Minoritaire mais stratégique, le pneu hiver est bien à sa place

En cette rentrée 2025, la saison hivernale du pneumatique est déjà bien entamée. Selon un "jeu" connu de tous les professionnels du secteur, les saisons se croisent et les ventes de pneus hiver se préparent dès les beaux jours. Bien en place sur le plan des stocks comme des prévisions, distributeurs et pneumaticiens n’attendent dès lors que deux choses : que le climat se dégrade et que les automobilistes pensent à eux pour changer ou permuter leurs enveloppes.
Car en dépit de l’évolution de l’industrie automobile comme de celle du pneumatique, le pneu hiver reste un élément incontournable du monde de l’après-vente. Et cela n’avait rien d’évident dix ans en arrière. Lorsqu’en 2015 Michelin lançait le CrossClimate, son premier toutes saisons présenté à l’époque comme un pneu été optimisé pour l’hiver, de nombreux observateurs prédisaient la fin de ce segment.
Mais le temps a fait son œuvre, et le marché a trouvé son nouvel équilibre autour non plus de deux mais bien de trois propositions de valeur. "Sur ce point, le fait est que nous nous sommes tous trompés ! reconnaît Véronique Giraud, directrice générale de Continental Tires France. L’impact du toutes saisons s’est avéré bien plus important sur l’été que sur l’hiver." Ces deux segments ont appris à jongler avec un concurrent aux nombreux atouts.
Inégalable sur son terrain
En France, le fait est que, sur la dernière décennie, le toutes saisons a effectivement avancé façon bulldozer, multipliant année après année les croissances à deux chiffres pour représenter aujourd’hui 39 % des ventes. Pendant ce temps, l’hiver a de son côté perdu de sa superbe, c’est un fait, sa part de marché s’étant rétractée de 15 à 10 %, tout en ayant réussi à se stabiliser plus récemment.
"En France et en Europe du Sud, après une baisse des volumes observée entre 2015 et 2020, la part du segment pneus hiver tend vers un niveau incompressible depuis environ 3-4 ans", confirme Véronique Giraud. Directeur marketing France et Benelux B2B/B2C de Michelin, Alexandre Gasc évalue quant à lui à "environ 20 % des ventes de pneus tourisme" la part de ce segment à l’échelle européenne.
En réalité, c’est bien l’été qui a le plus pâti de cette évolution. Alors que ce segment représentait plus de 82 % des ventes en 2015, il ne pèse désormais plus que 53 % des volumes. Une évolution finalement logique.
"Je crois qu’un utilisateur de pneus été a plus de raisons de se laisser convaincre par un toutes saisons qu’un utilisateur de pneus hiver, indiquait en début d'année dans nos colonnes Alejandro Recasens, directeur général de l’Europe de l’Ouest de Pirelli. Le point fondamental, c’est la sécurité. Or, même si ces produits progressent, ils n’égaleront jamais ce que peut proposer un pneu hiver en hiver. En résumé, la force du produit le met à l’abri d’une éventuelle cannibalisation."
Un pilier stratégique
En réalité, si le segment de l’hiver s’est contracté depuis dix ans, il est aussi devenu un marché hyper spécialisé, tout autant sur le plan technologique que sur celui de l’utilisation. Les habitants des massifs montagneux comme les grands rouleurs (que ce soit en VP ou en VUL) évoluant ou ne faisant que transiter par ces régions sont restés fidèles à cette technologie, trop conscients de ses atouts sur le plan de la sécurité comme des performances globales.
Responsable trade marketing France et Benelux de Bridgestone, Stéphane Bilot note qu’"en France, l’instauration de la loi Montagne II a renforcé l’obligation d’équipement en pneus 3PMSF". Cela a eu pour effet, dans l’Hexagone comme dans une grande partie de l’Europe de l’Ouest (Benelux, Royaume-Uni), de booster les ventes de toutes saisons. Cependant, "le segment des pneus hiver reste un pilier stratégique" avec un poids important "notamment sur les grandes dimensions équipant les véhicules haut de gamme et les flottes, où la performance et la sécurité hivernale sont des priorités pour les conducteurs".
