Pirelli relève les défis de l’hiver
C'est un sacré numéro d’équilibriste auquel se prête Pirelli. Et c’est d’ailleurs le lot de tous ses concurrents premium. Depuis une dizaine d’années, le lancement du CrossClimate, premier toutes saisons de Michelin, a rabattu les cartes sur le marché du pneumatique. L’aura de Bibendum, son savoir-faire technique et encore plus sa science du marketing ont ouvert une troisième voie d’envergure.
L’été et l’hiver ont ainsi appris, à leurs dépens, à composer avec cette technologie inventée dans les années 1980 par Goodyear. Année après année, et quel que soit le contexte, celle-ci continue d’enchaîner les croissances à deux chiffres. Aujourd’hui, dans l’Hexagone, le toutes saisons représente une vente sur trois, alors que bon nombre d’observateurs s’accordent à dire que son plafond de verre est encore loin d’être atteint.
Si ce type d’enveloppes constitue une belle opportunité commerciale pour les fabricants, il n’en demeure pas moins un véritable casse-tête. Comment pousser un nouveau produit sans pour autant pénaliser un plus ancien ? Dans les faits, lors de la dernière décennie, le toutes saisons a essentiellement cannibalisé le segment été. Mais à mesure que les générations de produits se sont renouvelées, ce segment a aussi largement progressé sur certains items particulièrement complexes à maîtriser.
Voir ces enveloppes performer dans le froid, sur route humide ou sur la neige n’est désormais plus une incongruité. Or, en ce sens, un toutes saisons peut légitimement concurrencer un hiver et séduire aussi de nouveaux automobilistes, évoluant par exemple en massifs montagneux, convaincus de sa praticité.
Pas de risque de cannibalisation d’après Pirelli
Directeur général de l’Europe de l’Ouest de Pirelli, Alejandro Recasens ne croit pas à cette prophétie. "Il est vrai que les pneus toutes saisons ont énormément progressé ces dernières années. Les technologies se sont perfectionnées pour offrir des niveaux de performances très élevés. Cependant, je crois qu’un utilisateur de pneus été a plus de raisons de se laisser convaincre par un toutes saisons qu’un utilisateur de pneus hiver. Le point fondamental, c’est la sécurité. Or, même si ces produits progressent, ils n’égaleront jamais ce que peut proposer un pneu hiver en hiver. En résumé, la force du produit le met à l’abri d’une éventuelle cannibalisation."
Le manufacturier italien est tellement convaincu par son analyse qu’il s’est prêté à un exercice compliqué : prouver, dans des conditions extrêmes, la pertinence du dernier-né de sa gamme toutes saisons, le Cinturato AllSeason SF3, tout en démontrant celle de sa gamme hiver, le Cinturato Winter 2, lancée il y a cinq ans et qui sera renouvelée dans les prochains mois…
Mi-janvier, Pirelli a ainsi ouvert les portes de son centre de tests nordiques à la presse française. Situé en Laponie suédoise, à 900 km au nord de Stockholm, le Sottozero Center est assurément l’une des bases d’essais les plus perfectionnées qui soient dans l’univers de la gomme. Inauguré en 2017, cet outil s’étend sur 120 hectares et comprend 250 000 m2 de pistes.
De novembre à mars, les possibilités y sont multiples, presque infinies. Sur glace, sur neige, sur mouillé, sur circuits, sur des anneaux ou en ligne droite, sur du plat ou même en montée, le Sottozero Center est riche d’une vingtaine de pistes. Celles-ci permettent de faire des tests de traction, d’adhérence ou encore d’évitement, à basse comme à très haute vitesse, et de le faire en extérieur, avec tout le côté aléatoire que cela implique, ou en intérieur.
Un produit stratégique
L’an passé, Pirelli a investi dans deux pistes couvertes, longues pour l’une de 240 m et pour l’autre de 140 m sur une quinzaine de large, "chauffées" à -8 degrés. De quoi permettre de réaliser des essais sur neige et sur glace dans des conditions parfaitement maîtrisées et toujours constantes. Tout cela offre à la firme italienne la possibilité de tester et de développer ses produits hiver et nordiques dans un endroit qui lui est exclusivement dédié, mais aussi d’accueillir des entités externes.
Le Sottozero Center sert ainsi de base pour certains organismes de certification. Il reçoit en outre de nombreux constructeurs automobiles qui viennent finaliser la mise au point générale de leurs prochains modèles et/ou des pneumatiques qui seront chaussés dessus.
