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Marché

L’appel de l’hiver mobilise les réseaux

Publié le 1 novembre 2023

Par Romain Baly
9 min de lecture
Arbitrée par le profil toutes saisons et orientée par la loi Montagne, l’activité hivernale se concentre à présent dans les zones blanches. Du côté des réseaux, la disponibilité des gammes et les services de montage associés supposent une organisation robuste et anticipée.
Entre 2019 et 2022, le marché hiver a perdu plus de 20 % de volumes en France.

La dynamique du marché de l’hiver reste intimement liée aux conditions météorologiques rencontrées. L’absence de froid marqué et de chute de neige contrarie forcément les ventes, comme lors de la dernière campagne hivernale. Le segment des profils 3PMSF connaît des évolutions contrastées, analyse Marc Schachinger, responsable activité utilisateur de First Stop/Côté Route. Décorrélé de la crise sanitaire et des effets saisonniers, entre 2019 et 2022, le marché hiver a perdu plus de 20 % de volumes. La tendance apparaît "significative", mais elle demeure cyclique.

Surtout, elle diffère selon les secteurs géographiques. Le marché de l’hiver se focalise sur les zones blanches, en particulier les Hautes-Alpes, les départements pyrénéens, l’Isère, la Haute-Loire, la Savoie, la Haute-Savoie, le Jura ou le Massif central. Dans ces départements, le risque de neige est avéré. Il conduit les automobilistes à s’équiper, observe le responsable.

À l’inverse, la situation se complique dans les zones grises avec des hivers qui deviennent humides. Les conducteurs attendent alors la dernière minute pour s’équiper… ou basculent en pneus toutes saisons.

Sur ces secteurs, la progression de ce segment se révèle indéniable. Elle résulte de la loi Montagne qui se veut structurante et sécurisante. De là à déduire que le terrain de jeu de l’hiver se réduit… "Les zones blanches restent fidèles au modèle été-hiver", remarque Stéphanie Decompois, directrice marketing d’Euromaster France, à l’aube d’une nouvelle campagne hivernale.

Des tendances "claires et nettes"

Si l’heure n’est donc pas au "désamour de l’hiver", le décrochage du marché observé au cours de la dernière saison cache plusieurs tendances "claires et nettes", selon Pierre Hamard, directeur commercial et marketing de BestDrive France. Dans les secteurs montagneux, le profil hiver répond avant tout à la nécessité de garantir les déplacements et la sécurité des trajets. Pour autant, il est aujourd’hui concurrencé par les gammes toutes saisons.

Leurs qualités en conditions hivernales sont conformes aux standards de la loi Montagne, tout en évitant les permutations. "Nous sommes convaincus qu’elles vont continuer à grappiller des parts de marché. L’espace est là, même si la force des habitudes des utilisateurs, l’expérience et la crainte d’être empêché dans ses déplacements favorisent les profils hiver."

 

Les pneus hiver restent l’apanage des zones blanches, quand le toutes saisons prend l’ascendant dans les autres régions. ©Michelin

 

Un second phénomène repose sur l’essor des marques exclusives. La stratégie concerne les gammes toutes saisons comme hiver. Des marques propres à l’image des réseaux BestDrive et Point S, qui séduisent les consommateurs par leur rapport qualité-prix. La marque de distributeur (MDD) pèse 10 % des ventes hiver de l’enseigne adossée à Continental. À l’image des enveloppes été, le contexte économique actuel, marqué par l’inflation et un pouvoir d’achat contraint, plaide en faveur d’une alternative dépositionnée, observe le responsable.

Si les marques de seconde ligne prennent leur place sur le marché de l’hiver, en revanche le segment résiste à la pression des 3e lignes. Force est de constater que l’appétence des automobilistes les plus aguerris des zones blanches reste orientée vers les premières lignes. L’intérêt est soutenu par le développement des véhicules électriques, dont le poids et la valeur résiduelle incitent les conducteurs à s’équiper dans les règles de l’art.

Enfin, le facteur météo continue d’arbitrer les ventes. Sur fond de réchauffement climatique, le marché de l’hiver voit son potentiel commercial se concentrer davantage chaque année sur les zones blanches, jusqu’à flirter avec une part incompressible. "Le marché enregistre des hauts et des bas. Un coup de froid suffit à relancer les ventes", tempère néanmoins Pierre Hamard.

Une période stratégique pour les réseaux

Au cœur des réseaux, la saison hivernale répond à des enjeux d’organisation et de logistique. Car la période se révèle stratégique en termes de chiffre d’affaires. Le segment hiver présente l’avantage de travailler sur la valeur ajoutée haute du pneumatique en matière de qualité et de performances. "Ses bénéficies et sa légitimité sont étayés et mesurés, nous indique encore le responsable. Ils visent à répondre aux besoins des consommateurs, là où l’été priorise la recherche du rapport qualité-prix." À titre indicatif, le marché de l’hiver pèse en moyenne 15 % des ventes de BestDrive. Du côté du réseau First Stop, l’activité hivernale concerne 15 % des centres, et jusqu’à 35 % en associant les zones grises.

