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Distribution

Ayme, une soif d’indépendance

Publié le 17 novembre 2023

Par Romain Baly
11 min de lecture
De la création d’une usine de chapellerie, en 1882, le groupe Ayme est devenu, en 135 ans, une figure nationale majeure de la distribution de pneumatiques, en particulier industriels, avant sa revente à Bridgestone en 2017. Retour sur une ascension familiale remarquable, portée par quatre générations à la vision commune : partage des pouvoirs et autonomie.
Comme le montre cette camionnette, le nom Ayme est indissociable de la ville de Carpentras, véritable fief familial où l’aventure a débuté. ©Ayme

Du feutre au caoutchouc, il n’y a qu’un pas, ou presque ! C’est en effet par la chapellerie que l’histoire entrepreneuriale de la famille Ayme débute. En 1882 à Carpentras (84), Jules Ayme fait construire une usine avec chaudière et machinerie à vapeur pour la fabrication des matières premières. Cette usine, d’ailleurs, deviendra des années plus tard le siège social d’Ayme Pneus. Paul, le fils de Jules Ayme, s’intéresse très tôt aux pneumatiques, ceux de ses vélos pour commencer.

Lui et ses amis se retrouvent régulièrement pour en réparer et, au fil des ans, il se fait un nom localement. En 1891, Michelin crée le premier pneu de vélo démontable. En 1892, Paul, qui a 20 ans et aide son père à la chapellerie, décide de commander du matériel pour la fabrication de ces pneus de vélo démontables et d’installer un autoclave à vapeur pour vulcaniser. C’est ainsi que l’activité pneumatique démarre.

En 1895, Jules Ayme décède et Paul reprend l’affaire avec son épouse, Félicie. "Mes arrière-grands-parents géraient l’entreprise à deux, et c’est une constante familiale : le pouvoir a toujours été partagé. Au fil des ans, l’entreprise a toujours été dirigée par deux personnes au moins, à la même position et au même salaire", souligne Mathieu Ayme, un des représentants de la quatrième génération, à la tête de l’entreprise dès 2003.

Les prémices du pneu

Après l’investissement dans l’autoclave, Paul et Félicie conservent l’activité feutre durant une dizaine d’années, mais c’est principalement l’axe du pneumatique qui sera développé. Ce choix stratégique accompagne les progrès techniques de l’époque. En 1898 apparaissent les premiers pneumatiques de voiture. En 1902, Paul Ayme commande un vulcanisateur Harvey Frost grand modèle pour garage avec brûleur à pétrole sous pression. Cet événement marque le début de l’activité pneumatique tourisme.

Paul et Félicie Ayme, avec leurs deux fils Félix et Auguste.

 

Passionné d’automobile, le chef d’entreprise sera l’un des premiers à posséder une voiturette avec moteur à pétrole. Par la suite, il achètera de nombreuses voitures d’occasion pour les réparer et s’en servir un temps avant de les revendre. Le sujet du rechapage des pneumatiques mobilise donc Paul et Félicie Ayme dès les premières années, même si le couple poursuit la vente de pneumatiques neufs de toutes marques.

Quand la Première Guerre mondiale éclate, Paul invente un petit appareil à vulcaniser portatif, pour réparer les crevaisons des chambres à air. D’autres appareils de ce type, pour les automobilistes, garages ou réparateurs de pneumatiques verront le jour après-guerre et seront notamment présentés en 1922 à l’Exposition nationale coloniale de Marseille (13), où Paul Ayme obtient une médaille d’argent. C’est l’année où Félix, le fils aîné, rejoint ses parents dans l’entreprise, suivi en 1927 par son frère Auguste.

L’ADN de l’innovation

En 1932, l’entreprise connaît son premier gros succès : le fer à cheval caoutchouté. "C’est un symbole qui a accompagné la vie de l’entreprise. À l’époque, les chevaux restaient le moyen de transport le plus courant. Toutefois, les routes commençaient à être goudronnées et les sabots des chevaux glissaient dessus. Alors Paul, Félicie et leurs fils ont mis au point un fer à cheval caoutchouté, une invention dont ils ont déposé le brevet. Il a été commercialisé durant une dizaine d’années, et nous nous en sommes servi comme moyen de communication jusque dans les années 1960-70, où le fer à cheval était notre emblème lors des foires", relate Mathieu Ayme.

