Le groupe Simon, entre indépendance et service
Comme souvent, c’est par un heureux hasard que tout démarre. Nous sommes en 1974 et Michel Simon, installé à Paris avec son épouse, caresse l’espoir de revenir poser ses valises en Bretagne, d’où il est originaire. Fils de fonctionnaire, il n’a pas l’âme d’un commerçant mais poursuit déjà un objectif très clair : être libre et indépendant. Au même moment, la marque Kleber réalise une étude de marché et l’informe qu’un négociant en pneumatiques situé à Morlaix (29) est en mauvaise passe. Michel est de son côté en quête d’un produit de grande consommation, dont l’usage et le remplacement sont réguliers.
Les planètes semblent s’aligner : "Quand j’ai appris qu’une opportunité se présentait à Morlaix, cela a tout de suite attiré mon attention, car le hasard fait que ma famille est originaire d’une région qui se situe à 15 km de là. Je revenais ainsi au plus près de mes racines familiales et pour couronner le tout, plusieurs de mes cousins germains possédaient des entreprises de travaux publics, ou étaient transporteurs : cela m’offrait immédiatement une base de clientèle", se souvient Michel Simon.
Vision stratégique et développement breton
Il s’installe alors dans la cité du Finistère avec son épouse et se concentre sur le pneumatique industriel (poids lourd, génie civil, agricole et manutention), d’une part en raison de sa clientèle familiale et de l’autre en raison des locaux relativement vétustes qu’il loue et qui se prêtent moins à l’activité tourisme. C’est ainsi que débute la folle aventure du groupe Simon. "À l’époque, je portais toutes les casquettes : j’étais monteur et représentant à partir de 17 h. J’étais seul avec mon épouse qui s’occupait du bureau, elle gérait les appels et la comptabilité", poursuit-il.
Au bout d’un an et demi, le duo décide d’embaucher son premier salarié, afin de couvrir la région brestoise, qui se situe à environ 50 km de là. Le commercial réalise alors des tournées avec un camion et connaît rapidement un certain succès : en 1976, la décision est alors prise d’ouvrir un point de vente à Brest. Dès le départ, le principe de Michel Simon est simple : "Le service et avant tout le service".
Pour cela, l’entrepreneur sait que son développement nécessitera un maillage serré, avec l’implantation d’un point de vente tous les 40 à 50 km afin de conserver une rapidité de dépannage. "Ainsi, chaque point de vente se trouve à 20/25 km maximum du client", précise-t-il. S’ensuit l’ouverture d’un site à Landivisiau (24 km de Morlaix, ndlr) et rapidement d’autres antennes dans le Finistère, jusqu’à posséder sept points de vente.
"Michel, à la différence des autres négociants spécialistes, a su très tôt que la différenciation ne passerait pas par le produit – car tout le monde achète les mêmes marques et les revend à peu près aux mêmes prix – mais par le service, donc le dépannage. Et cette intuition initiale fait encore aujourd’hui le succès de l’entreprise. Le service représente une part prépondérante dans notre marge, plus que le produit. Et ce choix a structuré la stratégie globale de l’entreprise. C’est le service qui a nécessité un maillage important, ainsi que la création d’une enseigne et c’est aussi lui qui guide l’attention portée aux ressources humaines", complète Olivier Dacquin, actuel directeur général de l’entreprise.
Le tournant Nantes pneumatiques
En 1986, Michel Simon fait l’acquisition de Nantes Pneumatiques, un véritable tournant pour le groupe : "J’ai fait un grand bond en rachetant cette entreprise à Nantes, qui faisait à l’époque plus de chiffre d’affaires à elle seule que mes sept magasins", se rappelle avec enthousiasme le fondateur. À cette période, le groupe compte alors près d’une centaine de salariés et Michel Simon poursuit sa stratégie de maillage du territoire. Ainsi, trois centres sont ouverts à Nantes, un à Châteaubriant, et un à Saint-Nazaire (44). Le groupe est désormais lancé dans une démarche de croissance externe, et Michel Simon ne va pas s’arrêter là.
En 1990, le dirigeant apprend que deux de ses principaux concurrents sont en difficulté. Il décide alors de les racheter. L’opération comprend à la fois un établissement à Quimper, un autre à Rennes, ainsi qu’une unité de rechapage. "Ce rachat est très important pour l’entreprise car il nous permet tout d’abord de mettre un pied à Rennes, mais également de véritablement lancer l’activité rechapage. Nous avions de notre côté une petite unité à Nantes, nous avons donc regroupé les deux entités et créé Atlantique Bretagne Rechapage (ABR) près de Quimper. Il s’agit de la première filialisation du groupe", explique-t-il.
