Véronique Giraud, Continental : "Avoir des entités plus agiles qu'auparavant"

Le Journal du Pneumatique : Vous êtes l’une des rares femmes en France et dans l’auto à la tête d’un groupe de dimension internationale. Qu’est-ce que cela suscite en vous ?
Véronique Giraud : Je ne me positionne pas seulement comme une femme à la tête d’une entreprise, mais avant tout comme une directrice générale en lien avec des équipes. Je pense que la diversité est toujours un plus dans n’importe quelle organisation, que ce soit dans l’automobile ou ailleurs. Chez Continental, cette diversité et cette mixité ont toujours été poussées. L’anglais est par exemple la langue officielle. C’est dans notre ADN. Après, si cela peut inspirer des jeunes femmes ou des jeunes filles à se lancer dans la mobilité, je le salue. C’est important de dire que c’est possible, qu’il n’y a pas de limite et que la seule qui existe est celle que vous vous fixez.
JDP : Lors de vos études, aviez-vous imaginé faire carrière dans l’automobile et dans le pneu ?
V.G. : Ce qui m’intéressait, c’était la mobilité au sens large et le sport. Comme j’ai fait une école de commerce internationale, j’ai réalisé la moitié de mes études en France et l’autre moitié en Allemagne, avec un double diplôme. Je souhaitais commencer ma carrière en Allemagne et, en 1999, Continental cherchait des gens qui avaient mon profil, c’est-à-dire qui maîtrisaient la langue et avaient une affinité avec la culture tout en venant d’un autre pays, pour évoluer ailleurs dans un second temps.
JDP : Votre carrière a été marquée par différentes expériences à l’international, dont une en Chine. Qu’en retenez-vous ?
V.G. : C’était très impressionnant, notamment parce que j’ai vécu là-bas pendant la période Covid donc le cadre était particulier. Au-delà de ça, la Chine est un nouveau monde. Vous êtes dans la même entreprise mais vous avez une culture différente, des communications différentes, une manière de faire du commerce différente, des produits également différents car adaptés au marché local… Et puis, si Continental existe depuis plus de 150 ans, son arrivée en Chine date d’il y a seulement 20 ans et le groupe a là-bas un fonctionnement de start-up, très proche du marché, très agile. C’est un pays qui vous donne, mais qui vous prend aussi beaucoup d’énergie. Là-bas, tout va très vite.
JDP : Pour en revenir à votre groupe, justement, comment a évolué votre activité en France lors du premier semestre (interview réalisée en juillet, ndlr) ?
V.G. : Nous sommes sur une première partie d’année chahutée. En 2024, il y avait eu différentes séquences avec des trimestres différents mais finalement un bilan annuel plutôt correct. Là, la tendance semble être identique. Des segments sont beaucoup plus dynamiques qu’anticipé, comme le toutes saisons qui croît beaucoup plus vite qu’attendu. Ce qui ne change pas, c’est l’évolution du mix produit avec d’un côté des dimensions de plus en plus larges en 18 pouces et plus, et de l’autre un parc français et européen vieillissant et des demandes qui évoluent. Globalement, pour les 12 à 18 prochains mois, nous allons rester sur un marché chaotique avec des plus et des moins liés à l’automobile, à la consommation et aux incertitudes des ménages.
JDP : La pression sur vos partenaires constructeurs automobiles est très forte, avec beaucoup d’interrogations sur leur avenir. Comment gérez-vous ce paramètre ?
V.G. : Le monde de l’automobile change, et change vite. Nous avions auparavant des certitudes qui ne sont plus là. Chez Continental, nous sommes un partenaire fort des constructeurs en première monte et nous nous devons donc d’être proches d’eux, très agiles, très à l’écoute. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons fait le choix de rendre nos nouveaux produits adaptés aux thermiques comme aux électriques. C’est un vrai plus pour répondre à leurs attentes.
JDP : Quelques années en arrière, ce choix de rendre adaptables les produits commercialisés ou de développer une nouvelle gamme dédiée à l’électrique a agité la réflexion des manufacturiers. Aujourd’hui, il n’y a plus de débat ?