Incontournable dans l’activité des pneumaticiens malgré les tensions constatées également par Cécile Vasquez, directrice des achats de Point S, le segment semble répondre à ses propres règles. Dans les zones blanches, la technicité prime sur l’argument purement commercial. La majorité des ventes concerne les marques premium. Michelin, Nokian, Hankook et Vredestein trustent les linéaires. Si l’annonce de l’arrêt de l’approvisionnement de Nokian Tyres a créé "un choc" dans les zones blanches l’hiver dernier, les réseaux se sont tournés vers d’autres marques pour compenser l’absence du manufacturier, qui aura finalement livré en partie les centres. Le scénario catastrophe agité par certains industriels semblerait avoir bénéficié notamment à Vredestein et Hankook.

 

Les aléas conjoncturels, structurels et climatiques imposent de trouver un nouvel équilibre entre les manufacturiers, les distributeurs et les revendeurs-installateurs. ©AdobeStock

 

Pour Marc Schachinger, le pneu hiver représente un marché à part entière appelé à perdurer, même s’il pourrait être plus confidentiel à l’avenir. "Dans les régions blanches, il sera toujours nécessaire." Certains manufacturiers (Bridgestone ou Michelin) proposent même des gammes "ice" réservées à des conditions hivernales extrêmes. Les profils toutes saisons font aussi des déçus, poursuit-il. À l’usage, le pneu peut se révéler bruyant et présenter des usures moins maîtrisables qu’une enveloppe été.

Au-delà des volumes de ventes, les pneumatiques hiver s’accompagnent également de prestations de service : elles concernent les permutations été/hiver, le gardiennage. Elles alimentent la fréquentation des réseaux et deviennent un levier de satisfaction. Ce passage tous les six mois en atelier permet par ailleurs de contrôler le véhicule. Il favorise son entretien et améliore sa sécurité. L’enjeu du marché reste stratégique en matière de service client et de fidélisation, rappelle-t-il.

L’enjeu des stocks

Fortement présent dans les zones blanches, Point S mise sur la puissance de l’implantation de ses centres et le service pour tirer parti de la période. Malgré tout, la dernière saison reste décevante et a généré un reliquat de stocks élevé, admet Cécile Vasquez. Au sortir de la saison, l’enjeu est de libérer les racks et de fluidifier la gestion des retours avec les manufacturiers afin de ne pas grever la période estivale. Des stocks résiduels qui limitent les commandes des négociants-spécialistes auprès des manufacturiers. Cette année, la baisse oscille entre 10 % et 15 %. Les zones blanches ne tergiversent pas davantage : "S’il neige, nous devons être au rendez-vous", prévient Marc Schachinger.

En revanche, le casse-tête des prévisions réalisées trois mois avant l’automne concerne les régions grises. Dans ces secteurs, la ventilation des commandes entre les profils 3PMSF du toutes saisons et les enveloppes hiver devient plus délicate, reconnaît-il. La tendance a conduit l’enseigne à réduire "un peu" les commandes des profils hiver (échéance au 30 juin pour des premières livraisons au 15 septembre). Pour les négociants-spécialistes, la problématique est de disposer du juste niveau de stocks, sous peine d’immobiliser les trésoreries.

En ce sens, le réseau First Stop mise sur l’appui de Culture Pneus. Le grossiste du groupe a neuf plateformes assurant des livraisons en 4h. Et en cas d’épisode neigeux prononcé, la logique d’approvisionnement à l’échelle européenne devrait permettre de répondre à la demande des centres. Le critère de la disponibilité prenant alors le pas sur le tarif. "Nous devons prendre un risque calculé, car ni les manufacturiers ni les consommateurs ne souhaitent l’assurer", remarque son responsable.

 

Le marché de l’hiver voit la saison se décaler pour atteindre son pic en novembre-décembre, à l’approche des vacances scolaires.

 

L’attention porte, par ailleurs, sur la hausse des barèmes des pneumatiques. Certains industriels font évoluer leurs pratiques de manière à garantir la valeur des stocks sur une période donnée, note Cécile Vasquez. Malgré ces incertitudes, "les manufacturiers demandent aux professionnels d’anticiper et de s’engager !". Si les approvisionnements se basent sur l’historique des ventes, les performances commerciales de l’année précédente se doublent d’une analyse du marché sur le long terme. À titre d’exemple, le soufflé de la loi Montagne est retombé. "Nous prenons également en compte le comportement des flottes des professionnels qui pourraient être tentés de basculer vers le toutes saisons", indique Stéphanie Decompois.

Des facteurs qui changent la donne sur un marché jusque-là stable. Du côté d’Euromaster, les services marketing, des achats et la direction des grands comptes mettent en commun leur expertise de manière à apporter une vision complète. L’exercice se veut sécurisé et maîtrisé. Il fait appel à des paramètre prédéfinis, des organisations rodées. "Nous étayons nos hypothèses, mais cela reste des hypothèses… admet sa responsable. La saison hivernale n’est jamais un exercice routinier. Aucun hiver ne se ressemble."

