S'abonner
Marché

Quality, budget, MDD... La bataille fait rage !

Publié le 7 novembre 2024

Par Romain Baly
8 min de lecture
Dans un contexte marqué par les tensions de pouvoir d’achat et le vieillissement du parc roulant, la domination des manufacturiers premium se fragilise. L’avenir du marché de la rechange des pneumatiques s’ouvre aux marques alternatives. Les quality, les budget et les tradebrands s’apprêtent à briser le plafond de verre.
Dans les réseaux, les gammes quality et "quality -" voient la concurrence des marques "budget +" s’accentuer. ©AdobeStock

Sur le marché du pneumatique premium, le monopole des majors est bousculé par les marques quality, budget et tradebrand (ou de distribution telles que Point S, Feu Vert, Norauto). Depuis début 2024, la part de marché des premium est ainsi passée sous la barre des 50 %, à 48,84 % précisément. Sur douze mois glissants (fin mai 2023 à fin mai 2024), elles gardent toutefois un léger avantage à 50,74 %. L’érosion des gammes premium est une réalité. Elles ont perdu dix points au cours des dix dernières années, constate Régis Audugé, directeur général du Syndicat du Pneu.

Pour autant, le rapport de force tend à se stabiliser. En détails, les gammes quality représentent 20 % des ventes, autant que les familles budget. Les tradebrands s’octroient 10 % du gâteau. L’inflation des prix des enveloppes, les contraintes de pouvoir d’achat et le vieillissement du parc roulant, constituent autant de facteurs favorables aux marques alternatives. En détails, les budget ont bénéficié du contexte conjoncturel. Leurs parts de marché ont plus que doublé, passant de 8 % à 18 % en 2023.

Pépinière des néomanufacturiers, le grossiste-distributeur Dipropneu observe et participe à ce mouvement. L’opérateur accompagne les fabricants naissants à construire leur notoriété auprès des consommateurs et des professionnels. Il contribue au développement des marques et participe à la qualité des produits attendue. Une expertise bénéfique pour Nokian, Kumho ou encore Toyo et Apollo qui ont investi le marché. Certaines signatures ont fait aussi leurs débuts à travers un positionnement budget, avant de challenger les marques premium quelques années plus tard.

"Notre métier est d’aller chercher les marques de demain, comme Linglong ou Triangle", explique Axel Mazzacurati, codirigeant de Dipropneu. Le responsable constate une montée en gamme opérée depuis une dizaine d’années sur les versions budget. La tendance résulte de l’arrivée sur le marché de nouvelles marques chinoises qualitatives, à travers notamment des usines installées en Thaïlande ou au Vietnam.

En 2017, plus de 200 marques de pneumatiques étaient référencées en Chine, rappelle-t-il. L’écrémage s’est opéré par la suite, avec la mise en place d’une taxe auprès des producteurs imposant des normes environnementales dans la fabrication.

L’orientation du marché s’accélère

Si l’intérêt du marché hexagonal pour les gammes quality et budget se révèle plus marqué, il n’en demeure pas moins que de telles marques supposent une réelle implication pour les installer. "Elles ne sont pas faciles à travailler, car elles sont peu connues, souligne Axel Mazzacurati. Nous avons besoin des professionnels sur le terrain pour les développer. Nous devons mettre en place aussi des services, une approche marketing, des marges, pour convaincre l’ensemble de la chaîne de distribution de la qualité des produits."

L’approche suppose par ailleurs la création de storytelling de manière à donner confiance aux professionnels comme aux consommateurs. Car l’évolution apparaît inévitable. Sur un marché du pneumatique de remplacement évalué à 31 millions d’unités en France, les analystes s’accordent pour ajouter neuf millions d’enveloppes importées ou budget, soit plus de 20 % des ventes, indique le responsable. En Angleterre, les profils de 3e ligne représenteraient déjà 60 % de la distribution !

Au regard des tendances européennes, et de la qualité des produits, l’orientation s’accélère très vite, remarque Axel Mazzacurati. Plusieurs éléments expliquent cette nouvelle réalité. Jusqu’à présent, certains manufacturiers premium développaient des gammes (produites par exemple en Serbie) pour bloquer les importations, notamment chinoises, grâce à un positionnement agressif, rappelle-t-il. Mais aujourd’hui, ils concentrent davantage leurs investissements et leurs innovations sur les gammes premium et quality.

La stratégie a ouvert le marché aux manufacturiers chinois sur le tiers 3. Ces derniers ont étendu et élargi le nombre de références en été et toutes saisons, certains développant même des profils de grading A. D’autres marques comme Linglong sortent aussi du lot avec un prix budget tout en défendant une technologie quality, là où Toyo joue la carte de la qualité premium à un prix quality.

Le quality a la cote !

