Les flottes de TC4, nouvelles pépites des réseaux !

Avec plus d’une vente sur deux, les chiffres du marché automobile reflètent l’enjeu du segment BtoB pour les constructeurs, comme pour les manufacturiers et les pneumaticiens. "La part des flottes dans le marché du pneumatique est proportionnellement supérieure à celle des particuliers", analyse Joël Morbe, directeur des ventes TC4 de Bridgestone France.
Ce constat mobilise le fabricant japonais, jusqu’à faire du secteur BtoB un élément clé de sa stratégie commerciale depuis deux ans. "Nous avons adapté notre organisation avec une équipe dédiée pour rencontrer les flottes, identifier leurs attentes, faire découvrir nos gammes, proposer des tests, et établir des préconisations", détaille le responsable. Car force est de constater que certaines entreprises recèlent "de pépites", avec des volumes de pneumatiques significatifs.
Sur ce marché des flottes TC4 (tourisme, camionnette, 4x4), l’une des spécificités concerne son organisation. Les manufacturiers ne vendant pas de pneumatiques en direct (exception d’accords tripartites), l’enjeu est de développer le business en collaboration avec les distributeurs. Le responsable de rappeler : "La subtilité des flottes est qu’elles appartiennent à tous les réseaux et à tous les manufacturiers, et en même temps à personne !".
Un marché partagé entre leasers et flottes
Concurrencé et concurrentiel, le segment cristallise l’attention des fabricants. Car le potentiel est "non négligeable". Il représenterait près de 11 millions d’enveloppes, soit un tiers du marché du pneumatique de l’Hexagone. "Les flottes roulent et consomment davantage de pneus que les particuliers", explique encore Joël Morbe.
Ces pratiques favorisent le remplacement de 1,7 enveloppe par an, et par véhicule, contre une seule pour les automobilistes. Les parcs qui se composent d’un véhicule à plus de 5 000 cartes grises concernent forcément les leasers (tels qu’ALD, Arval, Alphabet…). Ces derniers pèseraient environ 20 % du segment. En d’autres termes, 80 % des flottes se fournissent à l’échelle locale, voire nationale dans le cadre d’une entreprise comme La Poste, la SNCF, Vinci, Colas, Orange… aux côtés des PME régionales.
Un tel potentiel attise forcément l’appétence des opérateurs. Ces deux modèles de flotte reposent sur des approches spécifiques, détaille Jean-Charles Simon, directeur BtoB et TC4 pour la France de Michelin. Ainsi, les loueurs solliciteront les manufacturiers via un appel d’offres national ou européen pour s’approvisionner en pneumatiques. Le montage des enveloppes étant délégué, ensuite, à des distributeurs. Les conditions commerciales et les volumes reposent sur des accords pluriannuels de trois ans, indique le responsable.
En parallèle, les flottes privées supposent une gestion individuelle locale, voire nationale. Celle-ci s’opère via les réseaux de pneumaticiens. Mais quel que soit le profil des parcs, les priorités restent basées sur la sécurité, la longévité du pneumatique, et ses performances globales dans toutes les conditions d’utilisation.
Car les enveloppes recèlent un enjeu de productivité indirecte, poursuit Jean-Charles Simon. Les professionnels parcourant en moyenne trois fois plus de kilomètres à l’année que les particuliers, il impose des changements de pneumatiques dès 12 à 18 mois. La prestation suppose de prendre un rendez-vous dans un atelier, et d’immobiliser le véhicule comme le salarié pendant près de 1h30.
L’externalisation du poste pneumatique s’accélère
Dans ce contexte, la tendance à l’externalisation du suivi des enveloppes se confirme. "Le coût des forfaits appliqués par les loueurs, la volonté de piloter le choix des marques de pneumatiques, ou encore de disposer de plusieurs réseaux pour les interventions expliquent cette tendance", observe Pascal Pilleyre, directeur commercial de Fatec. L’opérateur spécialisé accompagne près de 300 entreprises et 170 000 véhicules dans la maintenance de leur flotte. L’enjeu étant de réduire les temps d’immobilisation grâce à la proximité des ateliers et à la disponibilité des enveloppes.
Face à ces attentes, les réseaux spécialisés adaptent leur organisation. Les entreprises ne souhaitant pas se compliquer la tâche, à l’heure où elles doivent gérer l’évolution des car policy entre modèles hybrides malusés, électriques et diesel, note Benjamin Filippi, directeur d’Eurofleet Tyres et Services. L’enseigne mise sur des services clés en main, qu’il s’agisse des rendez-vous en ligne, de l’automatisation des process ou des conseils. Les contrats prévoient, par exemple, un capital de pneumatiques de quatre, six, ou huit unités, en fonction des lois de roulage de chaque véhicule.
