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Manufacturiers

Compiègne, Amiens, Béthune, Cholet… L'industrie pneumatique française en déliquescence

Publié le 2 décembre 2024

Par Romain Baly
4 min de lecture
La fermeture annoncée début novembre 2024 des usines Michelin de Cholet (49) et de Vannes (56) rappelle à quel point l'industrie du pneumatique tricolore s'est fragilisée depuis vingt ans. Tous les principaux manufacturiers ont clos la production de plusieurs sites historiques, réduisant de fait le rayonnement du secteur dans l'Hexagone.
Depuis près de vingt ans, de nombreuses usines de pneumatiques ont mis la clé sous la porte en France. La preuve d'un secteur fragilisé qui n'arrive pas à inverser la tendance. ©Michelin

C'est malheureusement devenu une rengaine bien connue. Chaque nouvelle annonce de fermeture de site enclenche le même cérémonial. Critiques acerbes, reprises politiques et piquets de grève s'enchaînent dans un premier mouvement qui en devance un autre. Les flashs et les caméras s'écartent, les représentants nationaux oublient et les salariés, toujours mobilisés, se retrouvent alors dans le creux de la vague. Oubliés du grand public et laissés à leur désespoir, tandis que les tractations sur leur devenir se poursuivent âprement pendant des mois.

Le 5 novembre 2024, Michelin a officialisé ce qui était dans l'air du temps. Le géant clermontois a annoncé la fermeture, avant 2026, de ses usines de Cholet (49) et Vannes (56). Deux implantations historiques, opérationnelles depuis respectivement 1970 et 1963. La première emploie 955 salariés et la seconde 299 personnes. En quelques heures, la machine médiatico-politique s'est mise en branle. La nouvelle a fait les gros titres de la presse et suscité un vif émoi dans l'Hexagone.

La liste est longue

Sans doute parce que ce choix de Michelin en rappelle d'autres opérés par Bibendum himself ou par ses principaux confrères. Car Cholet et Vannes ne sont finalement que des noms de plus sur la désormais longue liste des usines de pneus ayant fermé leurs portes en France, et des noms en moins sur celle de l'industrie tricolore de la gomme. Les deux décennies qui viennent de s'écouler ont en effet connu d'autres épisodes similaires.

Michelin à Poitiers (86) en 2006, Kleber à Toul (54) en 2008, Continental à Compiègne (60) en 2010, Goodyear à Amiens-Nord (80) en 2014, encore Michelin à La Roche-sur-Yon (85) en 2019, Bridgestone à Béthune (62) en 2020… Les exemples sont nombreux. À chaque fois, la même émotion, les mêmes débats et les mêmes causes produisant les mêmes effets d'après les groupes décideurs. Au final, si les avis peuvent varier, l'un des tournants de ce virage remonte à la crise économique de 2008. Celle-ci a lourdement impacté l'industrie automobile mondiale et, par effet de ruissellement, celles de leurs fournisseurs (fabricants de pièces, de pneus, etc.).

2008, un tournant pour tout le secteur

Plus rien n'est ainsi redevenu comme avant. Alors que l'Insee plaçait en 2014 la France au deuxième rang de la production de pneumatiques en Europe, la situation a désormais bien changé. Les volumes se sont largement effrités et le savoir-faire tricolore en la matière s'est réduit sur le plan quantitatif, à défaut de l'être au niveau qualitatif, ce qui est déjà une forme de victoire. Si la demande a changé, la concurrence a elle aussi évolué. Elle s'est même exacerbée. Les firmes exotiques, principalement chinoises, ont trouvé leur place sur le Vieux Continent.

Et si l'on ne saurait vraiment reprocher aux automobilistes de vouloir réduire leurs dépenses par ces temps moroses, on pourrait davantage critiquer les manufacturiers d'avoir pendant trop longtemps regardé le train du changement passer et encore plus les grands décideurs français de ne pas avoir créé les conditions nécessaires à la pérennisation de l'industrie.

La pression sur les prix a fait baisser la demande à la fois en pneus tourisme et en pneus poids lourd (on en veut pour preuve la chute du segment rechapé…) sans que les schémas industriels traditionnels ne se réinventent. La fabrication d'enveloppes, bien qu'en pleine mutation, repose toujours en bonne partie sur du travail manuel, ou a minima sur une intervention humaine, avec tout ce que cela implique en termes de coûts et de charges.

Un impact social indéniable

Se retranchant derrière la baisse de la demande, un manque de compétitivité ou la concurrence asiatique, tous les principaux manufacturiers ont ainsi choisi de mettre les voiles. Principalement à l'est du continent, pour y trouver une main-d'œuvre moins onéreuse. Leurs choix de fermeture ne se limitent d'ailleurs pas uniquement à l'Hexagone. On retrouve parmi la plupart des groupes précédemment nommés des exemples de délocalisations et de restructurations d'usines chez nos voisins allemands, italiens ou espagnols.

À chaque fois, les manufacturiers ont annoncé s'engager à ne laisser personne sur le bord du chemin. Reclassement, accompagnement vers une reconversion, indemnités de départ, les leviers sont multiples pour limiter la casse sur le plan de l'image, tout autant que sur le plan social. En parallèle, certains groupes comme Michelin ont aussi adopté cette fameuse stratégie du "un pour un", selon laquelle chaque emploi supprimé serait recréé indirectement. Une façon de préserver l'équilibre des bassins économiques concernés.

Quelques lueurs d'espoir

Mais même avec de la bonne volonté, cela a rarement suffit à ne pas tout déséquilibrer justement. Même le PSE (Plan de sauvegarde de l'emploi) de Bridgestone-Béthune, régulièrement qualifié de modèle de négociations bien menées, n'a pas annihilé l'impact profond et durable de cette fermeture. Tous les patrons ne sont pas des "salauds" et les grandes justifications peuvent cacher une réelle volonté de "faire au mieux". Reste que stopper des sites industriels demeure lourd de sens, alors que ceux-ci rayonnent généralement bien au-delà de leur petit périmètre local.

Dans ce marasme, une lueur d'espoir, peut-être. En dépit des fermetures, plusieurs manufacturiers continuent d'investir dans l'Hexagone. Michelin, encore et toujours, a entrepris la modernisation de plusieurs sites historiques (Troyes, Roanne, Bassens…). Goodyear est en train de faire de même à Amiens (sud, cette fois-ci), à hauteur de 230 millions d'euros, avec l'aide de l’État. Bridgestone a annoncé une enveloppe record, évaluée à plus de 200 millions, pour son site espagnol de Burgos. Si ce n'est plus le cas partout, il y a encore de l'espoir pour l'industrie du pneumatique.

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