre en carbone. Elle fabriquera sa première gomme d’ici à l’été 2024. Tandis que sa production commerciale devrait démarrer en 2025.

Deux milliards d’euros en ligne de mire

L’ancienne usine russe du manufacturier a produit jusqu’à 17 millions d’enveloppes par an. Pour l’instant, celle d’Oradea ne devrait en produire que six millions, avec l’objectif d’augmenter cette capacité. Pour compenser ce défi, la marque s’appuie donc pour l’instant sur son "usine virtuelle". Il s’agit de manufacturiers asiatiques chez lesquels elle sous-traite une partie de sa production. L’objectif de Nokian est de produire plus de 15 millions de pneus par an en 2027. 35 % seraient produits à Nokia, 25 % à Dayton et 40 % à Oradea. Ses partenaires asiatiques compléteraient son offre à hauteur d'un à trois millions d’unités.

"Nous avons d’abord planifié une importante phase d’investissement en 2023-2025, avec notamment le Hakka Ring, le doublement des capacités de notre usine américaine et la construction du nouveau site en Roumanie. Puis, nous prévoyons une phase de croissance en 2026-2027, dont l’objectif final est d’atteindre deux milliards d’euros de ventes nettes", annonce Tommi Alhola. Cela, alors que pour l’instant Nokian en est à 1,35 milliard d’euros de ventes nettes.

Cette croissance programmée repose sur un portfolio de trois produits, en plus de sa gamme hiver. Et comme nous l’avons vu, c’est donc prioritairement pour assurer leur développement et leurs évolutions que le manufacturier a investi dans le Hakka Ring. Mais au fait, que veut dire Hakka ? Le nom a été choisi par les employés du manufacturier.

Il s’agit d’abord d’une allusion au nom du premier pneu tourisme hiver produit par Nokian en 1936 : Lumi-Hakkapeliitta. Celui-ci faisait référence au cri de guerre des Hakkapélites, cavaliers finlandais au service du roi de Suède lors de la guerre de Trente Ans, qui chargeaient en hurlant "Hakkaa päälle!" (Décimez-les)… Mais heureusement, le manufacturier finlandais semble aujourd’hui beaucoup moins belliqueux. Néanmoins, cette référence souligne la détermination de Nokian à s’imposer dans des spécialités où on ne l’attend pas.

 

Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°184 de mars-avril 2024.

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