Laurent Cabassu, Black Star : "Pas loin des 400 000 pneus Leonard sur les routes françaises"

Le Journal du Pneumatique : Il y a deux ans, Black Star concrétisait son grand projet en lançant en France avec Leonard la première marque de pneus reconditionnés. Comment se porte la société aujourd’hui ?
Laurent Cabassu : La société progresse vite. On a eu depuis deux ans de bonnes surprises et de moins bonnes par rapport au business plan qu’on avait imaginé au départ. Dans l’ensemble, la tendance est satisfaisante. Déjà parce que, première chose, on vend ce qu’on produit. Et c’est forcément un indicateur important pour une jeune marque. Nos ventes progressent de manière quasi linéaire chaque mois. Ensuite, on vend aussi des pneus, et beaucoup de pneus, à l’extérieur des réseaux Mobivia (actionnaire majoritaire de Black Star, ndlr). C’est un autre indicateur important de la bonne santé de notre projet.
JDP : Votre production, réalisée rappelons-le dans une partie de l’ancienne usine Bridgestone de Béthune (62), s’établissait au départ sur un volume annuel de 250 000 unités. Où en êtes-vous actuellement ?
L. C. : C’était notre objectif au lancement et on est aujourd’hui sur un rythme annuel de 350 000 pneumatiques, ce qui est légèrement inférieur à nos prévisions, mais les tendances sont malgré tout positives. Par exemple, on avait produit 17 000 enveloppes en mars 2024 contre 27 000 en mars 2025. La croissance est là et on arrive à franchir certains paliers.
JDP : Votre outil industriel permet-il d’absorber cette montée en puissance ou avez-vous dû procéder à des ajustements ?
L. C. : Pour l’instant, on travaille à périmètre constant. On a la même gamme de produits et les mêmes références et, comme je le disais précédemment, on vend tout ce qu’on fabrique. On pourrait produire davantage sur certaines références, notamment les véhicules un peu plus anciens en 14-15 pouces, mais on est aussi confronté à des difficultés d’approvisionnement en carcasse. Ces parcs sont vieillissants, avec des véhicules plutôt équipés en marques tiers 3, alors que notre stratégie est de n’utiliser que des marques premium.
À l’inverse, on en trouve beaucoup sur des modèles plus récents, type 3008 ou 5008, mais avec une demande qui n’est pas assez mature pour une marque quality comme la nôtre. Au final, notre 20-80 tient essentiellement sur les 16-17 pouces toujours avec l’enjeu de la vieille matière.
JDP : C’était le grand enjeu évoqué au lancement. Il vous faut avoir de la vieille matière en grande quantité et, si possible, selon des circuits courts, ce qui n’a rien d’une sinécure…
L. C. : C’est le défi numéro un. L’approvisionnement est le principal frein à notre montée en puissance. À date, il nous faudrait entre 30 et 40 000 carcasses par mois de plus. Ce qui, dans un marché où se démontent plus de 40 millions de pneus par an, ne devrait pas être un sujet.
Actuellement, le cahier des charges mis en place pour les trois éco-organismes français donne un objectif de rechapage VL. Celui-ci est fixé à 4 % pour 2024, 6 % pour 2026 et 10 % pour 2028. C’est une contrainte… Ces éco-organismes se réorganisent, avec un nouvel appel d’offres sur les collecteurs, et on compte sur leur support pour trouver une manière d’augmenter nos approvisionnements. Les discussions qu’on mène avec eux sont constructives. Après, entre le moment où on se parle et celui où l’article va paraître, il peut se passer beaucoup de choses. On en saura davantage d’ici l’été.
En attendant, on a beaucoup travaillé pour convaincre certains collecteurs de nous fournir des pneus. Sur les douze derniers mois, on est passé d’une dizaine à plus d’une vingtaine de collecteurs français. Cependant, pour résoudre ce problème, on a aussi dû commencer à discuter avec des acteurs implantés en Belgique, qui n’est pas très loin de chez nous, ainsi qu’en Allemagne et aux Pays-Bas.
JDP : L’autre enjeu avec la vieille matière tient dans sa réutilisation. À l’issue des multiples étapes de contrôle, vous ne pouviez en 2023 n’utiliser que 20 % des volumes entrant. Ce chiffre a-t-il évolué ?
