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Marché

Après-vente : les réseaux constructeurs mettent la gomme !

Publié le 18 décembre 2024

Par Romain Baly
10 min de lecture
À travers les concessionnaires et les agents de marque, les constructeurs tentent de monter en puissance sur le marché de la rechange des pneumatiques. Leur approche repensée autour de gammes élargies et de services ajustés fait écho aux nouveaux enjeux attendus avec les voitures électriques.
L’évolution de l’après-vente conduit les concessionnaires et les agents de marque à faire du pneumatique un produit d’appel et un levier de fidélisation. ©Ford

Les douze mille concessionnaires et agents de marque répartis sur le territoire français détiennent un tiers des ventes de pneumatiques, à parts égales avec les pneumaticiens et les centres autos. Un poids qui s’explique par l’importance des réseaux après-vente des groupes Stellantis et Renault, associés aux MRA affiliés (comme Motrio et Eurorepar). Mais pas seulement. Au quotidien, le pneumatique fait partie en effet des premiers motifs d’entrée en ateliers, ex aequo avec les révisions, expose Valentin Duchez, responsable de Motorcraft France. Il est impliqué dans 25 % des prestations.

Vecteur de trafic, les enveloppes représentent près de 10 % des ventes de pièces et d’accessoires au sein des réseaux de la Ford Motor Company. La tendance se retrouve du côté du groupe Volkswagen. "Le pneumatique pèse 8 % de notre chiffre d’affaires pièces", indique Romain Fournery, chef de produit pneumatique de Volkswagen Group France. Une part là aussi "significative" qui progresse depuis quatre ans avec l’arrivée des véhicules électriques.

L’électrification des gammes favorise un mix dimensionnel supérieur, observe le responsable. Il s’ajoute à une hausse du prix moyen des enveloppes. Les tarifs hors taxes progressant de 30 % sur les gammes premium ces dernières années, en raison de la hausse des cours des matières premières et de l’énergie. Indépendamment des effets conjoncturels, l’influence des pneumatiques est promise à s’accélérer dans les réseaux constructeurs.

Au sein des trente-six plaques de distribution des pièces de rechange Distrigo affiliées au groupe Stellantis, ils totalisent déjà 20 % du chiffre d’affaires. La croissance de près de 8 % constatée cette année bénéficie du stockage de la marque Kleber sur le site central de Vesoul (70).

Si les réseaux constructeurs semblent aujourd’hui plus offensifs sur le segment, Romain Petibon, responsable de la franchise Motorcraft et des relations fournisseurs, rappelle que le sujet a toujours été stratégique. "Le marché voit les pneumatiques prendre plus d’importance, reconnaît-il. Nous les mettons en avant avec les concessionnaires et le réseau secondaire."

Le maillon faible des ateliers

En détail, les distributeurs automobiles se distinguent par leurs ventes extérieures auprès des agents de marque et des MRA. Cependant, un effort resterait à réaliser dans les ateliers, selon Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial Europe de Wyz Group. D’autant que le sujet s’annonce stratégique avec les véhicules électrifiés. Le pneumatique est appelé à devenir la première raison d’entrée en atelier. L’activité concerne aussi le VO, le reconditionnement, les contrats d’entretien, mais aussi les flottes.

Si l’engagement est là, l’offre des concessionnaires n’apparaît pas suffisamment représentative du marché, estime-t-il. Un marché qui se joue pour moitié sur les gammes quality et budget. "Les concessionnaires se concentrent principalement sur les marques premium au regard des véhicules de moins de cinq ans présents dans leurs ateliers. Leur crainte est de voir le mix premium diminuer. Or, élargir les gammes permet d’adresser d’autres clients", remarque-t-il encore.

Des pneumatiques qui constituent un levier de business, mais aussi un enjeu de rétention dans les réseaux. Les clients sont fidèles les quatre premières années de la vie du véhicule, une période au cours de laquelle un premier remplacement de pneus est souvent effectué, observe Romain Fournery. Par la suite, le véhicule vieillit et la clientèle tend à se tourner vers les réseaux alternatifs.

Les conseillers service peuvent effectuer une proposition tarifaire dès la réception du véhicule.

Les conseillers service peuvent effectuer une proposition tarifaire dès la réception du véhicule.