Dans le même temps, la famille Ayme poursuit son travail d’achat et de distribution de pneumatiques. En 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, Paul Ayme disparaît. Ses fils, Félix et Auguste, reprennent la gérance de l’entreprise, qui est réquisitionnée. Au sortir de la guerre, les deux frères achètent un autoclave de grand diamètre pour les pneus de tracteur et de génie civil. "L’activité liée aux pneus industriels, PL-agro-GC, est depuis les débuts le cœur de métier de l’entreprise, avec un poids qui a représenté jusqu’à deux-tiers du chiffre d’affaires. C’est autour de la croissance de cette activité que la partie VL s’est développée", souligne l’arrière-petit-fils de Paul et Félicie.

La fratrie développe aussi l’entreprise. Dans les années 1960, les premières agences hors de Carpentras ouvrent, à Avignon, Orange, puis Marseille. L’entreprise compte alors six points de vente.

Repousser les frontières

Dans les années 1970, place à la troisième génération. Jean-Marcel, Paul (le père de Mathieu) et Claude Ayme reprennent l’affaire. C’est là que démarre le métier tel qu’il existe aujourd’hui. Ayme fait partie des premiers à mettre en place des camions-ateliers pour intervenir chez les clients.

L’emblème de l’entreprise Ayme a longtemps été le fer à cheval caoutchouté, invention brevetée par Paul, Félicie et leurs enfants.

 

"De plus, le groupe commence à ouvrir des points de vente, porté par l’activité industrielle, en suivant les axes autoroutiers (axe rhodanien d’un côté et la descente vers l’Espagne de l’autre) et en accompagnant la croissance de nos clients. Nous avons eu la chance d’opérer sur une zone géographique où de belles entreprises de transport ont vu le jour. Naturellement, ayant dans notre ADN la qualité de service et l’adaptation aux besoins des clients, à chaque expansion, ces derniers nous proposaient de les accompagner dans leur croissance. C’est également à la suite d’une demande d’un client, Norbert Dentressangle, que nous avons, dès les années 80, pratiqué la location de pneus PL avec la mise en place de notre premier contrat kilométrique", explique Mathieu Ayme.

Les trois cousins décident également d’installer les premières presses automatiques pour le rechapage de pneumatiques radial et continuent d’étendre le groupe au-delà de la région Sud. Dans les années 1980- 90, les dirigeants d’Ayme développent aussi la diversification pour la partie VL de l’activité et à la fin de la décennie, le groupe compte une vingtaine d’agences.

La naissance d’une enseigne

Les années 1990 marquent aussi les premières tentatives de création d’un réseau national. C’est notamment le cas pour Briday et Marsat, avec qui le groupe Ayme souhaite créer Trans Euro Pneus. Un projet qui ne verra jamais le jour, car les deux confrères se font racheter. Finalement, à la fin des années 1990 est créé le G6, qui rassemble six acteurs importants du marché français, donnant à ce groupement une couverture nationale complète.

"On y retrouve les familles Vaysse, Simon, Siney, Chouteau, Jaeger et nous. Le G6 a été une très belle histoire, mais nous n’avons pas souhaité abandonner la maîtrise de notre enseigne, Côté Route. L’aventure a donc pris fin au milieu des années 2000 avec la création par nos confrères de G6 d’une enseigne commune, Profil Plus", raconte l’ancien dirigeant. Le projet Côté Route était effectivement dans les cartons avant la création du G6.

C’est d’ailleurs à cette époque, en 1996, alors qu’il poursuit ses études, que Mathieu Ayme intègre le projet de réflexion concernant la création d’un concept propre à Ayme : "Depuis quelques années, nous observions la croissance d’une approche nouvelle de la distribution sur la partie tourisme, avec des acteurs comme Norauto ou Feu Vert. Notre profession de NS (négociant spécialiste) commençait à perdre des parts de marché face à ces nouveaux acteurs et, même si nous avions mis en marche la diversification, notre profession avait une image de spécialiste du pneu et perdait de l’attractivité par rapport aux nouveaux concepts, se souvient-il. Nous avons alors cherché comment contrecarrer l’émergence de cette nouvelle distribution, en nous focalisant sur les attentes des clients. Nous en sommes vite arrivés à une conclusion simple : il faut mixer le meilleur des deux mondes, c’est-à-dire conserver l’âme d’un garage avec l’image rassurante d’un centre auto."

L’idée d’accoler un nom au côté de celui de l’enseigne visait ainsi à renforcer l’image de proximité, tout en apportant des process rodés et une approche structurée. Le premier Côté Route Ayme voit le jour en 1998 à Cavaillon, porté par Laurent Fourniller. Il contenait notamment un showroom et une boutique, où des autoradios étaient vendus, par exemple. D’autres acteurs vont apprécier le concept et Ayme se développe en franchise (jusqu’à une soixantaine de points de vente), mais "cela n’a jamais été plus loin, car nous n’avons pas cette culture. Nous avons toujours voulu décider et être maîtres de notre destin, mais aussi porter la responsabilité de nos choix."