Face aux majors du segment, à savoir Kleber, Dunlop ou encore Firestone, Vredestein s’affirme comme "le" manufacturier spécialiste des gammes premium-quality. Un positionnement défendu comme une véritable stratégie industrielle, là où les manufacturiers traditionnels jouent la carte des secondes lignes davantage comme une variable ajustable en fonction des capacités de production. Le positionnement prix des marques du segment quality 15 % à 25 % moins cher que les premium, porte à présent ses fruits. Il trouve un écho favorable sur le marché français.

"Les gammes quality sont la catégorie qui progresse fortement et rapidement", analyse Yves Pouliquen, vice-président commerce de Vredestein Europe. À la différence des profils budget dont l’évolution reste liée à la conjoncture internationale et macro-économique (au regard notamment des prix des conteneurs en provenance d’Asie), les marques quality imposent aujourd’hui leurs arguments techniques autant qu’économiques. Le choix correspondrait à un achat raisonné : un juste équilibre entre prix et technicité en somme.

"Les résultats des tests pratiqués par des organismes indépendants nous placent régulièrement sur les podiums, voire à la première place, fait savoir le responsable. Nous disposons également de la gamme la plus complète du marché sur le toutes saisons avec un mix dimensionnel jusqu’au 22 pouces."

Du haut d’une histoire de 115 ans, Vredestein revendique aussi la paternité du toutes saisons avec Goodyear. "Notre ambition est de développer nos parts de marché à travers une offre premium proposée à un prix équivalent à un quality", ajoute Yves Pouliquen. Le manufacturier entend ainsi imposer progressivement sa marque grâce à une croissance à deux chiffres sur le TC4.

Pour Vredestein, qui a construit sa renommée autour des gammes hiver et désormais toutes saisons, les perspectives de croissance concernent à présent l’été. Outre une approche produit repensée autour d’un nouveau profil, le manufacturier table sur une distribution élargie à de nouveaux canaux (centres autos et concessionnaires) et l’appui des revendeurs pour relever ses ambitions. Et pour cause.

Des enjeux d’approvisionnement et de notoriété

À l’échelle du marché, les perspectives plaident en faveur des gammes quality, budget et des tradebrands. D’autant que des marques comme Triangle élargissent et étendent leur catalogue aux toutes saisons, à l’électrique, aux SUV… "Le marché devient demandeur, souligne Axel Mazzacurati. Les consommateurs dictent leurs choix. Les professionnels se rendent compte qu’ils ont besoin de ces marques."

Cultivé par Michelin, le marché français témoigne toutefois d’une certaine retenue sur le sujet, comparé à l’Angleterre ou à l’Europe de l’Est. Il faut faire connaître le rapport qualité-prix et donner confiance dans les produits, estime encore le responsable. Certains manufacturiers ont d’ailleurs déployé une stratégie marketing offensive pour s’imposer dans le paysage, jusqu’à flirter avec les marques premium grâce à une présence en première monte comme Hankook sur la Tesla Model 3, ou Vredestein avec BMW, Mercedes-Benz et le groupe Volkswagen.

Le marché bénéficie à présent de la dynamique des groupements de distribution de pièces à l’image d’Autodistribution avec Dunlop. Si les quality ne disposent pas des dernières avancées techniques, ni des profils les plus performants, ils représentent un équilibre acceptable pour les consommateurs grâce à un étiquetage B ou C en matière de résistance au roulement ou de freinage sur sol mouillé.

Dès lors, du côté des néomarques, l’accent porte sur le grading, des gammes qui répondent aux attentes du marché, une fabrication européenne, voire pour certaines comme Prinx une certification TÜV sur quelques références. La démarche contribue à la crédibilité et à la légitimité de ces nouvelles signatures. Car pour les marques de seconde et troisième ligne, le point faible repose sur la notoriété. Elle suppose des investissements en marketing à travers également une présence dans la durée sur le marché.

Les enjeux concernent par ailleurs les approvisionnements. En provenance le plus souvent d’Asie du Sud-Est, ces marques restent dépendantes des temps de transport, de la variation des coûts des conteneurs et des tensions en mer Rouge. La logistique peut faire peur au marché, reconnaît Axel Mazzacurati. Le spécialiste joue dès lors la carte du stockage de manière à apporter une certaine stabilité à la distribution.

La concurrence monte autour des tradebrands

L’ouverture du marché s’explique par des raisons économiques, abonde Lionel Haberlé, directeur marketing, communication et stratégie de Point S. La réalité se traduit dans le mix produit et le positionnement tarifaire de ces gammes alternatives qui représentent désormais une vente sur deux. "Les consommateurs regardent le prix. Ils se tournent vers les secondes lignes en étant rassurés par le fait qu’elles sont produites par des manufacturiers premium."

À la croisée des marchés, les marques de distributeur connaissent toutefois des évolutions contrastées. Du côté de Point S, la gamme siglée au nom du réseau tire son épingle du jeu. Née il y a 20 ans autour de 20 dimensions, elle en compte désormais 165 pour couvrir 80 % du parc roulant. La marque s’est diversifiée également autour de l’été, de l’hiver et du toutes saisons. Résultat, son taux de pénétration oscille entre 15 % et 20 % en Europe.