Le constat mobilise les constructeurs à travers les contrats d’entretien ou d’extension de garantie. Car le pneumatique fait partie des axes recelant un potentiel d’amélioration. "Notre objectif est d’atteindre la tendance du marché en matière de KPI. Tous réseaux confondus, sur mille entrées en atelier, quatre-vingts concernent le pneumatique", rappelle le responsable.

Le financement en LOA (location avec option d’achat) présente également l’avantage de favoriser une seconde vie du véhicule sous un label d’occasion de marque. Le deuxième remplacement des enveloppes pourra être effectué lors du remarketing du véhicule.

Le marquage donne des ailes aux concessionnaires

"Nous maintenons la pression pour inciter nos partenaires à se concentrer sur le sujet", souligne Fabien Bouré, chef du service produit et pricing PRA (pièces de rechange automobile) de Volkswagen Group France. Attendu que le pneumatique n’est pas un produit de marge, mais d’appel. Il génère de la vente additionnelle sur le freinage, par exemple, ou les pièces de suspension et de direction. "Nous animons notre réseau dans cette perspective."

Le pneumatique prend d’ailleurs une part croissante dans la politique de rémunération des concessionnaires sur la partie après-vente. L’accent porte aussi sur le service via les solutions de gardiennage déployées dans les zones blanches. Elles facilitent le montage des profils hiver, et permettent de fidéliser les clients après la vente. La garantie des pneumatiques est aussi mise en avant. Du côté de Volkswagen, elle couvre pendant trois ans les enveloppes en cas de crevaison, de hernie ou de vandalisme.

L’argument permet de "contrebalancer" la différence de prix facial constatée entre les réseaux du constructeur et les fast-fitters ou les pneumaticiens. "Nous veillons également à ce que les distributeurs suivent les nouvelles tendances du segment, en particulier autour du quatre saisons, ajoute Romain Fournery. Nous disposons des curseurs pour les orienter vers cette typologie de produits qui représente 20 % de nos ventes."

D’autant que le profil équipe désormais, en première monte ou en option, certains modèles tels que l’Audi Q4 e-tron ou la nouvelle Volkswagen Passat. "Nous restons des généralistes de l’après-vente, poursuit-il. Pour autant, nos partenaires doivent prendre le pli face aux réseaux spécialisés à travers l’écoute et le conseil. Nous nous repositionnons face à une concurrence agressive".

Des constructeurs qui disposent désormais d’un avantage "redoutable" sur le marché de la rechange des pneumatiques avec le marquage. Il s’affiche sur les flancs R01 pour Audi, * de BMW, MO du côté de Mercedes, J comme Jaguar ou encore N signé Porsche. Un sigle distinctif qui représente un levier de rétention, souligne Fabien Bouré. Le client, dont le véhicule en est équipé, aura tendance à s’orienter vers ce type d’enveloppes lors d’un remplacement.

Les groupes de distribution à la manœuvre

Résultat, les concessionnaires montent en puissance sur le marché de la rechange des pneumatiques. La démarche se traduit par une progression de leurs parts de marché, toutes marques confondues. Elle est passée de 19 % à 21 % entre 2018 et 2021 (source Gipa). "Certains partenaires comprennent qu’ils ont tout à gagner en développant et en optimisant cette activité", avance Romain Fournery Des groupes comme Emil Frey, GCA ou Bernard prennent l’initiative. L’objectif est de compléter les offres des manufacturiers de manière à couvrir l’ensemble des besoins.

À l’image des négociants-spécialistes et des pneumaticiens, les concessionnaires n’hésitent plus à référencer des marques alternatives comme Road King ou Falken, et à se tourner vers les gammes quality et budget. Les distributeurs s’équipent aussi en plaques au sol (telles que T-Scan) pour diagnostiquer l’état des pneumatiques à chaque entrée en atelier. D’autres misent sur l’application CaRool de manière à identifier le profil monté à l’origine, et à mesurer les profondeurs des rainures.

Sensibilisés par la tête de réseau, les professionnels de la marque Ford prennent conscience d’un marché compétitif et stratégique. Malgré la concurrence des spécialistes, la vente de pneus dans le réseau reste stable, observe Valentin Duchez.

Pour conserver et développer leurs parts de marché, les concessionnaires et les agents relaient l’ensemble des offres commerciales des manufacturiers. La démarche permet de gagner en compétitivité. Elle favorise un dépositionnement tarifaire par rapport au marché et renforce la visibilité du réseau.