V.G. : Pour nous, c’est le choix le plus pertinent en Europe. En Asie, la réflexion peut être légèrement différente mais dans notre région, cette stratégie est la bonne. Tous nos nouveaux produits conviennent aux thermiques et aux électriques tandis qu’en parallèle, nous travaillons à adapter progressivement nos gammes existantes, donc nous atteindrons le 100 % à terme.
JDP : La croissance du toutes saisons se poursuit mois après mois et continue d’animer le marché. Arrivez-vous à identifier les limites de ce segment ?
V.G. : Le pneu toutes saisons existe depuis des dizaines d’années mais il a pendant longtemps été peu développé. Ce que nous voyons, c’est qu’il y a une croissance exponentielle. La loi Montagne a forcément joué sur cette dynamique avec un produit qui aide les utilisateurs à s’y conformer. Mais, pour moi, le juge de paix portera sur l’arbitrage, en termes de logistique ou d’homologation, de nos clients professionnels. Désormais, nous avons des constructeurs qui ne prennent plus que le toutes saisons en option, ce qui signifie qu’il n’y a pas de limite.
JDP : Toujours sur ce sujet, vous avez présenté au début de l’été un nouveau toutes saisons non pas avec la marque Continental mais avec Uniroyal. Cette technologie n’est donc plus l’apanage des premium ?
V.G. : Nous avions déjà du toutes saisons en Uniroyal. Mais avec ce nouveau produit, ce qui change c’est l’ambition que nous y apportons et notamment avec l’élargissement de la gamme en UHP. Nous avons une belle marque, un bon positionnement, qui répond aux tendances du marché, et il fallait faire cet effort de R&D pour élargir le spectre. Uniroyal est un élément très important de notre stratégie. En Belgique, en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie, elle est très appréciée.
JDP : Ce renforcement d’Uniroyal répond-il aussi à la "dépremiumisation" du marché ?
V.G. : Ce développement répond davantage à la logique de l’évolution du parc et à l’âge des véhicules. Sur des modèles récents, si nous faisons bien notre travail, un utilisateur va toujours se laisser convaincre par un pneumatique premium. Pour un véhicule de sept, huit ou neuf ans qui ne roule pas beaucoup, la réflexion est différente et Uniroyal est la réponse parfaite.
JDP : Ces derniers mois, votre actualité a aussi été marquée par la création d’Aumovio. Quels sont les objectifs de cette réorganisation ?
V.G. : Nous en revenons à l’évolution du monde de l’automobile. C’est toute la genèse du projet. Nous devons aujourd’hui avoir des entités beaucoup plus agiles que par le passé pour mener le changement. Il faut que chacune soit plus spécialisée et puisse répondre plus rapidement aux attentes du marché, ce qui est plus compliqué dans un groupe de 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 250 000 employés. En se spécialisant davantage, chaque entité sera plus agile et donc plus pertinente.
JDP : Autre sujet, sur le plan marketing, vos couleurs s’affichent tous les étés sur les routes grâce au Tour de France dont vous êtes devenu un partenaire iconique. Qu’attendez-vous de cet évènement ?
V.G. : Le Tour est l’un des évènements sportifs majeurs dans le monde. C’est aussi un spectacle gratuit avec des millions de personnes sur le bord des routes et des dizaines de millions devant leur écran. Il constitue donc une vitrine incroyable qui donne une perspective et une légitimité immense à la marque. C’est une plateforme qui est extrêmement importante et qui a une place très forte dans notre agenda, dans les activations ou dans les invitations clients. Clairement, le Tour de France contribue au rayonnement de la marque.
JDP : Arrivez-vous à quantifier l’impact de ce partenariat sur vos ventes ou votre notoriété par exemple ?
V.G. : C’est complexe à dire mais, en revanche, nous faisons deux fois par an des études sur notre notoriété et nous voyons bien un pic aux alentours de l’été. Donc indirectement, ce partenariat va aider nos clients à vendre nos produits avec une marque connue du consommateur et qui est aussi rassurante. La difficulté étant de le faire vivre pendant douze mois. D’avril à octobre, nous y arrivons et le fait d’avoir convaincu Tadej Pogacar, le meilleur coureur au monde, d’être notre ambassadeur va contribuer à cela.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°191 de septembre-octobre 2025.