La quatrième génération aux commandes

En 2000, le groupe Ayme rachète Gaudry Pneus (à Mâcon), dont la taille est à peu près similaire. Les effectifs doublent, et se pose alors la question de l’adaptation de la structure de l’entreprise à sa nouvelle dimension. Mathieu Ayme n’a pas encore rejoint l’affaire familiale et travaille à Paris, aux affaires publiques et gouvernementales pour le groupe Ford. "Je n’ai jamais été élevé dans l’idée qu’il faudrait que je reprenne l’entreprise, même si elle faisait partie de mon quotidien puisque le siège social était aussi la maison de mes grands-parents, dans laquelle mon père a grandi. Et depuis mes 16 ans, j’y travaillais l’été pour gagner un peu d’argent… Après le rachat de Gaudry Pneus, il y avait deux possibilités : soit nous repartions sur un cycle de développement, soit nous vendions."

Après quelques discussions, Mathieu et son cousin Jean-Luc décident de poursuivre l’histoire familiale (50 millions d’euros de CA environ) et se retrouvent face à un défi de taille : restructurer l’entreprise et développer sa croissance. Première lourde décision : l’arrêt de l’activité rechapage, "métier historique de l’entreprise, auquel les générations précédentes étaient extrêmement attachées". Le rechapage comportait une activité à froid, sous licence Bandag, et une activité à chaud propre à Ayme  : au total, environ 20 000  poids lourds à l’année.

Le premier centre Côté Route, ouvert en 1998 à Cavaillon.

 

"Nous étions face à un dilemme. Comme nous avions beaucoup grossi, de lourds investissements étaient à prévoir pour maintenir cette activité rechapage : expansion d’usine, création d’un entrepôt logistique, achat de camions pour la distribution, etc. Or, nous n’avions pas réellement un avantage concurrentiel puisque la qualité produit n’est pas liée au process de rechapage en lui-même, mais aux types de bandes. Nous avons décidé que l’activité avait plus vocation à être entre les mains des manufacturiers et industriels, que des distributeurs. Bien évidemment, toutes les personnes ont été reclassées dans le réseau, il n’y a eu aucun impact social."

En outre, Mathieu, qui consacrait 20 % de son temps à cette activité rechapage, souhaitait se libérer du temps pour structurer et développer une approche formation totalement intégrée à l’entreprise. "Quand j’ai intégré la société, les équipes étaient formées par les structures de formation des fournisseurs. De mon côté, même si j’avais déjà une certaine maîtrise pour avoir pratiqué, j’ai effectué également à mon arrivée un cycle de formation sur les métiers de l’entreprise. À la suite de cette période, j’ai pensé que l’on pouvait y ajouter encore plus de pratique, pour être encore plus proche de la réalité du quotidien. Je trouvais également dommage de ne pas former nos équipes aux pratiques propres à l’entreprise liées à des outils internes spécifiques."

2000-2017, une croissance fulgurante

Le dirigeant crée alors un centre de formation totalement intégré (dans les locaux libérés de l’usine de rechapage) avec l’objectif de renforcer l’attachement à l’entreprise et l’amélioration du service aux clients. Dès lors, le processus d’intégration évolue et les nouveaux collaborateurs démarrent leur premier jour au sein du centre de formation. Parallèlement, chez Ayme, le duo s’attache au développement et connaît une ascension fulgurante en misant sur la qualité de service : entre 2000 et 2017, le chiffre d’affaires triple et atteint 160 millions d’euros.

Le nombre de points de vente intégrés franchit le cap des 100. L’entreprise compte alors un millier de collaborateurs. Ils développent aussi une activité de grossiste, sous l’enseigne Culture Pneus, qui vend aux professionnels et MRA, avec deux livraisons par jour depuis ses sept plateformes. Cette réussite, Mathieu Ayme l’analyse avec humilité.

Mathieu Ayme entouré d’une partie des équipes lors de la première convention après le rachat par Bridgestone.

 

"Quand nous sommes arrivés à la tête de l’entreprise, le niveau d’endettement était négatif, ce qui facilite le travail ! Mais il y avait surtout des équipes soudées, avec la culture du changement. Nous savions que nous dépendions de l’implication forte et de la qualité de chacun des collaborateurs. Ainsi, même si nous avons toujours aimé les modèles de fonctionnement structurés, nous pouvions remodeler certains postes pour les adapter aux salariés et continuer à bénéficier au maximum des compétences de chacun. C’est une de nos forces, qui explique notamment la fidélité forte des salariés pendant ces périodes de croissance. Ce sont des personnes qui ont grandi avec l’entreprise et qui se la sont appropriée, autant que nous."