Malgré un positionnement prix légèrement supérieur aux secondes lignes, l’alternative séduit à présent le marché BtoB et les flottes. Les consommateurs adoubent un private label à partir du moment où la marque est connue, indique Lionel Haberlé. Et de souligner : "L’avantage de notre MDD (marque de distri buteur) est de s’appeler Points S ! Il s’agit d’un élément de réassurance en matière de qualité."

Les consommateurs estiment qu’une enseigne ne prendra pas le risque de dégrader son image. Le secret du succès d’une tradebrand s’inscrit aussi dans le temps. La crédibilité suppose une longévité dans le partenariat établi avec un manufacturier, et forcément la reconnaissance des distributeurs. La cohérence apparaît essentielle à l’heure où le marché gagne en concurrence. Sur le plan commercial, Norauto, Feu Vert, mais aussi les constructeurs avec Motrio (Renault) et Eurorepar (Stellantis) se sont emparés du sujet.

Des perspectives favorables

Face à la hausse dimensionnelle et à l’utilisation de SUV à transmission intégrale dont le remplacement des pneumatiques par quatre contribue à alourdir la facture finale, les acheteurs s’interrogent. "La logique du consommateur qui consiste à se tourner vers des marques alternatives aux premium, moins chères mais avec une technicité qui correspond à leurs attentes, s’est accélérée", note Yves Pouliquen.

Par ailleurs, certains majors délaissent des segments de marché, à commencer par les dimensions du 15 au 17 pouces, voire même les 13 et 14 pouces. L’espace laissé vacant constitue forcément un appel d’air pour les marques alternatives.

Du côté des distributeurs, disposer dans les linéaires d’une offre quality constitue par ailleurs, un moyen de se différencier et de se démarquer de la concurrence. Au regard des mouvements conjoncturels et structurels du marché, le responsable de Vredestein anticipe une accélération de la demande, tout en décryptant l’évolution attendue.

"Les gammes budget et les marques de distributeur répondent à un besoin avant tout basé sur le prix d’achat. Elles ne sont pas une réponse aux consommateurs qui recherchent un rapport qualité-prix à travers des tiers 2 dont l’avenir apparaît plus pérenne."

 

ENCADRE

Mark Kessen, Bridgestone EMEA."Le marché au bon rapport qualité-prix est résistant et stable"

Mark Kessen, responsable du développement de Bridgestone EMEA (Europe Middle East et Afrique) sur le marché du remplacement TC4.

 

À quels enjeux répond Firestone pour un manufacturier comme Bridgestone ?

Firestone est une marque américaine à l’origine. Elle bénéficie aujourd’hui d’une notoriété et d’une reconnaissance mondiales, avec un niveau d’affinité élevé, notamment grâce à ses activités connexes telles que le sport automobile (Indy 500) et la musique (road to the main stage et Firestone music tour).

Son intégration dans le portefeuille de Bridgestone EMEA nous permet de proposer une offre complète aux clients en Europe, tant pour le TC4 que pour le TBR (truck, bus and radial tyres). Malgré la pression exercée par les importations extracommunautaires, nous avons décidé de continuer à investir dans la marque, en lançant des produits spécifiques qui couvrent également les HRD (pneus de grandes dimensions).

Précisément, quelle stratégie mettez-vous en place ?

Nous avons commencé à intégrer la technologie Enliten, notamment dans le nouveau Firestone Roadhawk 2. Son rapport qualité-prix souligne notre engagement à servir le marché avec une qualité supérieure. Elle témoigne aussi des investissements que nous faisons dans la marque.

Pour continuer à couvrir le marché avec une gamme complète, nous avons décidé aussi de conserver des dimensions stratégiques dans le LRD (pneus de moindre taille). Quant au segment sportif, il est couvert par le Firehawk Sport lancé en 2022, en 36 tailles, de 18 à 20 pouces.

L’épicentre du marché de la rechange du pneumatique se déplace-t-il à présent vers ces gammes de tiers 2 ?

Même si le pouvoir d’achat a été mis sous pression au cours des 36 derniers mois, nous considérons que le marché tourné vers le bon rapport qualité-prix est résistant et stable. Selon nos études, le premium, tout comme le segment couvert par Firestone, continuent de croître en termes de valeur.

Pour autant, va-t-elle conduire à rebattre les cartes du marché ?

L’électrification faisant son chemin dans le parc automobile européen, nous estimons que la valeur résiduelle des véhicules augmentera dans un avenir proche. Il s’agit généralement d’un bon indicateur de la valeur des pneus montés sur le véhicule.

Compte-tenu de l’évolution des nouvelles technologies, nous pensons que la demande sur les segments premium et "mid" se maintiendra, avec une forte croissance dans le segment des 18 pouces et plus.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager : 

Sur le même sujet

cross-circle