À ce moment-là, Michel Simon possède des points de vente dans le Finistère, la région nantaise, et à Rennes, mais rien entre Rennes et Morlaix. Il ouvre alors des magasins entre ces deux villes et couvre ainsi toute la Bretagne, avec un total de 35 centres et près de 250 collaborateurs.
Direction le sud-ouest
Au milieu des années 1990, l’aventure mène Michel Simon à Brive-la Gaillarde (19), où il s’associe (majoritairement) à un collègue pour l’aider à redresser son activité. "Au bout d’un certain temps, il y avait une incompatibilité d’humeur entre nous, j’ai dû racheter l’entièreté de ses parts et me séparer de lui. Me voilà donc à Brive, où l’on joue au rugby quand ici (en Bretagne) nous jouons au foot ! La culture est totalement différente et je me pose la question de continuer à faire grandir mon groupe ou de revendre", rapporte-t-il. Sans suspense, il choisira la première option et rachète peu de temps après une affaire regroupant six points de vente à Brive, puis élargit son périmètre à Limoges (87) avec dans un premier temps quatre centres.
"Avec ce volume de points de vente, nous avons pu mettre en place une structure, nous avons embauché un responsable qui gérait sa dizaine de magasins pendant que nous faisions des petits à côté. Entre la Bretagne et le Sud-Ouest, je faisais 120 000 km par an !", continue le fondateur. L’histoire se poursuit toujours selon les mêmes principes et des agences ouvrent à Bordeaux, Toulouse et Agen…
Puis, une nouvelle opportunité se présente : deux anciens employés de Michelin s’étaient lancés quelques années auparavant dans le négoce de pneumatiques dans le Tarn et l’Aveyron : à Rodez et Saint-Affrique. Après une croissance rapide, ils connaissent une crise de trésorerie et Michel Simon s’associe alors avec eux (toujours majoritairement) pour relancer l’activité.
L’entreprise baptisée Challenge Pneus se développe et double son nombre de centres, passant de deux à quatre. Une belle aventure conjointe qui parfait l’extension du groupe dans le sud de l’Hexagone. Aujourd’hui, le groupe Simon dispose ainsi de 35 magasins dans le Sud-Ouest.
La naissance de Profil Plus
Comme les journées du dirigeant ne sont pas assez remplies, en parallèle de la croissance de son groupe et de ses multiples implantations, ce dernier est très investi dans les groupements. Il est notamment à l’origine d’un premier en Bretagne nommé PAP (Professionnels Associés du Pneu), remplacé ensuite par le GAPP (Groupement Achat des Professionnels du Pneu, qui donnera naissance à Siligom, ndlr).
"Puis en 1997, avec deux de mes confrères, Siney, basé à Alençon (61) et l’entreprise Vaysse à Paris, nous étions les trois plus importants négociants au sein du groupement mais nous avons décidé de le quitter pour créer le G6, le regroupement des six plus gros négociants de France. Notre stratégie était différente. Au départ, se rapprocher avait pour objectif d’obtenir des conditions commerciales plus intéressantes auprès des manufacturiers. Mais avec Siney et Vaysse, nos motivations ont changé. Avec des bases dans différentes régions de France, nous nous sommes regroupés pour pouvoir toucher les entreprises nationales voire internationales et être dans la cour des grands, comme aujourd’hui les manufacturiers le font. Le G6 est alors un groupement de vente et non plus d’achat", décrypte Michel Simon.
Leur but est simple, offrir les mêmes conditions commerciales à tous les clients dans toute la France et séduire les grandes entreprises, grâce à une facturation centralisée. C’est ainsi que le G6 pose les bases de l'enseigne Profil Plus, qui naît en 2003. Michel Simon en deviendra le vice-président puis le président durant deux mandats et défendra sa vision d’indépendance qui fait encore aujourd’hui son succès.