La vente à Bridgestone

Après une progression réussie et très rapide vient, en 2017, le temps d’envisager l’avenir. L’univers de la distribution a évolué et depuis plusieurs années déjà, les rachats de confrères par des manufacturiers comme Michelin et Continental se multiplient. "Nous nous retrouvions dans une situation un peu complexe, nous n’étions pas tout à fait d’envergure nationale : très fortement présents sur la façade est de la France, mais un peu “légers” à l’ouest. Et nous souhaitions coûte que coûte rester indépendants de toute enseigne et de tout manufacturier."

Pour résister dans ce contexte, le groupe Ayme considère qu’il faut multiplier la taille de l’entreprise par deux ou trois (atteindre 200 à 300 points de vente intégrés) dans un délai de cinq ans. Deux problèmes se posent alors : la difficulté à identifier les cibles à racheter (principalement dans l’industriel) pour croître rapidement, et la volonté de conserver la maîtrise capitalistique et opérationnelle de l’entreprise. "Convaincus par ce constat, nous sommes persuadés que nous ne pouvons pas nous développer aussi vite sans faire prendre des risques forts à l’entreprise. La décision de vendre est donc actée, en consensus total avec la génération précédente", indique Mathieu Ayme.

Après des échanges avec Eduardo Minardi, patron de Bridgestone EMEA, avec qui ils partagent une vision similaire du futur de l’entreprise, la vente est scellée. Bridgestone reprend la totalité des activités du groupe Ayme (Côté Route, Culture Pneus et Eurogom, en lien avec les loueurs, rebaptisée Eurofleet). Mathieu Ayme va poursuivre l’aventure au sein de Bridgestone pendant plus de quatre ans, et aura le plaisir de voir aboutir le projet de fusion entre First Stop et Côté Route, avant de partir vers de nouveaux horizons.

"Je suis heureux pendant ces quatre ans d’avoir pu porter mes convictions et les défendre en ayant rencontré des personnes qui ont accepté ce trait de ma personnalité, où j’exprime parfois avec une forme de rigidité ce à quoi je crois ! J’ai continué à me nourrir des rencontres que j’ai pu faire, et appris en faisant partie de cette organisation. Ce fut là aussi une belle aventure."

Pour Mathieu Ayme, l’avenir rime aujourd’hui avec Foxalys (lire encadré ci-dessous), où il s’est associé à Laurent Fourniller, collaborateur et ami de longue date. Avec cet organisme de formation, le père de trois enfants poursuit l’une de ses ambitions premières, la transmission, et s’attache à mettre en lumière la valeur humaine, essentielle à toute entreprise.

 

ENCADRE

Foxalys : un organisme de formation dédié aux métiers du pneumatique

Après être resté pendant quatre ans dans l’entreprise suite au rachat par Bridgestone, Mathieu Ayme a choisi de quitter la société familiale pour fonder Foxalys.

 

Quelques mois après avoir quitté Bridgestone, Mathieu Ayme et Laurent Fourniller s’associent dans le domaine de la formation et du recrutement autour du pneumatique. "Il y a un vrai manque de main-d’œuvre dans la profession : 2 000 postes sont à pourvoir. Nous créons notre société, Foxalys, à 50/50 avec Laurent et nous nous rapprochons de l’Ecir (centre de formation des Travaux Publics), un organisme avec lequel Laurent et moi avons des relations depuis de nombreuses années", détaille-t-il.

Ce partenariat permet à Foxalys de jouir d’un espace de travail et de moyens considérables. L’Ecir, situé à Mallemort de Provence, entre Avignon et Aix-en-Provence, s’étend sur 120 hectares, avec 150 véhicules de tous types à disposition, répartis sur trois sites d’exploitation, ainsi que des technologies de réalité augmentée. Le centre de formation comprend également un hébergement hôtelier, un espace de restauration, des infrastructures sportives, etc.

Foxalys passe la certification Qualiopi, obtenue tout de suite, avec zéro non-conformité, et s’associe avec DAF Conseil pour certains programmes. L’objectif ? Accompagner les candidats sur des formations techniques et commerciales. Mais Mathieu et Laurent voient déjà plus loin et se sont rapprochés de Pôle Emploi et des missions locales pour former des profils et accompagner leur retour à l’emploi. Enfin, avec un partenaire ancien collaborateur d’Ayme, Foxalys va créer sa propre structure d’intérim. Les premières formations au sein des locaux de l’Ecir débutent en ce mois d’avril.

 

Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°179 de mars-avril 2023.

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