Les solutions s’inspirent aussi des pratiques héritées du poids lourd. Ainsi, les visites sur parc se doublent à présent des ateliers mobiles (une solution présente au sein d’Euromaster, et annoncée par Mobivia pour Norauto), de manière à gagner en productivité et en confort pour les collaborateurs. Car la concurrence fait rage sur ce marché prisé par tous les réseaux d’entretien.
Sur un secteur composé de véhicules récents, plutôt premium, et source de chiffres d’affaires significatifs, les constructeurs ont fait également beaucoup d’efforts pour se repositionner, remarque Pascal Pilleyre. "L’écart de prix existe encore avec les enseignes spécialisées, mais il n’est plus significatif. Les spécialistes sont moins chers sur les enveloppes, cependant le prix des services a augmenté."
Un segment bataillé entre les réseaux
Sur le terrain, la part des flottes, et plus globalement de la clientèle professionnelle au sein des réseaux pneumatiques, varie forcément d’un centre à un autre. Elle pourra atteindre près de 70 % du côté de First Stop et de Côté Route. "Ce marché se révèle primordial, souligne Benjamin Filippi. Le pneumatique est en souffrance depuis plusieurs années. Les lois de roulage ont évolué." Même les flottes parcourent moins de kilomètres !
L’évolution des pratiques est alimentée par la stratégie RSE des entreprises qui peuvent privilégier les déplacements en train ou les visioconférences. Elle vise aussi à réduire les dépenses et à compenser la hausse du coût des pneumatiques, ou une consommation accrue sur les véhicules électriques. Pour autant, le segment BtoB continue d’assurer une récurrence des visites pour les réseaux.
"Cette clientèle a besoin d’un maillage national cohérent afin de réduire les temps de parcours vers un atelier, observe le responsable. Il s’agit d’un critère essentiel. Il conduit les entreprises à solliciter parfois plusieurs enseignes, de manière à bénéficier également des meilleures conditions commerciales." La localisation géographique des points de vente, la zone de chalandise et le profil des sites, déterminent le poids de la clientèle BtoB, ajoute Aurélien Moinet, chef des ventes véhicules légers au sein d’Euromaster, dont les flottes pèsent entre 30 % et 60 % de l’activité.
À l’échelle nationale, l’activité progresse. "Nous remarquons une professionnalisation grandissante des entreprises dans la gestion de leur flotte, analyse le responsable. Elles recherchent de meilleurs coûts, mais aussi un accompagnement et des conseils personnalisés." Et pour cause. L’évolution de la législation entourant le verdissement des flottes, la loi Montagne, l’essor des profils toutes saisons ou bien encore la variété des gammes et des segments de prix, alimentent le questionnement des gestionnaires de parc.
Les leviers de fidélisation
Incontournable à l’équilibre économique des réseaux de pneumaticiens et de leurs adhérents, l’activité auprès des flottes équipées en TC4 est au cœur de la stratégie de BestDrive. "Nous avons la volonté de la faire évoluer, et de faire progresser son chiffre d’affaires", indique Caroline Michel, directrice nationale des ventes de l’enseigne détenue par Continental, en charge de l’activité grands comptes. Le BtoB représente la moitié du business annuel du groupe.
Cette activité a vocation à être prépondérante, avance-t-elle. L’enseigne dispose notamment d’une soixantaine de commerciaux dédiés. L’ambition est d’atteindre un niveau de service et d’accompagnement commercial à la hauteur des exigences "accrues" des gestionnaires de parc. Les accords grands comptes se caractérisent par un enjeu de qualité de service, mais aussi d’accueil et de relationnel, et enfin d’attractivité commerciale dans l’offre de produits et de prestations déployée.
Pour les réseaux, les leviers de fidélisation de cette clientèle par nature stratégique reposent avant tout sur le maillage national. Ce dernier atteint le millier de centres du côté de BestDrive grâce à son alliance avec FleetPartner. L’attention porte aussi sur la réactivité, la disponibilité des enveloppes, la rapidité et la qualité des interventions, remarque Aurélien Moinet.
Le respect des accords nationaux étant forcément un prérequis. Il s’ajoute à la facilité pour les collaborateurs de prendre un rendez-vous en ligne, et de suivre l’entretien des pneumatiques à travers une interface digitale. La mise en place des applications à l’image de CaRool du côté d’Euromaster (ou de Copilot pour Fatec), fait partie des solutions proposées. L’interface permettant aux collaborateurs de suivre l’usure de leurs enveloppes, et de prévoir leur remplacement.