Situé à 900 km au nord de Stockholm, le Sottozero Center de Pirelli s’étend sur 120 hectares et comprend une vingtaine de pistes d’essais. ©Pirelli
C’est donc dans ce cadre que les Cinturato AllSeason SF3 et Cinturato Winter 2 ont été mis à l’essai. Une grande première pour le toutes saisons de Pirelli qui a fait son apparition en 2024. "C’est un produit stratégique pour nous compte tenu de l’évolution du marché", souligne Valentin Caquot, chef de produits auto. Disponible en 51 dimensions allant de 15 à 20 pouces et notée A au labelling européen en adhérence sur sol mouillé, cette innovation dénote sur plusieurs points.
À commencer par son inédite bande de roulement. Celle-ci est notamment dotée de rainures centrales en zigzag et d’autres horizontales plus larges à l’extérieur, assurant une répartition optimale de la pression et une expulsion efficace de l’eau. Les blocs en forme de V imbriqués les uns dans les autres permettent quant à eux une plus large surface de contact et donc une meilleure répartition du poids. Enfin, de nouvelles lamelles 3D, qui passent d’une forme droite à une autre en zigzag, optimisent les performances sur la neige quand le pneu est usé et offrent d’excellentes qualités de freinage.
Moins performant mais jamais très loin
En face de lui se dresse donc le Cinturato Winter 2. Comptant parmi les références de l’hiver, celui-ci se décline en 53 dimensions de 16 à 20 pouces. Très performant sur la neige ou la glace, ainsi qu’en situation d’aquaplaning, celui-ci se caractérise également par son excellente maniabilité ainsi que son silence à l’usage.
Sur les pistes suédoises, Pirelli proposait trois types de tests menés au volant de Volkswagen Golf VIII thermique et Volvo XC40 électrique. Le premier, réalisé sur un circuit sinueux, permettait d’évaluer le comportement des pneus sur un sol entièrement verglacé. Si le toutes saisons peine à briller sur le plan de la traction, il se montre beaucoup plus convaincant au niveau de son comportement, longitudinal comme latéral, avec un décrochage rapidement corrigé. Sans surprise, l’hiver se montre plus à l’aise sur ce terrain avec une sensation de maîtrise globale plus élevée.
Le deuxième atelier proposait d’éprouver ces deux enveloppes sur deux lignes droites enneigées avec un slalom réalisé à environ 50 km/h, puis une manœuvre d’évitement à 60 km/h. Sur ces deux situations, le Cinturato Winter 2 démontre tout son potentiel. Précis sur les trajectoires, incisif sur les changements de direction, il offre en outre une traction optimale. Avec le XC40 électrique en quatre roues motrices, la traction s’avère même similaire à ce qu’elle peut être sur une route sèche.
De son côté, le Cinturato AllSeason SF3 n’a pas de quoi rougir. Si le slalom est moins précis, si la voiture sort un peu plus large sur le second changement de direction lors de la manœuvre d’évitement et si le grip est moins puissant, ce pneumatique fait largement le job.
Sensibiliser les utilisateurs
Le troisième et dernier atelier portait sur des freinages d’urgence à 40-50 km/h. L’un réalisé sur la piste intérieure enneigée, l’autre en extérieur, sur une route déneigée mais très humide. Sans outil de mesure, difficile d’estimer précisément les performances de l’un et de l’autre. Le ressenti, quant à lui, donne l’impression que le toutes saisons et l’hiver n’ont jamais été aussi proches. Le freinage est précis, la voiture ne dévie pas de sa trajectoire et aucun à-coup ne se fait ressentir sous la pédale.
Au final, la qualité de ces deux produits s’avère patente. L’un et l’autre ne mettent jamais en défaut le conducteur ni la voiture, et un sentiment d’assurance ressort de toutes les situations expérimentées. Valentin Caquot rappelle toutefois que les écarts de performances constatés ou ressentis pourraient être plus importants avec deux produits de même génération, sachant que le Cinturato Winter 2 date d’il y a cinq ans.
En ouvrant les portes du Sottozero Center et en jouant la carte de la transparence, Pirelli entendait aussi replacer le débat public autour du pneu. Utiliser le bon produit, au bon moment, au bon endroit relève du bon sens. Sauf qu’encore beaucoup trop d’automobilistes méconnaissent leurs enveloppes et déconsidèrent le sujet. Florent Deruelle, responsable marketing et communication France, précise ceci : "Chez nous, 25 à 35 % des jours de l’année présentent des températures inférieures à 7 degrés. Et ce n’est qu’une moyenne. Cette donnée peut s’élever à 50 ou 60 % dans certaines régions." Comprendre par là qu’il y a de la place pour tous les produits, si tant est qu’ils soient utilisés à bon escient.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°188 de janvier-février 2025.