Groupe Agri Center : l’art de la diversification
Avec presque un demi-siècle d’existence, Agri Center est l’illustration qu’il est possible, voire vital, de se réinventer. Pour preuve, le groupe familial a connu au fil des ans plusieurs révolutions. Au commencement, Agri Center, c’est avant tout l’histoire de Jean-Paul et Madeleine Rosenblatt, un couple qui travaille au sein d’une concession agricole du département du Haut-Rhin. Se sentant l’âme d’entrepreneurs, ils décident de lancer leur propre activité et créent leur structure, en 1976, à Munchhouse.
C’est ainsi que démarre l’aventure entrepreneuriale et familiale du groupe, spécialisé dans la revente et l’entretien de matériel agricole. "Dès le début de l’histoire de l’entreprise, mes parents ont toujours eu un ADN d’innovation. Preuve en est, ils ont tout de suite mis en place une camionnette mobile pour se déplacer chez les clients et réaliser des interventions. À l’époque, cela ne se faisait pas du tout ! Aujourd’hui, c’est un beau clin d’œil, nous en possédons près d’une douzaine pour les activités automobile et agricole", se remémore leur fils, Fabien Rosenblatt, actuel dirigeant de l’affaire familiale.
Quatre ans plus tard, en 1980, la machine est lancée et la décision est prise de déménager l’entreprise pour s’installer à Jettingen. Les nouveaux locaux sont ouverts le long de la route départementale 419. Un emplacement plus propice aux futurs développements. Puis, le début des années 1980 se trouve marqué par des crises agricoles et le couple comprend très vite qu’il faudra se diversifier pour prospérer. De plus, au niveau agricole et motoculture, les activités se révèlent très calmes, particulièrement dans cette région, durant les mois les plus froids.
Ils jettent alors leur dévolu sur le pneumatique, qui apparaît comme l’activité complémentaire par excellence puisqu’il connaît de son côté une très forte demande en période hivernale. Le centre de Jettingen commence à vendre et proposer du montage de pneumatiques dès 1984, puis très vite arrive l’adhésion à Point S, en 1987.
"Ce premier magasin Point S est avant tout le résultat d’une opportunité. Mes parents souhaitaient développer le pneumatique et, à Mulhouse, un adhérent Point S prenait sa retraite. Ils ont donc repris le flambeau et ont dans le même temps embrassé l’enseigne, raconte Fabien Rosenblatt. L’objectif était aussi d’adhérer à un réseau pour consolider les achats et pour avoir une notoriété qui permette de développer les ventes auprès des particuliers, sans pour autant compromettre leur volonté d’indépendance. En cela, Point S correspondait tout à fait à leurs attentes".
Une première phase de diversification
À ce moment-là, dans les années 1990, Agri Center n’est constitué que d’une seule entité, avec une boutique Point S, mais emploie déjà 30 personnes et dégage 30 millions de francs de chiffre d’affaires. En 1992, Fabien intègre la structure qu’il a toujours connue ou presque, puisque ce dernier avait quatre ans quand ses parents ont créé l’entreprise. "Après un BTS commerce-gestion et un stage de six mois au sein des établissements Legros, le plus gros Point S de France à l’époque, je rejoins l’aventure. Mon père et l’un de mes beaux-frères s’occupent alors de la partie agricole quand je prends en charge la partie automobile".
L’année 1997 marque un premier tournant pour le groupe puisque l’activité agricole est scindée en deux parties. D’une part la revente de matériel agricole, qui constitue la spécificité historique du groupe, et d’autre part, l’adhésion à l’enseigne de jardinage et maison Espace Émeraude.
Le premier centre sous ces couleurs voit le jour, toujours sur le site de Jettingen, qui se retrouve par la même occasion agrandi, avec une surface de vente libre-service de 1 200 m2 consacrée à l’agriculture, au jardinage et au bricolage. On y trouve à la fois de l’outillage de jardin, des produits pour l’aménagement extérieur, des matériaux, du matériel agricole, de l’électroportatif ou encore des vêtements de travail.