En parallèle, la simplification administrative à même d’éviter les notes de frais, l’optimisation des coûts et les conseils, constituent autant d’atouts supplémentaires pour les réseaux. "Nous devons apporter le bon produit, au bon conducteur, au bon endroit", rappelle Benjamin Filippi. L’attention porte, par exemple, sur la pertinence de basculer vers un profil toutes saisons. Le suivi préventif et les échéances de remplacement font partie également des prestations attendues.
Sur le plan opérationnel, les prestations classiques de montage et de démontage, ou de géométrie, se complètent à présent des permutations. L’opération vise à optimiser l’usure des pneus entre les trains avant et arrière. Une démarche qui présentera, toutefois, des contraintes opérationnelles pour les collaborateurs.
Un marché premium tenté par le quality
D’un réseau à l’autre, la différence se fera sur la qualité des reporting, l’organisation de campagnes de sécurité à destination des collaborateurs, les visites de parc, ou bien encore la mise en place de solutions de diagnostic digitales, observe Pascal Pilleyre. Au-delà, les attentes portent à présent sur la flexibilité entourant l’offre de produit. Le responsable de Fatec de noter une poussée des marques quality. "Le dépositionnement tarifaire de 15 % à 25 % séduit des flottes régionales, ou disposant de lois de roulage spécifiques", avance-t-il.
D’autant que les manufacturiers disposent désormais de gammes de seconde ligne à même de respecter les normes d’étiquetage à l’image de Kleber (Michelin), Firestone (Bridgestone), Dunlop (Goodyear) ou Uniroyal (Continental). L’avantage de sortir le poste pneumatique des contrats des loueurs réside précisément dans cette possibilité d’opter pour du seconde ligne, justifie Pascal Pilleyre.
La "dépremiumisation" à l’œuvre auprès des particuliers comme des poids lourds gagne à présent les flottes et des loueurs, abonde Caroline Michel. Cependant, l’approche présente ses limites sur des modèles récents disposant d’un marquage constructeur en première monte. D’autant que sur ces véhicules, les dimensions orientées vers du 18 pouces et plus ne sont pas toujours disponibles en version quality. En outre, les véhicules électriques s’accompagnent d’une problématique de confort en matière de bruit et de roulement, favorable aux gammes premium.
Néanmoins, le passage aux secondes lignes est une vraie question, remarque Joël Morbe. "La tentation est forte. Mais sur des véhicules de direction ou de cadres supérieurs, le choix se porte sur le premium." "À travers une même flotte, nous adressons différentes catégories de collaborateurs, ajoute Benjamin Filippi. Un véhicule de direction s’orientera vers un mix dimensionnel supérieur et les marques premium. À l’inverse, des voitures de société pourront être équipées en tier 2."
Toujours selon le responsable, si les marques de première ligne perdent du terrain, la tendance reste moins marquée qu’auprès des particuliers. Les gestionnaires de parc raisonnant à moyen terme, ils privilégient la durée de vie des profils, estime d’ailleurs Jean-Charles Simon.
Le toutes saisons séduit les flottes
Dans les faits, si les attentes des flottes s’attardent sur l’offre produit, mais aussi la proximité géographique et commerciale des points de service, un troisième critère concerne la simplification de la gestion du parc pneumatique, résume Joël Morbe. L’attention porte, d’une part, sur les outils de suivi à travers des tableaux de bord entourant le rendement kilométrique, les tarifs, les fréquences de remplacement, le PRK (prix de revient kilo métrique)…
Et d’autre part, sur les gammes toutes saisons. "De plus en plus de gestionnaires optent pour le toutes saisons, souligne Aurélien Moinet. La stratégie évite des frais logistiques liés au stockage, ou aux permutations saisonnières. Mais elle suppose une analyse fine en fonction des secteurs géographiques, en particulier dans les zones très enneigées et d’altitude." Le taux d’équipement dépasse à présent les 30 %, avec une croissance des volumes supérieure à 10 %, avance Caroline Michel.
D’autant que l’offre des manufacturiers se révèle toujours plus étoffée. "Les entreprises ont accéléré le mouvement vers ce profil, constate Jean-Charles Simon. Le marché a augmenté de 31 % entre 2021 et 2024, en particulier au détriment des profils été." Si certains grands comptes privilégient un rééquipement en toutes saisons dès la réception des véhicules dans leur flotte, la majorité des gestionnaires de parc opte pour une approche pragmatique.
