Barneaud Pneus, l’histoire d’une ascension familiale
Pour raconter l’histoire de Barneaud Pneus, il faut remonter aux années 1930, à Gap (Hautes-Alpes), où tout commence. À cette époque, Désiré Barneaud devient marchand de pneus et vulcanisateur. C’est lui qui donnera son nom à l’entreprise qui, près d’un siècle plus tard, n’a pas changé.
"Quelques années avant la guerre, ma grand-mère se remarie avec Désiré Barneaud, qui devient le beau-père de ma mère, raconte Pierre Rebelles, l’actuel dirigeant du groupe Barneaud Pneus. Cette période voit l’émergence de ce nouveau métier de marchand de pneus, qui accompagne l’essor de l’automobile. C’est à ce moment-là que Désiré crée son entreprise. C’est une structure de taille modeste, et ses ambitions correspondent parfaitement au potentiel de l’époque. Elle est située en centre-ville, sans capacité d’accès ni de parking, et toutes les opérations sont réalisées à l’extérieur. Désiré réparait les véhicules sur le trottoir, été comme hiver."
Avec comme principal partenaire Michelin, Désiré Barneaud poursuit pendant plusieurs années son activité de montage/démontage et vente de pneumatiques, principalement pour véhicules légers. Après-guerre, son activité continue de prospérer. Près de vingt ans plus tard, toujours seul, et l’âge avançant, il décide de recruter deux techniciens pour préparer l’avenir.
"Il recherche alors des profils dans son environnement proche et propose ainsi à son beau-fils, mon oncle, Jean Rambaud, et à son gendre, mon père, Alain Rebelles, de prendre part à l’aventure, poursuit le dirigeant. Tous deux étaient alors âgés d’une trentaine d’années et occupaient chacun un emploi dans un autre domaine. Toutefois, nous sommes à la fin des années 1960, durant la période des Trente Glorieuses et du plein emploi, il n’était donc pas compliqué d’opérer un changement de carrière. Même si la période pouvait être économiquement difficile car ils partaient de zéro, ceux qui souhaitaient travailler n’avaient pas de mal à le faire. Jean et Alain acceptent ainsi de rejoindre Désiré dans l’aventure."
Durant une dizaine d’années, ils œuvreront ensemble à faire évoluer l’entreprise. Puis, au début des années 1970, alors que le parc automobile croît fortement et que les poids lourds sont de plus en plus nombreux sur les routes, il est temps pour Désiré Barneaud de transmettre son affaire.
C’est tout naturellement qu’en 1974, Alain Rebelles et Jean Rambaud prennent la tête de la société. Leur première décision est de créer un nouveau bâtiment, en périphérie de Gap, dans une zone artisanale et commerciale : un garage de 800 m2 où ils peuvent accueillir les voitures et les camions, car ils pressentent que le secteur sera porteur.
"Pour l’époque et la taille de la ville, c’était quelque chose de novateur, salue Pierre Rebelles. Puis mon père prend sans conteste et très naturellement la direction de l’entreprise, ce qui marquera un tournant dans son histoire. Mon oncle a toujours été plus lié à l’exploitation, il appréciait le quotidien du garage, quand mon père avait l’âme d’un entrepreneur."
Un entrepreneur né
Visionnaire et plein d’idées pour l’entreprise, Alain Rebelles anticipe immédiatement les besoins du marché. Conscient de la configuration du département des Hautes-Alpes, il comprend qu’il faut pouvoir apporter de la proximité et une offre globale de services. "Mon père, qui nous a quittés le 13 août 2023 à l’âge de 88 ans, a donné à l’entreprise l’énergie et l’impulsion qui continuent de l’animer aujourd’hui, salue son descendant. Nos territoires sont très vastes avec une très faible démographie, de nombreuses zones de montagne et de grands besoins d’aménagements. Les routes étant abîmées tous les hivers, mon père savait que la mobilité auprès des clients était essentielle."