Une transition simple
Au début des années 2000, Fabien reprend naturellement les rênes de la structure familiale. "Avant même de rejoindre l’entreprise, j’y passais déjà beaucoup de temps, j’y travaillais l’été et pendant les vacances scolaires. Mes sœurs et moi avons toujours grandi dans cet univers. Enfants, les discussions autour de la table tournaient souvent autour du travail de mes parents et, même s’il n’était pas écrit tout de suite que je reprendrais l’entreprise, j’ai toujours su que je m’y investirais, tout comme mes deux grandes sœurs. Lorsque mon papa a pris du recul, à partir des années 2000, c’est là que j’ai pris le relais, après avoir suivi, pendant deux ans, une formation de dirigeant de PME auprès de la chambre de commerce. Comme nous en avions discuté suffisamment tôt, avec Astrid et Cathy (ses sœurs, ndlr), il n’y a jamais eu aucun problème vis-à-vis du partage des fonctions. De manière générale, avec mes parents et mes sœurs, nous avons développé de façon collective l’entreprise", partage le dirigeant.
Parallèlement, Agri Center développe fortement son réseau de magasins Point S, avec une ouverture tous les deux ou trois ans, jusqu’à atteindre huit points de vente en 2017. "Nous sommes toujours restés fidèles à Point S, au fil des ans. Nous avons évolué avec l’enseigne, née en 1971, et qui est aujourd’hui mondiale, tout en restant indépendants. Je me suis personnellement beaucoup investi en tant qu’administrateur pendant près de 15 ans. À mes débuts, je participais aux commissions marketing pour animer le réseau et faire vivre commercialement les adhérents. Puis, j’ai été président durant un an de Point S Développement, la structure que le réseau a créée pour asseoir son évolution à l’international", poursuit le dirigeant.
La société AC Négoce voit le jour en 2004 sous l’impulsion de Fabien. Spécialisée dans l’import-export et la distribution de pneumatiques, elle dispose d’un site à Wittenheim (68) qui s’étend sur 5 000 m2 et d’un autre de 2 000 m² à Ludres, à côté de Nancy. Ces deux centres permettent de livrer la région Grand Est deux fois par jour et desservent toute la France en J+1. Toujours dans une volonté de diversification, le dirigeant priorise les projets porteurs et ouvre en 2008 le premier centre auto du groupe sous l’enseigne Maxauto (qui deviendra en 2012 Norauto, dont le groupe compte quatre centres actuellement, ndlr) à Sierentz (68).
"Sur notre secteur, nous étions déjà présents avec des centres Point S et le concept du centre auto au sein du réseau n’était, à l’époque, pas encore abouti ; nous avons donc préféré nous orienter vers une autre enseigne qui était complémentaire à nos activités existantes", précise Fabien Rosenblatt.
Vient alors le moment pour le groupe de restructurer ses activités, et en particulier l’agricole. Agri Center devient une holding avec plusieurs structures d’exploitation. En 2010, deux sociétés sont créées pour la revente et la distribution des machines agricoles : Agricom, qui distribue les tracteurs de la marque Fendt, et AC Équipements, pour les tracteurs de la marque Massey Fergusson. La société AC Émeraude gère, quant à elle, les magasins Espace Émeraude qui sont aujourd’hui au nombre de trois.
Restructuration stratégique
En 2014, le groupe se partage donc entre des magasins Point S, Norauto, et Espace Émeraude, une activité de grossiste et deux sociétés de revente de machines agricoles. Elle emploie 145 personnes pour un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros. Toutefois, il est temps pour le dirigeant de prendre des décisions stratégiques : la première sera la revente de l’activité de grossiste pour se concentrer sur l’activité de revente de produits associés à de la prestation de services.
"Dans les années 2010, la montée en puissance dans le canal BtoB de la vente de pneumatiques sur internet a complètement changé le modèle économique de notre structure grossiste. Les frais de fonctionnement ne nous permettaient plus d’envisager l’avenir sereinement. À l’époque, nous étions un petit grossiste parmi les très gros. J’ai donc fait le choix de vendre à Distri Cash, plutôt que de continuer une activité qu’on ne jugeait plus viable", explique-t-il.