L. C. : À la base, le flux prévu et sur lequel on avait misé venait directement des magasins. La problématique qui se pose est que, plus on monte en charge, plus il faut élargir les distances de collecte. Il s’est avéré que ce n’était pas le bon flux. On a donc changé courant 2024 de stratégie en limitant les flux magasins. À la place, on est passé sur du pré-tri réalisé pour nous par les collecteurs qui sélectionnent ainsi la marchandise à l’intérieur de leurs bennes. Grâce à ce mode de fonctionnement, on est actuellement à 60 % de pneus réutilisables, mais cela reste insuffisant. On a donc développé un outil numérique, une application, qui est en cours de finalisation et qui permettra au collecteur de voir directement si le pneu en question convient ou non au flux de Black Star.
JDP : L’enjeu de la valorisation fait-il partie de ces sujets plus complexes que vous ne l’aviez imaginé ?
L. C. : Oui, c’est sûr. La complexité des carcasses est un sujet qu’on a appris à apprivoiser. On a vu passer des millions de pneus, on a emmagasiné beaucoup de datas et on est donc plus apte désormais à voir ceux qui reviennent souvent et ceux qui conviennent à notre cahier des charges.
JDP : La gamme Leonard se décline en été, toutes saisons et camionnettes avec environ 70 dimensions. À l’instar d’une marque "traditionnelle", l’objectif est-il pour vous de la renforcer sans cesse ?
L. C. : Il y a plusieurs sujets derrière cette question. Le premier élément, c’est que Black Star ne dispose pas d’un service R&D et n’a donc pas la capacité de dessiner de nouvelles dimensions et de nouveaux moules, et encore moins de nouveaux dessins de bande de roulement. On dépend donc de l’externe.
Notre première gamme, celle qui est actuellement commercialisée, est une gamme qui avait été fournie par Bridgestone. Chaque moule coûte à peu près 15 000 euros, ce qui représente un coût très important et, aujourd’hui, on cherche plutôt à capitaliser sur notre gamme existante. Cependant, il est clair que plus on avance, plus certaines dimensions baissent et d’autres augmentent. De fait, la popularité dimensionnelle de notre gamme va diminuer et un besoin en renouvellement va se poser.
Pour ce faire, on a deux options. La première consiste à renouveler entièrement notre gamme avec une nouvelle ligne de produits. Ce qui implique de trouver un partenaire pour nous la dessiner. La seconde est de pouvoir s’appuyer sur des manufacturiers premium soit pour récupérer une ancienne gamme, soit pour s’appuyer sur leur R&D pour qu’ils nous en dessinent une. À court terme, l’enjeu est pour nous davantage de compléter la gamme avec une dizaine ou une quinzaine de références en 17 et 18 pouces.
JDP : Comment se répartissent vos ventes ? Est-ce que vous suivez les tendances du marché ?
L. C. : Effectivement, puisque le Leonard se porte extrêmement bien en toutes saisons. On sort de six mois où les ventes de ce segment ont été largement supérieures à celles de l’été. On va voir si cela continue après la période hivernale. Malgré le fait d’avoir un produit toutes saisons d’ancienne génération, on en a beaucoup vendu. L’autre bonne surprise dans nos résultats tient dans le succès de notre gamme camionnette qui représente environ 15 % de nos ventes. Les flottes le trouvent intéressant car il y a moins d’offres quality sur ce segment, que c’est un produit très fiable et très performant, et qu’il est aussi 40 % moins cher qu’un équivalent premium.
JDP : Vous avez profité lors des premiers mois de nombreuses retombées médiatiques. Avez-vous senti que votre projet suscitait un réel intérêt au-delà du monde de l’automobile ?
L. C. : C’est vrai qu’on a ressenti une grande curiosité autour de notre projet. On a une culture en France avec un pneu perçu d’abord comme un élément de sécurité, ce qui induit de nombreuses interrogations. Beaucoup de médias sont venus visiter l’usine, dans un premier temps parce que c’était une usine qui avait fermé et qui rouvrait. Et, dans un second temps, on est allé plus loin avec une appétence pour le pneu reconditionné, pour une fabrication française, pour une histoire différente des autres. Tout ça a créé un intérêt important.
