Pourquoi les manufacturiers misent encore sur le sport auto ?

Si le sport automobile ne pourrait pas se passer des manufacturiers pour exister, la réciproque est également vraie. Les liens qui unissent ces deux univers sont aussi forts qu’anciens et ont contribué à créer avec le temps de véritables images d’Épinal. On pense par exemple à la passerelle Dunlop du circuit des 24 Heures du Mans, aujourd’hui indissociable de cette épreuve mythique, à celle du Bibendum de Michelin, traînant dans les paddocks telle une rock star, ou encore au Blimp de Goodyear, habitué à voler au-dessus des tracés des plus belles courses.
Si le pneumatique en lui-même peut passer au second plan, dans l’imaginaire des passionnés, les logos des grandes marques de la gomme vont forcément de pair avec le vrombissement des moteurs. "Le sport automobile est inscrit dans nos gènes. Depuis plus de 150 ans que Pirelli existe, la compétition a toujours fait partie de notre histoire. C’est un élément indissociable de notre parcours" rappelle Mario Isola, directeur Motorsport de la firme milanaise.
"Les sports mécaniques font partie intégrante de notre ADN depuis toujours, confirme Bert Vanneste, directeur des opérations marketing Motorsport EMEA de Bridgestone. La présence de l’entreprise dans le monde de la course remonte d’ailleurs à plus d’un siècle, depuis la victoire de notre marque Firestone au tout premier Indy 500, en 1911."
Si cette histoire commune a longtemps paru évidente, le contexte des dernières années aurait pu rabattre les cartes. Le monde évolue, la perception que la société a de l’automobile aussi, et la question d’associer son nom à des évènements réellement ou prétendument impactant pour la planète aurait pu se poser. Mais il faut croire que la passion est plus forte que ces considérations.
Une formidable vitrine
Nonobstant le contexte de car baching, les manufacturiers continuent d’investir massivement pour accompagner les plus grandes compétitions. Pirelli entame en 2025 sa quinzième saison en Formule 1. Firestone équipe l’IndyCar depuis plus d’un quart de siècle. Michelin est présent en Moto GP depuis 2016, et ce jusqu’en 2027 (date à laquelle Pirelli prendra la relève). Hankook s’affiche en WRC depuis cette saison et en Formula E depuis 2022, une compétition où Bridgestone lui succédera à compter de 2026…
Et si ces groupes sont prêts aujourd’hui encore à consacrer des budgets évalués en centaines de millions dans ces partenariats, c’est parce que les retours sur investissement, bien que très difficiles à évaluer, sont multiples. "Le sport automobile est la plateforme idéale pour promouvoir nos produits. C’est la meilleure occasion de mettre en valeur nos technologies haut de gamme ainsi que la haute qualité de nos produits" souligne Manfred Sandbichler, directeur Motorsport Europe d'Hankook.
"Notre implication sert à la fois à asseoir et à affirmer notre position de marque premium tournée vers un avenir plus durable. Mais ces compétitions sont aussi une vitrine qui nous permet de promouvoir notre identité, les valeurs qui nous sont chères, et l’orientation que nous souhaitons donner à l’entreprise" étaye Bert Vanneste.
Repousser les limites de l’innovation
L’enjeu d’image serait ainsi caduc sans l’apport en technologies et en innovations intimement lié à ce type de partenariat. Entre terrain d’expérimentation et laboratoire de développement, le sport automobile a historiquement joué un grand rôle dans la mise au point de technologies destinées plus tard au grand public. Mario Isola donne pour exemple celle du Runflat, d’abord imaginée puis expérimentée sur les circuits avant d’être déployée dans les enveloppes de série.
"Le sport automobile est un grand défi quelle que soit la discipline, résume Manfred Sandbichler. En Formula E, nous apprenons constamment dans le développement de nos pneus de course et tous ces enseignements nous servent ensuite au développement de notre gamme iON destinée aux consommateurs".