L’hiver au printemps

L’anticipation reste le maître mot. Et pour cause. "Cette période est importante, nous ne pouvons pas la manquer. Il faut être prêt", confirme encore Stéphanie Decompois. À l’heure des chutes de neige qui peuvent être aussi précoces qu’inattendues, seuls les centres qui disposent des stocks tireront parti de la saison hivernale. "L’objectif est de ne pas être pris au dépourvu grâce à un stock suffisant, afin de pouvoir apporter un service à nos clients."

Dans les réseaux, les équipes se mobilisent dès le printemps. Sur le plan opérationnel, les adhérents d’Euromaster accèdent à la plateforme logistique du groupe pour sécuriser leurs approvisionnements. "Nous effectuons les commandes en prenant en compte leurs besoins. Nous portons les stocks pour notre réseau." La démarche présente l’avantage de soulager la trésorerie des centres, tout en assurant la disponibilité des gammes.

Dans les zones blanches, les professionnels continuent de préparer avec assiduité chaque saison, souligne Cécile Vasquez. "Nous avons pris le parti de préparer les campagnes le plus en amont possible, de manière à donner de la visibilité aux fabricants." Le book hiver de l’enseigne est paru dès la mi-mai pour commander les pneumatiques et les accessoires comme les chaînes à neige, jusqu’à la fin juin.

Malgré les prévisions, l’équilibre se révèle toujours délicat. "Nos adhérents ont une capacité à stocker, pour autant nous ne souhaitons pas entrer dans une course aux stocks morts." Des professionnels qui disposent du choix des marques, même si l’enseigne oriente les achats en fonction des campagnes commerciales prévues. À l’heure du rétroplanning, l’anticipation laisse place à l’adaptation du côté de BestDrive. "Nous sommes dans la situation d’être réactifs en cas de nécessité, en sollicitant nos partenaires manufacturiers et grossistes, explique Pierre Hamard. Nos stocks sont plus faibles qu’auparavant, car les solutions de livraison sont plus rapides aussi, avec des approvisionnements qui se font à l’échelle européenne."

Climato-dépendants, les réseaux tablent sur la réactivité et l’expérience des équipes en place. "La préparation et l’agilité orientent la formation de nos techniciens, souligne le responsable. Nous travaillons énormément ces sujets." Car l’hiver finit toujours par arriver !

 

ENCADRE

"La saison hivernale demeure une loterie !"

Romain Leguillier, gérant de Meythet Pneus à Annecy (Haute-Savoie), adhérent et membre du comité de direction de l’enseigne Profil Plus.

La baisse des ventes des profils hiver (de 24,7 % l’an dernier, pour 3,5 millions d’unités vendues) est-elle inexorable ?

Le facteur climatique joue un rôle prépondérant sur le segment. Pour autant, dans les zones blanches, la clientèle locale résidant au-dessus de 800 mètres d’altitude reste confrontée au froid. La donnée géographique limite le repli du marché sur ces secteurs. Sur le plan réglementaire, la loi Montagne n’a pas eu l’effet escompté, faute de sanction. Dans les régions blanches marquées par une activité économique dépendante des sports d’hiver, les forces de l’ordre ne sont pas enclines à verbaliser les touristes.

Quelle analyse faites-vous du segment ?

Sur le plan commercial, le marché du pneu hiver se compose de deux typologies de clients. D’une part les habitués qui s’équipent, d’autre part les automobilistes indécis. Quant à la croissance du toutes saisons, elle semble concerner davantage les régions hors zones blanches. À l’échelle du marché, il truste près de 30 % des ventes, mais il totalise seulement 9 % des volumes dans les secteurs montagneux. Dans les régions blanches, les consommateurs connaissent les caractéristiques d’un pneu hiver. Ce n’est pas un pneu neige ! Il s’agit d’un profil adapté pour le froid, efficace dès que les températures sont inférieures à 7 °C.

Quelle place occupe la saison hivernale dans votre activité ?

50 % de notre activité annuelle se réalise en deux mois ! Nous ne pouvons pas nous tromper, ni prendre le risque de manquer des ventes en cas de grand froid. Le droit à l’erreur n’est pas permis. Nous n’avons pas d’autre choix que de commander et d’implanter les gammes hiver. Les entrées en atelier bondissent de 15 à 45 voitures par jour pendant l’automne ! Sous l’effet de la loi Montagne, l’activité s’est reportée vers les mois d’octobre et de novembre. Au 15 décembre, la messe est dite, sauf une vague de froid en janvier qui inciterait les retardataires à s’équiper.

Quels arbitrages opérez-vous dans vos achats ?

Nous privilégions des indices de vitesse et de charge génériques, de manière à éviter la multiplication des références. La simplification concerne aussi la réduction du nombre de marques distribuées. Les profils hiver présentent notamment la particularité de ne pas intégrer de marquage d’homologation des constructeurs [comme MO du côté de Mercedes, ou l’étoile pour BMW, ndlr]. À l’avenir, aux côtés de Michelin, un seul manufacturier pourrait être présent dans nos linéaires. La tendance est appelée à s’amplifier. Il s’agit d’une question de valeur des stocks et de place à l’heure de la complexité dimensionnelle.

 

Ce dossier est extrait du Journal du Pneumatique n°181 de septembre-octobre 2023.

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