Puis, en 2015, vient la décision de se séparer de la partie distribution agricole, qui représentait le cœur de métier historique de l’entreprise. "Nous avons eu des choix importants à faire. Se séparer de l’activité initiale n’a pas été facile, mais c’est une décision collégiale et prise à l’unanimité. Je suis fier de ce qui a été fait car, même si on a eu des moments difficiles, nous sommes toujours restés unis, entre frères et sœurs, bien sûr, et aussi bien évidemment avec nos parents. C’est une force et une chance. Nos parents ont toujours été fiers. Papa est décédé il y a quatre ans maintenant, mais cela a toujours été une satisfaction d’avoir pu transmettre leur entreprise, même si aujourd’hui, elle n’a plus grand-chose à voir avec le métier initial".
À la suite de ces décisions, le groupe Agri Center a continué de se développer dans ces différentes activités de prestations de services. Il compte désormais trois centres Espace Émeraude (qui sont concessionnaires de Kubota, Iseki, Honda, Agria, Amazone motoculture, Eolia-Tec, Husqvarna, Stihl, Honda et Ferrari), neuf Point S et quatre Norauto. Mais ce n’est pas tout.
"Nous avons également ouvert, il y a trois ans, une station de lavage Norauto Wash à Hirsingue. Nous sommes les premiers franchisés du réseau à l’avoir fait. Et dans le même temps, nous avons créé une structure baptisée Tyres Pricing, de veille de prix sur les pneumatiques à la fois chez les négociants, les centres autos, ou les pure player, afin de déterminer le juste prix que nous devons appliquer localement, en fonction du marché. Enfin, depuis le début d’année, dans le cadre de l’aménagement du nouveau pôle que nous avons construit à Wittenheim, nous avons remis en place un stock central pour la partie pneumatiques tourisme du groupe. Il concentre environ 10 000 références, ce qui permet de répondre à la majorité des demandes de manière immédiate", indique-t-il.
Au total, Agri Center, aujourd’hui, c’est 19 centres d’activités dans le département du Haut-Rhin, 33 millions d’euros de chiffre d’affaires (1/3 Espace Emeraude, 1/3 Point S, 1/3 Norauto) et 140 collaborateurs.
Une stratégie claire
Pour demain, le groupe souhaite conserver son positionnement géographique. "Notre volonté est de rester sur un seul département avec des enseignes différentes, quitte à être considérés dans certains secteurs comme nos propres concurrents. Économiquement, le fait d’être dans un secteur relativement restreint géographiquement nous permet de faire des économies d’échelles et des optimisations d’achats", détaille Fabien Rosenblatt.
En revanche, l’objectif est de regrouper les activités : trois millions d’euros viennent d’être investis dans la création d’un site principal à Mulhouse. Sur 5 000 m2, quatre métiers du groupe ont été rassemblés avec un Espace Émeraude doté d’un libre-service de 1 000 m2, une cellule Point S tourisme, une cellule Point S industriel et le stock central du groupe.
"L’idée est de créer une synergie entre nos différentes activités pour créer une dynamique commerciale sur certaines zones. Aujourd’hui, nous sommes plutôt clairs au niveau de la stratégie du groupe, c’est la même depuis une dizaine d’années quand nous avons restructuré autant la partie grossiste que la partie agricole avec la volonté de nous concentrer sur la vente de produits associés à du service. C’est la philosophie du groupe sur la partie auto et sur la partie agricole, puisque tout ce que nous vendons en magasin, nous le réparons en atelier. Sur notre secteur, nous nous différencions à la fois sur le service, la proximité, le stock et l’indépendance". Un premier site pilote, qui pourrait être dupliqué à l’avenir.