Dès les années 1970, Barneaud Pneus se dote très rapidement de véhicules d’intervention pour être au plus près des chalands, et parie sur le véhicule industriel en développant de nouveaux services. "Pour les camions, par exemple, de nombreuses obligations naissent, comme l’installation des chronotachygraphes pour mesurer les temps de conduite. Les pouvoirs publics recherchent alors des points de service, pour la maintenance des véhicules roulant avec ces systèmes ou pour le contrôle bisannuel de ces installations. Mon père et mon oncle profitent alors de l’espace du nouveau garage qu’ils ont construit pour mettre en place ces activités annexes au pneumatique, mais qui participent à la mobilité et au service global. Et cela va rester la philosophie de la boutique : la proximité, la mobilité, la globalité de services. Aujourd’hui plus encore qu’hier, nous proposons tous les services autour du poids lourd, excepté la carrosserie", détaille-t-il.
Un portefeuille de services qui permet également de pallier la saisonnalité très forte liée à la région. La fin d’année est souvent une période de rush afin d’équiper les véhicules de pneus hiver ; le début d’année, en revanche, s’avère relativement calme. Avec ces développements autour du poids lourd dans le courant des années 1970 et 1980, l’entreprise embauche une dizaine de personnes pour compléter ses effectifs, toujours sur un seul centre dans la périphérie de Gap. Cette activité auprès des professionnels n’a cessé de se développer au fil des ans et représente désormais 70 % de son chiffre d’affaires.
Un manager bienveillant
Cette rapide croissance de l’entreprise, Pierre Rebelles l’explique à la fois par les idées visionnaires de son père, mais également par sa personnalité attentionnée et bienveillante. "Il avait un management très paternaliste et portait beaucoup d’attention à son personnel, puis il était surtout un homme d’action. On le voyait peu dans son bureau, mais souvent chez ses clients et avec ses techniciens. Sa participation quotidienne à l’action a vraiment été un modèle pour moi, confie son fils. Mon père était un gros travailleur, mais qui a toujours su intelligemment faire la part des choses. Il avait la capacité à sortir de son entreprise et à profiter des bons moments en famille. Il m’a toujours donné une image favorable de l’entreprise et de l’entrepreneur. Je le voyais travailler énormément, mais aussi réaliser ses rêves. Et même en tant que fils unique, je n’ai jamais ressenti aucune contrainte vis-à-vis de la succession : tout s’est fait très naturellement."
C’est ainsi en 1988, à l’âge de 22 ans et diplômé d’un BTS de gestion et comptabilité, que Pierre Rebelles décide de rejoindre son père au sein de l’affaire familiale. Ensemble, ils opèrent un nouveau déménagement, en 1991, dans un local plus grand, afin d’asseoir le développement des nouvelles activités. Puis en 1995, vient l’heure de la retraite pour Alain Rebelles, et là encore, son fils rend hommage à sa personnalité remarquable.
"La transmission d’une entreprise est toujours une période délicate. Bien souvent, la génération en place traîne les pieds pour lâcher des responsabilités aux plus jeunes. Mon père, au contraire, a su m’accompagner. Lorsque je rejoins l’entreprise, je passe par un peu tous les services, comme le commerce, les ateliers, le dépannage et la comptabilité-gestion, jusqu’à ce qu’il me laisse les rênes de l’entreprise, quand il prend sa retraite, à l’âge de 64 ans."
Une nouvelle ère
Barneaud Pneus compte alors une vingtaine de collaborateurs, un seul point de vente, et n’a ni panneau ni enseigne nationale ou locale. À cette époque, c’est pourtant l’avènement des contrats nationaux sur le territoire. Très vite, deux objectifs se dessinent pour le jeune dirigeant : trouver un partenaire pérenne et faire croître l’entreprise en ouvrant plusieurs points de vente. Rapidement, le partenariat est trouvé avec la maison historique Ayme Pneus, véritable pilier du sud de la France.
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"C’est une entreprise familiale comme la mienne, et le courant passe instantanément. En 1998, ils mettent en place l’enseigne Côté Route. Je resterai donc à leurs côtés en tant qu’indépendant, mais avec cette enseigne commune pendant près de vingt ans, jusqu’en 2017, date à laquelle la famille Ayme revend le groupe familial à Bridgestone. Ce partenariat m’aura permis de consolider mes achats, mais aussi de piocher des idées auprès d’un confrère de taille plus importante. J’ai pu observer comment fonctionnait le principe du multipoint de vente, et il y a toujours eu beaucoup d’écoute et d’échanges entre nous. Je me suis trouvé en confiance avec cette famille, ce qui m’a incité à débuter mon propre développement", analyse Pierre Rebelles.