La politique commerciale appliquée par une majorité de distributeurs Ford repose également sur l’alignement avec les devis des centres autos. "Les concessionnaires savent s’adapter. Ils ont compris que le marché est hyperconcurrencé", souligne le responsable.

Entre gammes premium et private labels

Sur le plan macroéconomique, l’appétence des distributeurs automobiles semble plus forte pour les marques de première ligne. Michelin, Goodyear, Continental, Pirelli et Bridgestone trustent ainsi les ventes, là où les agents de marque jouent la carte des marques B comme Kleber pour répondre aux attentes des consommateurs en quête d’un rapport qualité-prix étudié.

Au sein des plaques Distrigo, les gammes quality des manufacturiers sont celles qui progressent le plus, note Christophe Gloux, à la direction du commerce pièces et services France de Stellantis. Aux côtés des principaux fabricants, le groupe se distingue en particulier par sa marque Eurorepar. Véritable fer de lance de sa stratégie sur le segment, la signature a fait son chemin dans le réseau. Sa notoriété gagne également les réparateurs indépendants. Elle tire à présent sa dynamique de ses gammes toutes saisons. La marque se classe d’ailleurs à la seconde place des ventes de pneumatiques du constructeur, derrière le duo Michelin-Kleber.

À l’image de Motrio et d’Eurorepar, les constructeurs misent sur leur propre marque d’enveloppes. ©Motrio

À l’image de Motrio et d’Eurorepar, les constructeurs misent sur leur propre marque d’enveloppes. ©Motrio

Car si le premier remplacement joue en faveur des marques premium, le pneumatique représente par la suite la première source d’infidélité des clients. Face à cette réalité et aux contraintes de pouvoir d’achat, les réseaux s’organisent. La "reprise en main" du groupe Stellantis se traduit par les gammes quality et reliance (de la marque Eurorepar), mais aussi des 3e ligne. "Par le passé, nous n’avions pas cette largeur de gamme, ni la même agressivité commerciale", reconnaît le responsable.

La stratégie n’est pas sans rappeler celle de Renault à travers Motrio. L’enseigne de réparation multimarque du losange a renouvelé ses gammes été, hiver et toutes saisons en vue d’affirmer ses ambitions. "Il est important de valoriser notre expertise", soulignait Thierry Wintzenrieth, directeur général du développement de Motrio et de l’IAM au sein du groupe Renault, interrogé dans le cadre du salon Equip Auto de Lyon l’an dernier. Dans un contexte économique tendu, le positionnement qualité-prix de la marque reste un atout. "Notre gamme est plus typée deuxième que troisième ligne. Elle rassure le client et, en même temps, le marché pousse vers cela."

L’appui des manufacturiers

Sur le plan commercial, l’offensive des constructeurs se traduit dans le même temps par des actions de communication visibles sur les devantures des concessions, mais aussi à travers des actions de marketing locales relayées via les réseaux sociaux.

-60 % sur le 2e pneu acheté, le montage à un euro, ou encore l’assistance offerte en sont quelques exemples. "Nous encourageons les distributeurs et les agents à mener des actions sur les offres pneumatiques, expose Christophe Gloux. Le premier levier de développement est de communiquer de manière massive sur le pneumatique à travers des prix d’appel, sans négliger la qualité."

"L’enjeu est de faire savoir aux clients des concessions comme des réseaux secondaires que nous faisons du pneumatique", abonde Romain Petibon. Une opération pneumatique est ainsi organisée chaque année dans le réseau Ford. La loi Montagne offrant une autre occasion supplémentaire de mettre en avant le sujet. L’approche repose sur un travail étroit avec les manufacturiers.

Les concessionnaires placent désormais le pneumatique au cœur de leurs actions commerciales.

Les concessionnaires placent désormais le pneumatique au cœur de leurs actions commerciales.

La démarche s’avère nécessaire pour connaître les produits. Elle fait appel à l’expertise technique des fabricants et à leur force de vente. "L’apport humain en concessions est indispensable pour être présent sur le segment et gagner des parts de marché. La formation et l’animation des forces de vente restent primordiales", avance Valentin Duchez. Car les pneumatiques demeurent une pièce technique. Les équipes de Michelin visitent ainsi l’ensemble des réseaux constructeurs.