Dans ce contexte, les principaux manufacturiers n’ont eu de cesse de travailler et retravailler leur copie pour offrir aux utilisateurs des produits toujours plus performants. "Le marché des pneus hiver est l’un des plus complexes, car la recherche en matière de technologie doit progresser plus fortement que sur les autres types de pneus pour offrir les plus hauts standards de qualité et de sécurité", souligne Judith Sautereau, responsable de la communication Europe du Sud de Goodyear.
Plus complexe et plus cher
Plus complexe, mais aussi plus rémunérateur. Car s’il reste minoritaire en volumes, l’hiver demeure un segment à forte marge de valeur. Selon les relevés du Syndicat du Pneu et de GfK, un pneu hiver coûtait en moyenne, en 2024, 135 euros TTC dans l’Hexagone. Soit 33 euros de plus qu’un été ou qu’un toutes saisons. Un surcoût justifié par la palette technologique utilisée pour mettre au point ces enveloppes.
"Les progrès réalisés dans le domaine des composés de gomme et de la conception des pneus sont des tendances clés qui façonnent le marché, améliorant les performances, la durabilité et la sécurité dans un large éventail de conditions de conduite", précise Yves Pouliquen, vice-président du commerce Europe d’Apollo Tyres.
Le nouvel Alpin 7 de Michelin, dévoilé fin 2024, magnifie certaines de ces tendances. Alexandre Gasc met en exergue "son nouveau mélange de gomme conçu pour les basses températures qui permet d’apporter une bonne adhérence lors des accélérations, des freinages et dans les virages" ainsi qu’"une sculpture encore plus lamellisée pour une meilleure adhérence sur routes mouillées et enneigées. Cette forte lamellisation améliore de 6 % l’adhérence lors des freinages ainsi que la motricité sur la neige."
En outre, pour tous les fabricants, les défis se sont d’ailleurs démultipliés dans un passé récent. Aujourd’hui, pour exister sur ce marché, concevoir des enveloppes hyperperformantes dans les conditions les plus précaires ne suffit plus.
Répondre aux tendances du marché
Deux éléments complexifient particulièrement les développements. Le premier tient dans l’émergence des véhicules électriques. Les contraintes des modèles à batteries doivent ainsi être appréhendées sur ces pneumatiques. Robustesse, résistance au roulement ou confort sonore figurent ainsi sur la feuille de route des équipes R&D afin que toutes les innovations introduites dans les dernières générations de pneumatiques soient compatibles avec toutes les typologies de véhicules : électriques, hybrides et thermiques. "Face à un parc automobile de plus en plus diversifié, il est nécessaire de disposer de produits universels capables de répondre à tous les besoins et à toutes les motorisations", abonde Judith Sautereau.
Le second élément, commun à tous les segments, porte sur la durabilité avec l’idée de réussir à concevoir à terme (d’ici 2050 pour la plupart des manufacturiers) des enveloppes 100 % écoresponsables. "Chez Bridgestone, on mise sur des technologies comme le set Enliten, qui permet de concevoir des pneus plus légers, donc plus économes en énergie, sans compromis sur la sécurité", détaille Stéphane Bilot.
Même son de cloche côté Continental. "On travaille rigoureusement pour améliorer la durabilité de nos pneumatiques : améliorer encore plus la longévité, diminuer la résistance au roulement pour optimiser l’efficacité énergétique. Notamment, optimiser l’autonomie kilométrique avec une seule charge pour les véhicules électriques", ajoute Pierre Emmanuel Leclercq, chef de produit pneumatiques PLT de la firme allemande.
Dans les rangs de Bibendum, la durabilité se conjugue aussi avec des performances sur la durée, l’un des mantras de la firme tricolore. Son Alpin 7 "bénéficie de lamelles évolutives, c’est-à-dire que de nouvelles rainures apparaissent au fur et à mesure que le pneu s’use, complète Alexandre Gasc. Cette conception novatrice permet de garder de bons niveaux de performances tout au long de la vie du pneu et de l’utiliser jusqu’au témoin d’usure."
Une ambition qui répond d’ores et déjà à la future réglementation européenne R117-4 concernant les performances des pneus à l’état usé. Tout cela montre à quel point le segment hiver est à la pointe. De l’innovation, c’est une certitude. Des attentes aussi, façon de rester incontournable malgré un poids global somme toute relatif. C’est en suivant cette ligne directrice que le pneu hiver conservera ses adeptes.
Cet article est extrait du Journal du Pneumatique n°191 de septembre-octobre 2025.