"La spécificité du G6 à l’époque comme de Profil Plus aujourd’hui, c’est l’indépendance. En effet, la distribution française de pneumatiques s’est structurée autour des manufacturiers, Michelin avec Euromaster, Continental avec BestDrive, Bridgestone avec First Stop, Goodyear avec Vulco : tous ou presque ont leur réseau. Aujourd’hui, il reste deux enseignes indépendantes : Profil Plus et Point S. Mais elles ne sont pas concurrentes, plutôt complémentaires, puisque l’ADN de Profil Plus est le produit industriel et le client BtoB, même si nous faisons aussi du TC4 et du tourisme. A contrario, Point S est plutôt orienté TC4 et BtoC, même s’ils font de l’industriel et du BtoB", analyse Olivier Dacquin.
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"L’indépendance de Profil Plus est aujourd’hui essentielle car, au-delà de rassembler des gens qui avaient envie d’être libres et indépendants comme Michel, ce que l’on dit à nos clients aujourd’hui, c’est qu’en étant indépendant, nous sommes en mesure de leur garantir le meilleur conseil, c’est-à-dire la meilleure solution pneus et services pour leur usage. Côté stratégie, cela nous assure d’être le numéro deux de tout le monde, puisque les manufacturiers se tournent vers nous après avoir servi leur réseau intégré. Et pour ceux qui n’ont pas de réseau à l’instar d’Hankook, nous sommes un partenaire privilégié pour leur donner accès au réseau national. En résumé, à force d’être le numéro deux de tout le monde, nous sommes par conséquent un peu numéro un. Ce trait de caractère d’indépendance de Michel est finalement devenu une stratégie d’entreprise, qui nous offre une position privilégiée".
2015 : une nouvelle dimension
Près de 40 ans après l’ouverture de son premier magasin de pneumatiques, Michel Simon est, à l’aube de l’année 2015, à la tête d’une soixantaine de centres en Bretagne et dans le Sud-Ouest, d’une activité de rechapage (ABR) et d’une activité de grossiste. C’est alors qu’il apprend qu’un de ses collègues du G6 et de Profil Plus, le groupe Chouteau Pneus, est à vendre. Nouvelle opération de croissance externe, il rachète ce dernier, qui rassemble 22 centres Profil Plus en Vendée et lui permet de faire la jonction géographique entre le Sud et ses bases bretonnes.
Au total, pour la partie retail, le groupe Simon compte alors 85 centres majoritairement sur la façade ouest de la France (il existe aussi un point de vente isolé à Lille et deux autres à Paris, qui sont des historiques) et devient ainsi le plus gros adhérent Profil Plus de France et son actionnaire majoritaire.
Dans le même temps, l’activité de grossiste, exercée par les agences en propre, a pris de l’ampleur. Dès les années 2000, Michel y voit du potentiel et ouvre une filiale de revente, Chrono Pneus. Cette dernière regroupe trois plateformes à Moréac (56), Toulouse (31) et Limoges (87) et grandit dans l’ouest de la France. Mais rapidement, le constat d’une extension au niveau national s’impose. Toujours en 2015, la plateforme SLPA (Société Lyonnaise de Pneus et d’Accessoires) est mise en vente. Le groupe Simon-Chouteau nouvellement constitué est intéressé, tout comme Autodistribution, en recherche d’un nouveau relais de croissance face à l’électrification des véhicules et la baisse du chiffre d’affaires des pièces.
"La décision de racheter SLPA ensemble est actée. La joint-venture appartient à 51 % à Chrono Pneus et 49 % à Autodistribution. Elle s’appelle Chrono SLPA Pneus. Ce rachat permet au groupe de disposer de deux plateformes de distribution supplémentaires à Lieusaint (77) et à Saint-Laurent-de-Mure (69) et d’une implantation plus à l’est du territoire français", rappelle l’actuel directeur général.
L’année 2015 marque ainsi un tournant pour le groupe avec deux importants rachats : le groupe compte alors 1 000 salariés et génère un CA de 150 millions d’euros. Cette étape représente aussi la fin d’une période menée par de la croissance externe, pour ouvrir la porte à de la croissance interne. Non sans succès, puisqu’entre 2015 et 2023, le groupe a doublé son chiffre d’affaires pour atteindre 300 millions d’euros.
Philosophie, avenir & transmission
Aujourd’hui, le groupe Simon se targue d’employer 1 400 personnes, de réaliser deux tiers de son activité en industriel dans les 85 agences Profil Plus, de revendre 1 100 000 pneumatiques par an via Chrono SLPA Pneus (92 millions de CA en 2023) et de rechaper 28 000 pneumatiques (7 millions de CA en 2023) grâce à son usine ABR. Une croissance exceptionnelle, que Michel était loin de soupçonner à l’ouverture de son premier centre.