Le basculement de la monte été vers le toutes saisons s’effectuant lors du premier remplacement. Quelle que soit la stratégie, le recours à ce profil offre davantage de souplesse dans la gestion des parcs, estime le responsable. À titre d’exemple, les véhicules peuvent évoluer en Bretagne, avant d’être affectés dans un département concerné par la loi Montagne.
Au-delà des pneumatiques, le segment des flottes de TC4 ouvre la voie à l’entretien courant (vidange, freinage…) aux enseignes spécialisées. Mais si les gestionnaires de parc affichent leur volonté de sortir des réseaux constructeurs, l’essai ne s’est pas encore véritablement transformé. Reste que cette perspective promet d’alimenter encore un peu plus l’intérêt pour un secteur BtoB devenu vital pour l’ensemble de l’écosystème auto mobile.
ENCADRE (1)
"24 000 véhicules légers dont les pneus sont
mis à rude épreuve"
3 questions à… Frédéric Comte, en charge du Fleet management, centre de services partagés du parc automobile de la SNCF.
Quelle stratégie mettez-vous en place dans la gestion des pneumatiques de votre flotte ?
Nous disposons de 24 000 véhicules légers dont les pneus sont mis à rude épreuve, avec une utilisation sur des chemins en bord de voies (composés de ballast, de cailloux…), tout en devant rouler sur autoroute. Pour optimiser nos coûts, nous basculons notre flotte vers la seconde ligne sur les citadines et les petits utilitaires, excepté pour les gros rouleurs. Cette stratégie génère 20 % d’économie.
Sur quels axes complémentaires portent vos réflexions ?
L’un des leviers concerne la généralisation des pneus toutes saisons. Ce profil se révèle être le plus équilibré sur l’année, tout en étant plus simple et économique à gérer. En parallèle, nous menons des tests comparatifs pour diversifier les marques de pneus, tout en prenant en compte la réalité du terrain. Car monter du Bridgestone dans le réseau Euromaster reste délicat, tout comme privilégier du Michelin chez Vulco ! Nous comptons aussi sur notre fleeter, Fatec, pour rationaliser nos dépenses.
Quelles sont vos attentes des réseaux spécialisés ou alternatifs ?
L’attention porte sur les ateliers mobiles, ou des solutions jockey, de manière à gagner du temps pour nos agents. En parallèle, nous envisageons de compléter ces arrêts aux stands d’un état des lieux des véhicules. Car nous constatons, parfois, des défauts de pneumatiques (profil lisse, défaut d’indice de vitesse, mauvais appairage, entailles ou hernies) et des impacts sur les pare-brise. Ils justifient le recours au suivi digital à travers des applications comme CaRool ou Tchek. Notre priorité restant la sécurité.
ENCADRE (2)
"Un enjeu d’externalisation"
"Le poste pneumatique se révèle assez onéreux pour les loueurs longue durée, d’autant qu’ils ne sont pas des spécialistes du sujet", constate Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial de Wyz Group. Pour le responsable, le suivi des pneumatiques est devenu un enjeu d’externalisation. Ainsi, la solution Wyz Fleet adresse une trentaine de parcs (parmi lesquels Veolia, Suez, Sodexo, NGE…) de plus de 80 véhicules.
Elle bénéficie de tarifs négociés, d’une facturation centralisée au réel des enveloppes consommées, d’un relevé de l’usure, des conseils en fonction de la réglementation comme la loi Montagne, et de l’optimisation des enveloppes en stock. Les partenariats avec l’ensemble des réseaux assurent, également, un maillage le plus fin possible aux collaborateurs, avance Jean-Philippe Duhoux.
En parallèle, l’application digitale à destination des collaborateurs des flottes permet de gérer directement la commande des pneus en fonction des marques autorisées, du nombre d’enveloppes accordé à chaque véhicule au regard de son numéro d’immatriculation.
Elle donne aussi la possibilité de prendre rendez-vous dans le centre de montage le plus proche. Avec un autre avantage : l’application assure un diagnostic des enveloppes, à partir des photos des flancs et des bandes de roulement. "Nous constatons que les pneumatiques sont changés alors qu’il reste parfois 25 % à 30 % de gomme avant d’atteindre l’usure complète", avance le responsable.
L’inspection des pneus a pour objectif également de réduire les coûts de restitution (compris entre 600 et 1 500 euros), attendu que la règle est de disposer de profils à mi-usure. Il est à noter que le programme digital développé par Wyz sera accessible en marque blanche à partir de janvier 2026. Il se complétera d’un développement en Espagne, en Allemagne et au Benelux.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°191 de septembre-octobre 2025.