Quant au développement futur ? L’entrepreneur se veut opportuniste, tout en tentant au maximum d’investir dans l’immobilier afin de pouvoir maîtriser cette composante. "Aujourd’hui, la structure est organisée de manière à pouvoir ajouter des points de vente sans déstabiliser le groupe. Il y a notamment de la place pour se développer avec l’enseigne Espace Émeraude car nous ne couvrons pas encore le nord du département", précise-t-il.
Entre-temps, Fabien Rosenblatt cherche également à optimiser les sites en place, en installant par exemple des bornes électriques, ou pourquoi pas, en ajoutant d’autres activités complémentaires comme le lavage. Autre gros projet en cours, la refonte du site Internet des centres Point S, pour qu’il devienne une véritable vitrine et que les clients du département puissent se renseigner et prendre rendez-vous en ligne pour le montage des pneumatiques.
Un manager de terrain
Côté management, le dirigeant de 52 ans se décrit plutôt comme un homme de terrain. "J’ai un contact très régulier avec l’ensemble de nos chefs de centres, des échanges clairs et francs. Nous avons un turnover relativement faible au niveau de nos équipes, surtout de nos chefs de centre. Ils sont tous impliqués dans le résultat de leur centre d’activité. Nous sommes transparents dans ce qu’on leur demande et ils savent où ils en sont économiquement. Nous essayons de faire en sorte que les gens soient motivés et sachent pourquoi ils viennent travailler tous les jours. Nous avons une stratégie d’entreprise qui fait que l’on s’occupe de la partie gestion, du social, de tout l’administratif, des achats et du pricing, pour que nos responsables se consacrent à faire tourner leur point de vente au quotidien : c’est-à-dire à s’occuper de leurs clients et de leurs équipes", analyse Fabien Rosenblatt.
Pour ce qui est des formations en vente, de nombreuses sont organisées en interne, à l’instar de mini-salons de fournisseurs (Michelin, Bridgestone, Goodyear, Dipropneu et la MDD Point S), qui viennent présenter leurs nouveautés et leurs argumentaires de vente aux équipes. Sur la partie technique, des formations sont proposées en partenariat à la fois avec Point S et le GNFA local. "Une personne par centre fait l’objet de cette formation d’un an et demi, qui se déroule sur un ou deux jours par mois, afin de connaître toutes les nouvelles technologies : véhicules électriques et hybrides, boîtes de vitesses, etc. Jusqu’à maintenant, on ne trouvait ce genre de formations qu’en concessions tourisme. Ce n’était pas le cas dans les réseaux négociants ou de centres autos", confie-t-il.
Des projets et un emploi du temps bien rempli, qui ne laissent pas beaucoup de temps au mari et père de deux enfants (Guillaume et Pauline) de s’adonner aux loisirs qu’il affectionne, comme le ski et la natation. Il préserve néanmoins deux heures de promenade en forêt avec son chien tous les dimanches matin pour se vider la tête et se ressourcer.
Bientôt une troisième génération ?
Bien que l’heure de la retraite n’ait pas encore sonné pour Fabien et ses sœurs, la fratrie prépare tout de même l’avenir. "Cathy et Astrid ont respectivement neuf et sept ans de plus que moi et nous avons tous des enfants dont certains souhaitent intégrer la structure. Élodie, la fille de Cathy, est entrée chez Espace Émeraude il y a maintenant deux ans ; un fils d’Astrid souhaite aussi faire partie de l’aventure, tout comme le mien, Guillaume, qui fait des études de commerce et devrait nous rejoindre d’ici cinq ans. Tous les choix de restructuration que nous avons réalisés, c’est aussi pour rendre le groupe intéressant et viable, afin de faire en sorte que nos enfants aient envie de prendre la relève".
Les sœurs et frère sont même allés encore plus loin, avec la rédaction d’une charte familiale, qui a été présentée à la nouvelle génération en fin d'année. "L’idée est de borner les règles de fonctionnement de l’entreprise et des personnes qui l’intégreront", conclut-il. La troisième génération a donc toutes les cartes en main pour reprendre le flambeau.