"Pour exceller dans les sports motorisés, il faut sans cesse repousser les limites de l’innovation. Celles que nous développons pour nos pneus de course se retrouvent sur les technologies qui équipent nos produits grand public. En effet, c’est grâce aux enseignements que nous tirons de notre expérience des sports motorisés que nous pouvons améliorer en permanence nos design, nos données, nos technologies et nos protocoles d’essai, ce qui bénéficie au bout du compte au grand public" explique encore Bert Vanneste.
"Aujourd’hui, on parle des matériaux, de la résistance au roulement, de l’impact sonore des pneumatiques, mais tous ces enjeux sont déjà intégrés depuis des années dans le travail de nos équipes Motorsport. Très clairement, tous nos développements se font beaucoup plus vite grâce à la R&D qui s’opère en Formule 1" complète Mario Isola.
Tandis que tous les manufacturiers sont engagés dans la création d’enveloppes 100 % durables, d’ici 2050 pour la plupart, le sport auto devance cette tendance. La gamme iON utilisée par Hankook en Formula E est composée d’environ 35 % de matériaux recyclés. Dans le groupe Bridgestone, les pneus Firestone équipant l’IndyCar sont composés depuis 2022 de caoutchouc naturel issu du guayule ou encore de plastiques recyclés et de résidus d’huile de palme.
Plus qu’un fournisseur de pneus
Dès lors, c’est précisément tout ce savoir-faire, cette expertise, cette haute technicité que les manufacturiers souhaitent valoriser au travers de la caisse de résonance offerte par ces compétitions. Chacune de ces plateformes offre des opportunités différentes en termes de développement technologique, de stratégie à long terme ou d’audience. "Aussi, nous évaluons chaque opportunité à la lueur de notre stratégie commerciale et des orientations de chacune de nos marques" affirme Bert Vanneste.
Très attendus sur la qualité de leurs pneumatiques par les organisateurs, les manufacturiers réclament quant à eux de ces derniers un engagement tout aussi important pour faire rayonner leur discipline. De ce point de vue, Pirelli se félicite de la trajectoire prise par la Formule 1 depuis son rachat par Liberty Media.
"La Formule 1 a longtemps été éloignée de son public, constate Mario Isola. Liberty Media a beaucoup fait pour changer cela, mais aussi pour attirer un nouveau public, plus jeune, plus connecté, peut-être moins passionné mais toujours très intéressé. Quand on est partenaire d’un évènement, ce genre d’évolution est très importante. On l’avait dit à Bernie Ecclestone (ancien grand patron de la discipline) dès notre retour. Nous ne sommes pas uniquement un fournisseur de pneus, mais un acteur à part entière de la Formule 1."
L’échec n’est pas permis
Reste que, derrière la passion, l’échec n’est pas permis. Et lorsqu’il arrive, les répercussions peuvent être énormes. Qu’une voiture arrête sa course pour un problème moteur ou pour une crevaison n’a pas le même impact. On pointera ainsi bien plus facilement du doigt un fabricant de pneus qu’un fabricant de pièces… Pirelli en a fait l’amère expérience en 2022 en WRC avec une série de problèmes tout au long de la saison. De quoi agacer sensiblement les pilotes et écorner, un temps du moins, son image.
Alors que son groupe a pris la relève du transalpin en rallye, Manfred Sandbichler admet que ce type de mésaventure peut avoir lieu. "C’est quelque chose qui peut arriver à chaque fois dans le sport automobile. Les pneus sont des produits de haute technologie, utilisés dans des conditions extrêmes absolues, et nous sommes conscients que quelque chose d’inattendu peut se produire chaque jour. C’est pourquoi, nous mettons beaucoup d’efforts dans la sécurité de nos produits de course pour éviter tout type de défaillance dès le début. Cependant, vous ne pouvez jamais savoir ce qui se passera après le prochain virage."
Le risque de bad buzz ne sera jamais nul, mais les manufacturiers maîtrisent assez leur sujet pour le limiter. La passion est plus forte et leur engagement, renforcé par des retours non négligeables, ne semble pas près de diminuer.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°189 de mars-avril 2025.