En 1999, il reprend donc son premier point de vente, une succursale Euromaster située à Gap, qui devient ainsi Côté Route. Dans la foulée, d’autres localités du département viennent s’ajouter : Guillestre, Briançon et Laragne-Montéglin (05). Pour autant, l’entrepreneur ne perd pas l’idée de développer d’autres activités, avec l’ambition de limiter au maximum les immobilisations, en particulier celles des camions.
"Pour notre clientèle professionnelle, on sait que le véhicule est l’outil de travail, de production. Il est donc essentiel de l’immobiliser le moins longtemps possible, et c’est pour cela qu’il est nécessaire de bénéficier d’une complémentarité de services au même endroit. Nous avons par exemple très vite proposé le passage aux mines, dès les années 1990", étaye-t-il.
Une diversification maîtrisée
En 2005, l’entrepreneur, qui souhaite aller encore plus loin dans cette notion de service, crée une nouvelle structure, baptisée Barneaud Trucks Maintenance, qui regroupe toutes les activités liées au poids lourd : contrôle et maintenance multimarque, réparateur agréé Iveco, froid routier avec Carrier, etc. "Comme le département des Hautes-Alpes est très touristique, il y a un vrai besoin en ce qui concerne le transport frigorifique. Aujourd’hui, mis à part la carrosserie, nous faisons même du pare-brise. Nous proposons l’intégralité de ce qui touche aux véhicules industriels", résume l’entrepreneur.
Quelques années plus tard, Pierre Rebelles fait naître une autre activité sous le nom de Barneaud Distribution. Jusqu’alors, l’activité de grossiste était intégrée aux agences mais en 2015, l’entrepreneur souhaite professionnaliser l’activité. Il lance un site internet dédié (Barneaud-distribution.com), propose de la vente en ligne et stocke des pneumatiques, à la fois pour les besoins de ses propres agences et pour ceux des garagistes et concessionnaires locaux.
Parmi les manufacturiers partenaires, on retrouve bien évidemment Michelin, le partenaire historique de l’entreprise. Puis d’autres partenariats se mettent en place, avec le grossiste Dipropneu et les marques Toyo Tires, Falken Tyres et Sumitomo : "Nous sommes aujourd’hui spécialisés sur quatre à cinq marques avec lesquelles nous travaillons main dans la main. Elles suffisent pour répondre au potentiel du département. Mon objectif était de posséder une capacité de stockage pour garantir les approvisionnements, et de s’en servir pour assurer la plus haute qualité de service possible aux professionnels de la réparation au niveau local."
Le tournant Euromaster
Ainsi, Barneaud Pneus poursuit son bonhomme de chemin jusqu’en 2017, année où la famille Ayme revend son groupe à Bridgestone. À la suite de cet évènement, Pierre Rebelles décide d’abandonner le panneau Côté Route et de changer de partenaire. Toujours proche de Michelin, c’est sans surprise l’offre Euromaster qui s’impose.
"En 2018, toutes les agences Côté Route prennent le panneau Euromaster, tandis que Barneaud Trucks Maintenance et Barneaud Distribution conservent leur enseigne. Seule spécificité, notre agence de Gap, située en centre-ville, qui prend le panneau Norauto. Et cela pour une raison évidente : Norauto souhaite s’installer à Gap à ce moment-là, et notre point de vente correspond en tous points au schéma d’un centre auto. Cela correspond aussi totalement à ma stratégie : avec ces deux enseignes, nous sommes partenaires des leaders sur les segments des clients professionnels et des particuliers", détaille le dirigeant.
Barneaud Pneus compte désormais six agences Euromaster, un centre Norauto et projette en 2024 de déménager son récent centre de Digne-les-Bains (ouvert en 2022) à Peyruis. Au programme : une structure plus conséquente, où le pneumatique et toutes les activités annexes seront proposés.