Toutefois, le dirigeant a très vite su s’entourer et faire valoir sa vision. "Je savais qu’à chaque fois que nous réalisions des acquisitions ou des créations, la structure du groupe devait grandir avec. J’ai tout de suite fait le choix d’organiser le groupe en secteurs avec à leurs têtes des responsables. Nous avons aujourd’hui une dizaine de chefs de secteurs", partage Michel Simon.
Pour Olivier Dacquin, la réussite de Michel a résidé dans sa manière de s’entourer mais aussi de manager : "Très tôt, Michel est allé chercher des compétences pour l’aider à se développer au fur et à mesure de la croissance du groupe, progressivement. Il y a à la fois des personnes qui ont grandi avec le groupe et il est aussi allé chercher des expertises à l’extérieur comme c’est le cas des deux directeurs généraux que nous sommes avec Mikaël Mauguen".
Ce dernier, ancien expert-comptable du groupe (23 ans d’ancienneté), a en charge les services transverses, c’est-à-dire la direction administrative et financière, les RH, l’IT, la qualité/sécurité, les bâtiments ou encore l’informatique. Quant à Olivier Dacquin, après une carrière chez Michelin en tant que directeur commercial pour la France et le Benelux, il a rejoint Michel et Mikäel en 2019, afin de superviser la partie opérationnelle des points de vente et des deux filiales.
"L’autre clé de ce succès est que nous sommes un groupe très responsabilisant. La maille élémentaire du groupe c’est le site, l’agence, donc nous considérons que nous avons une centaine de patrons de PME. Michel leur répète souvent que ce sont les patrons de leur affaire, que c’est à eux de décider et nous sommes la holding, une petite tête avec peu de personnes car nous maximisons les ressources qui sont en contact avec le client. C’est l’essentiel dans le service".
"Nous appliquons donc le principe de subsidiarité : tant que nos collaborateurs savent faire tous seuls, ils font tous seuls, nous laissons beaucoup de liberté et d’autonomie à nos chefs d’agence. En revanche, s’ils ont besoin d’aide, ils lèvent la main et nous sommes alors très agiles et très rapides pour aller les aider. C’est ce cadre qui fonctionne et qui nous a permis de traverser sereinement la crise Covid par exemple".
Une autonomie rendue possible également grâce à l’investissement dans les compétences de ses collaborateurs. C’est pourquoi, le groupe a lancé il y a une dizaine d’années son école, PFP2, proposant à la fois de la formation initiale (CQP) et de la formation continue. Elle délivre en moyenne plus de 10 000 heures de formation à 1 000 stagiaires par an.
Le groupe n’en est qu’à son premier chapitre
Jusqu’ici porté par la vision de Michel, le groupe Simon s’inscrira-t-il à l’avenir dans une saga familiale ? C’est en tout cas le désir profond de Michel et la mission qui a été donnée à Mikaël et Olivier. "La fille de Michel, Catherine, est actionnaire du groupe mais n’a pas de velléités quant à sa gestion quotidienne. En revanche, il a aussi cinq petits-enfants, dont l’aîné de 22 ans, qui vient de terminer son contrat d’alternance au sein du groupe et y travaille désormais. L’objectif fixé par Michel est de donner la possibilité à l’un des cinq garçons de s’impliquer dans le groupe, le moment venu", souligne Olivier Dacquin.
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Pour ce qui est de l’avenir, le groupe, qui a digéré les importantes acquisitions de 2015, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Dans le retail, les dirigeants, sollicités quasi quotidiennement, étudient les opportunités de rachat d’agences connexes géographiquement, rentables et orientées produit industriel. Du côté de l’activité revente aux garages, le groupe est résolument dans une logique de croissance et espère faire évoluer son nombre de plateformes dans le futur. Enfin, concernant ABR, qui rechape actuellement 28 000 enveloppes à l’année, l’objectif est de viser les 30 000 à court terme.
"Par la suite, nous sommes persuadés que le rechapage comme il est organisé actuellement à l’échelle européenne n’est pas vertueux en termes d’empreinte carbone. Nous pensons donc que le rechapage de proximité bénéficie d’un avenir stratégique et pour cela, nous sommes très bien positionnés sur le marché français. Avec Michel, nous imaginons donc que l’histoire de croissance qu’a connue le groupe depuis 50 ans n’est qu’un premier chapitre", conclut Olivier Dacquin.