"Notre mission est d’accompagner nos clients en les conseillant sur les évolutions réglementaires comme la loi Montagne", souligne Jean-Charles Simon, directeur commercial France et Benelux de Michelin. D’autant que le marché des pneumatiques s’est complexifié avec l’augmentation des références, mais aussi une multiplication des gammes été, hiver, toutes saisons, et les marquages constructeurs.

Un futur enjeu stratégique

La réception des véhicules occupe dès lors une place déterminante dans le développement des ventes. Les pneumatiques font partie des points de contrôle de manière à conseiller et à renseigner les clients au regard de l’usure des enveloppes.

Du côté de Ford, les réceptionnaires bénéficient d’un outil de commande et d’aide à la vente via l’interface Motorcraft Pneus. Le logiciel donne un accès au prix public, au tarif de revente, à la visibilité des stocks des concessionnaires et des manufacturiers. Le pneumatique a toujours été intégré dans les process de réception active, souligne Romain Petibon. Des contrôles qui se digitalisent à présent, à travers les programmes Video Check.

Dans les réseaux constructeurs, le pneumatique est appelé à devenir toujours plus essentiel. "Nous avons mis l’accent sur le stockage, les largeurs de gammes et le choix des marques avec Eurorepar, de manière à optimiser le budget des automobilistes et à nous positionner comme un acteur connu et reconnu du pneumatique", avance Christophe Gloux.

L’attention porte également sur de nouveaux relais de croissance autour des flottes dont le poste pneumatique est le plus souvent sorti des contrats d’entretien, mais aussi des véhicules utilitaires. "Le pneumatique sera l’un des rares marchés à ne pas être remis en cause par l’électrique en raison de l’usure des enveloppes accentuée par le poids des BEV et leur couple", remarque Romain Fournery. Pour les concessionnaires, il permettra de garder le lien avec les clients et de l’élargir vers une nouvelle typologie de services.

 

ENCADRE

"Le potentiel des pneus reste sous-exploité en concessions !"

Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial Europe de Wyz Group. ©BrunoCohen

Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial Europe de Wyz Group. ©BrunoCohen

Quelle analyse faites-vous de l’approche des concessionnaires en matière de pneumatique ?

Le potentiel reste sous exploité. Les freins s’expliquent avant tout par le nombre encore important de modèles thermiques dans les réceptions ateliers. Les programmes d’animation à l’après-vente se révèlent aussi denses. Les réceptionnaires doivent vérifier le véhicule à son arrivée. Mais entre les lubrifiants, la carrosserie ou le vitrage, le pneumatique n’est généralement pas une priorité. Son diagnostic demande en effet du temps. Il suppose de mesurer le taux d’usure, de relever les dimensions, la marque, avant de proposer un devis et de vérifier les stocks. Tout en sachant que le pneumatique doit être vendu tout de suite. Car, dans le cas d’un chiffrage envoyé ultérieurement par mail, le client comparera les offres sur Internet.

Comment peuvent-ils changer la donne ?

Le pneu en concession ne peut se vendre que s’il est proposé et disponible lorsque le véhicule est à l’atelier. Cela suppose de digitaliser et d’automatiser à 100 % le parcours client. Des solutions innovantes comme par exemple ProovStation (via TireStation, ndlr) seront rentables à partir de vingt entrées en atelier par jour. L’application CaRool sera requise pour un seuil inférieur. Les outils permettent de diagnostiquer l’état des enveloppes et de définir si elles doivent être changées. Si ce n’est pas le cas, la démarche permettra de capter un lead et de relancer le client plus tard. Pour autant, il faut aller plus loin à travers des solutions complètes, interfacées aux logiciels du concessionnaire en matière de devis et de suivi des stocks. L’enjeu est de permettre aux conseillers clients de proposer une offre en trois minutes, à l’instant T.

Fort de ce constat, quelle stratégie mettez-vous en place auprès des distributeurs automobiles ?

L’accompagnement des concessionnaires est au cœur de notre projet. Nous voulons développer nos services. D’une part, via un nouveau portail Wyz Tyre box en 2025, d’autre part, en enrichissant nos solutions proposées avec Wyz Tyre check. L’objectif est de permettre aux réceptionnaires de diagnostiquer les pneus, d’éditer un devis et de vérifier la disponibilité des stocks. Enfin, notre outil de gestion Wyz Fleet pourra être proposé en marque blanche aux concessionnaires. Ils disposeront dès lors de tous les moyens pour réussir !

 

Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°187 de novembre-décembre 2024.

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