Depuis l’arrivée de Pierre Rebelles à la tête du groupe familial en 1995, la PME a largement grandi : elle génère aujourd’hui près de 17 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte une petite centaine de collaborateurs. Un parcours couronné de succès, dont Pierre Rebelles ne s’accorde pas tous les mérites, loin de là. "Jusqu’à la fin, mon père et moi avons échangé sur l’entreprise. C’est lui qui m’a encouragé à me développer. Si une année passait sans que j’aie de projets de reprise ou de création, il me taquinait gentiment ! Ce côté entrepreneurial était ancré en lui", se souvient-il avec émotion.
Une réussite qui n’aurait pas non plus été possible sans ses partenaires, à l’instar de Michelin "qu’on a souvent interrogé, qui nous a toujours fait confiance et épaulés", ni sans ses équipes "remarquables" que Pierre tient à saluer pour leur travail au quotidien, leur efficacité et leur fidélité.
De son papa, le manager garde cette volonté d’être au contact du terrain : "Même si, avec l’essor de l’entreprise, le volume de travail administratif m’enferme un peu plus souvent au bureau, je mets un point d’honneur à rencontrer l’ensemble de mon personnel de manière hebdomadaire. Je fais le tour de chaque point de vente toutes les semaines, afin d’avoir un contact direct avec mes collaborateurs et faire du commerce auprès de nos clients. Avoir cette proximité est essentiel pour sentir les choses, favoriser la stabilité des équipes et mieux comprendre les problématiques du terrain."
Un avenir toujours en famille
Sa passion pour le développement de son entreprise n’empêche pas Pierre Rebelles (comme son papa) de sortir du cadre professionnel. Bien "ancré dans son territoire", il vit "en harmonie avec les montagnes". Un univers qu’il défend et promeut, notamment à travers l’association Cinémathèque d’images de montagne (CIM), dont il est un membre actif. Cette structure unique au monde collecte, sauvegarde et diffuse tous les films tournés dans ces paysages depuis l’invention du cinéma, et organise chaque année un festival avec de grands noms de la montagne.
Marcheur, skieur et montagnard, c’est bien évidemment en famille, avec son épouse et ses trois filles, qu’il aime passer son temps libre. Et l’avenir dans tout ça ? Pour Barneaud Pneus, il n’y a plus, dans l’immédiat, de projet concret de rachat ou de création.
"Nous allons évidemment nous atteler au maintien de notre cœur de métier, le pneumatique, tout en continuant à développer les activités satellites. Il nous reste du potentiel : nous avons noué des partenariats qui se renforcent. Par exemple, la marque Iveco sera bientôt présente dans trois de nos points de vente. Un autre partenariat avec Toyota à Guillestre a aussi vu le jour récemment. Pour le moment, nous sommes « point réparation Toyota » et nous comptons gravir les échelons pour devenir agent de marque. Il y a aujourd’hui une incertitude sur l’avenir et l’évolution de nos professions : l’avènement du véhicule électrique va forcément avoir une incidence sur nos activités, sur nos capacités techniques et sur nos volumes d’affaires. Il est donc essentiel de se diversifier pour perdurer", analyse-t-il.
Côté famille, une autre nouvelle d’importance est à souligner : sa fille cadette, Elora, vient de rejoindre l’aventure après un master de commerce et gestion, suivi de trois ans d’expérience chez le concessionnaire Renault local.
"Elle va prendre la direction du centre Norauto de Gap. Elle va ainsi avoir un aperçu de la globalité des activités et être confrontée de manière condensée aux problématiques, toutes celles que peut rencontrer un futur chef d’entreprise. Elle est ravie et l’annonce de son arrivée a été perçue très positivement, à la fois par les partenaires, les collaborateurs et l’environnement direct. Même si rien n’est décidé sur ses éventuelles volontés et sa capacité à reprendre l’entreprise à terme, c’est un joli point de départ. Pour moi, c’est la configuration idéale, même si j’ai la volonté de continuer à travailler dans mon entreprise. Cela pérennise le groupe familial et rassure tout notre écosystème", conclut-il.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°183 de janvier-février 2024.