JDP. Votre développement a aussi été soutenu par l’accueil des réseaux. Nombreuses ont été les enseignes à faire une place à votre marque. Avec quels résultats au final ?
L. C. : Aujourd’hui, on est référencé chez à peu près tout le monde. On est chez Euromaster, Best Drive, Vulco, Point S, First Stop, Speedy, mais aussi évidemment Norauto, Midas et Carter-Cash. On est aussi distribué par Distri Cash. Au total, on a potentiellement 6 000 points de vente où nos produits sont référencés.
Cependant, on a un énorme travail à faire auprès de tous ces monteurs de pneus pour les convaincre que notre marque offre les mêmes performances qu’un pneu neuf au même prix et qu’ils peuvent donc le proposer sans aucun frein à leurs clients. C’est un travail qui est long, mais une fois qu’il sera fait, on pourra dire qu’on a installé un nouveau segment. Factuellement, les résultats sont encourageants, car dès qu’un vendeur écoule quelques dizaines ou quelques centaines de pneus Leonard, il ne s’arrête plus, n’ayant aucun retour négatif.
Notre intégration dans ces réseaux a aussi été facilitée par la loi Agec. Le référencement est bon mais il faut aller plus loin. Dans l’effort de promotion, de valorisation et d’explication du produit, certains réseaux se sont plus engagés que d’autres. Mais au-delà des réseaux, on a aussi noué des partenariats avec Emil Frey et avec GGP, côté distribution, avec Ayvens (ALD et Leaseplan), ou encore avec le groupe Fraikin côté flottes.
JDP : En parallèle, vous avez aussi noué un partenariat d’envergure avec le groupe Renault. Qu’un acteur comme celui-ci fasse confiance à une nouvelle marque comme la vôtre, ça signifie beaucoup ?
L. C. : Pour nous, c’était formidable. Ça a crédibilisé notre produit. Vous vous doutez bien que les équipes de Renault ont passé beaucoup de temps à l’étudier. L’idée pour le groupe était de pouvoir proposer une offre encore plus complète auprès des agents et des MRA. Que ce soit chez Emil Frey, chez GGP ou chez Renault Retail Group, on va chercher des véhicules de plus de 100 000 kilomètres sur lesquels il y avait auparavant une offre très concentrée premium-quality et qui ont désormais une alternative accessible et qualitative. L’aspect écologique et made in France de Leonard étaient également deux éléments très importants dans la réflexion de Renault.
JDP : Est-ce qu’après deux ans d’existence, vous avez le sentiment d’être aujourd’hui à un premier tournant de votre histoire ?
L. C. : On n’est pas loin des 400 000 pneus Leonard sur les routes françaises. En deux ans, c’est assez incroyable. On est à 0,01 % de retour qualité, on gagne des clients mois après mois, donc on est dans une dynamique positive. L’enjeu à court terme est d’atteindre les volumes qui nous permettront d’être à l’équilibre et rapidement car nous sommes en retard sur notre business plan. Tout ce qu’on développe doit donner des résultats en quelques semaines ou quelques mois grand maximum. Aujourd’hui, on estime que l’entreprise doit arriver le plus vite possible à 450 000 pneus produits annuellement. En dessous, elle n’est pas rentable et perd de l’argent. Il faudrait atteindre cet objectif courant 2026.
JDP : Aurez-vous le temps d’atteindre cet objectif ? Votre maison mère vous envoie-t-elle des signaux en ce sens ?
L. C. : Oui, bien sûr, mais la difficulté pour elle, et donc pour nous, est de maîtriser le temps. L’an passé, on a réussi à monter la production pendant plusieurs mois avant de stagner. On doit atteindre les paliers les uns après les autres le plus vite possible. Notre actionnaire nous soutient, mais maintenant que nous sommes 140 salariés, nous devons être vigilants sur notre croissance. C’est aussi pour ça qu’on en appelle au soutien de toute la filière, et notamment des éco-organismes, pour accompagner notre montée en charge.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°190 de mai-juin 2025.